[Entretien] Il est temps pour le bâtiment de se tourner vers le BIM GEM

Rédigé par

Communication CSTB

2526 Dernière modification le 30/06/2021 - 09:55
[Entretien] Il est temps pour le bâtiment de se tourner vers le BIM GEM

Si le BIM construction commence à bien s’ancrer dans les pratiques comme outil facilitant la coordination entre acteurs et optimisant la qualité de la construction, le BIM GEM, lui, en est encore aux prémices. Or, la phase d’exploitation est une phase majoritaire dans la vie d’un bâtiment. L’utilisation du BIM en exploitation va permettre de garantir une maintenance de qualité. Audrey Vial est référente thématique BIM GEM au CSTB. Dans cet entretien, elle revient sur l’intérêt d’utiliser une démarche BIM GEM et plus particulièrement le jumeau numérique dans le monde de la construction, les leviers et freins à ce développement, et le rôle que peut y jouer le CSTB.

             

Pourquoi le CSTB s’empare de la thématique du BIM Gestion-Exploitation-Maintenance ?

Audrey Vial : La construction est souvent mise en avant comme l’étape centrale dans la vie d’un bâtiment, qui va fortement impacter son fonctionnement futur et ses performances tout au long de son cycle de vie. Réussir un projet de construction, c’est le réaliser dans les temps et dans le respect des exigences réglementaires et des normes. Il existe de nombreux outils pour optimiser la phase de construction. L’utilisation de la maquette numérique en fait partie. La phase d’exploitation, elle, est un peu délaissée. Or, 75% du coût global d’un bâtiment est lié à son exploitation. Il y a donc un travail de fond à mener sur l’exploitation afin de garantir les performances des bâtiments sur le long terme.

Le BIM GEM est un levier incontournable à développer et à mobiliser pour optimiser la phase exploitation. Travailler via une maquette 3D BIM permet de gagner du temps et de la précision dans toutes les opérations d’exploitation-maintenance. Le maitre d’ouvrage peut anticiper les travaux de maintenance à mener grâce aux données, le technicien peut récolter des informations avant son intervention pour mieux la préparer, le gestionnaire peut s’assurer que les équipements sont toujours en accord avec la réglementation et anticiper des travaux le cas échéant, etc. Le BIM GEM assure également la continuité de la donnée entre les différents intervenants d’un bâtiment. Il n’y a plus de pertes d’informations. Cela permet de maintenir les performances d’un bâtiment à un haut niveau.

Le CSTB est un acteur majeur, qui réalise ses missions dans un souci d’objectivité et d’impartialité de jugement. Par sa neutralité technique et sa conformité aux formats standards internationaux, le CSTB garantit l'interopérabilité des solutions proposées. Notre position nous permet donc d’accompagner maitrises d’ouvrage et exploitants de manière intègre et honnête dans la mise en place d’une démarche BIM GEM, afin de construire une expertise collective au profit de la filière du bâtiment. Grâce à nos équipes multidisciplinaires (nous avons acquis une expertise autour des normes et des standards, de structuration et de gestion de la donnée, de développement d’outils informatiques, etc.), nous pouvons apporter notre expertise complète à de nombreux projets et maitres d’ouvrages sur l’ensemble du cycle de vie de leurs données patrimoniales.

 

Quels sont les grands enjeux du BIM GEM que vous avez identifiés ?

A. Vial : Tout comme le BIM Construction, le BIM GEM est un processus de gestion de l’Information des ouvrages, actifs et infrastructures. Il permet de définir et structurer les données et échanges de données entre acteurs et outils au sein d’un système d’information. Le BIM GEM va faciliter la production et le suivi de la vie des jumeaux numériques. Structurer et standardiser les maquettes numériques est la première étape à franchir pour améliorer l’accès aux données de son patrimoine pour l’ensemble des agents et acteurs qui graviteront autour de la maquette

Un autre grand enjeu du BIM GEM est l’interopérabilité entre la maquette numérique et son Système d’Information. En phase d’exploitation, les outils concernés peuvent être des outils de gestion technique du bâtiment (GTB), des outils de gestion technique patrimoniale (GTP), des outils de gestion locative, des outils de gestion de maintenance assistée par ordinateur (GMAO), etc. Il faut que la maquette soit connectée à tous ces outils pour pouvoir profiter pleinement des atouts du BIM GEM. Cette interopérabilité sera rendue possible grâce à l’utilisation d’Interfaces de développements (API) ouvertes et standardisées qui permettront des échanges de données synchronisés entre la maquette BIM GEM et les outils métier.

Enfin, la mise à jour des données récoltées et des outils BIM est également un enjeu important. Il faut réussir à synchroniser le tout au fil du temps, afin de ne pas rendre la maquette obsolète. Cet enjeu est encore de l’ordre de la recherche pour le moment, le secteur n’étant pas particulièrement au point dessus. Au sens de la norme ISO 19650, cette gouvernance de la donnée sera permise via un environnement de données commun (ECD) « en utilisant des procédures de fonctionnement clairement définies pour permettre une approche cohérente par toutes les organisation impliquées ». Cet ECD permettra d’assurer le maintien, le stockage et l’archivage des données patrimoniales extraites des maquettes numériques.  

 

Quels outils et actions mettez-vous en place pour développer le BIM GEM ?

A. Vial : Le CSTB intervient sur tout le cycle de vie de la donnée, depuis la numérisation des informations jusqu’à leur exploitation et leur valorisation. Nous proposons de numériser la donnée, de la sémantiser, la structurer et la vérifier de sorte à s’assurer de sa fiabilité avant de pouvoir la valoriser et l’exploiter. Notre offre se décline en trois volets :

  • Un volet stratégique. Nous aidons les maîtres d’ouvrages et les gestionnaires à définir une stratégie de déploiement de leur démarche BIM GEM qui soit pérenne dans le temps et adaptée à leur patrimoine et leurs besoins. Cela passe notamment par un accompagnement dans la mise en œuvre d’une stratégie de numérisation des données d’un parc existant.
  • Un volet technologique. Il s’agit d’aider les gestionnaires et exploitants à mettre en place l’infrastructure technique adaptée qui puisse centraliser les données et supporter les processus BIM GEM. Nous proposons des outils que nous développons dans le cadre de notre feuille de route de recherche et développement et pouvons intégrer pour le compte de nos partenaires.
  • Volet formation et montée en compétence des outils. Notre accompagnement passe également par des montées en compétence des organisations et des acteurs afin de les aider à exploiter toutes les capacités du BIM GEM et du jumeau numérique, ainsi qu’à créer du lien entre leurs outils et la maquette.

En plus de cette offre principale, nous proposons de nombreux autres services : nous réalisons également des benchmarks sur les outils métier et les outils BIM ; nous aidons à la prise en main d’outils BIM, à la mise en place organisationnelles des équipes, à l’acquisition du socle de données patrimoniales, nous pouvons faire de la préconisation, etc. Nous intervenons donc sur un champ de compétences et de sujets très large.

 

Vous travaillez notamment sur les jumeaux numériques. Pourquoi se tourner vers cette technique ?

A. Vial : Un jumeau numérique est le double virtuel d’un bâtiment. Il permet d’observer le fonctionnement du bâtiment en temps réel grâce à la récolte des objets, processus et systèmes du monde réel pour ensuite les analyser et les surveiller de manière précise. Un jumeau numérique va contenir deux types de données : les données dites statiques (ou « données froides »), c’est-à-dire celles contenues dans la maquette et produites lors de la construction, et les données dynamiques (ou « données chaudes »), qui sont produites au fil du temps via de l’IoT et objets connectés, des données de maintenance et d’exploitation, des données de simulation, des données issues de l’Intelligence Artificielle, etc.

Le jumeau numérique va donc plus loin que le BIM GEM, qui reste au niveau des données froides. Par exemple, il ne s’arrête pas à la simple remontée de données statiques du bâtiment, mais va aider à comprendre pourquoi tel équipement génère telle alerte. Le croisement entre données froides et données chaudes permet de définir des plans stratégiques précis, ce qui allonge la durée de vie du bâtiment, le tout en optimisant fortement les coûts de production, de maintenance, ou encore les projets d’investissement. Le monde de l’industrie a bien saisi les atouts du jumeau numérique : cette technologie y est déjà bien en place, là où le monde de la construction a pris du retard.

En revanche, pour qu’un jumeau numérique puisse être correctement exploité, il est important de bien mettre à jour régulièrement les données et de s’assurer de leur justesse. Le risque étant d’avoir un écart entre la réalité et la dernière version de la maquette, ce qui nuirait au principe même du jumeau numérique. Par exemple, il faut vérifier que le dossier des ouvrages exécutés (DOE) transmis au maitre d’ouvrage lors de la livraison du chantier corresponde bien à ce qui a été effectivement construit.

 

Quels sont les leviers pour encourager le développement de la filière BIM GEM ?

A. Vial : Il existe de multiples leviers pour encourager ce développement :

  • Il faut encourager les maitres d’ouvrages à utiliser des maquettes 3D. Certes, la maquette demande un investissement important au moment de la conception-réalisation. Mais elle permet de réaliser un gain de temps, et donc d’argent, important en phase exploitation.
  • Il faut faire évoluer les outils métier. Aujourd’hui, chaque outil métier fonctionne bien souvent avec son propre format propriétaire. Il faut standardiser et harmoniser les échanges de données afin d’avoir un seul support de travail centralisé et désiloter les bases de données.
  • Il faut développer les retours d’expérience et les démonstrateurs. Cela permettra de montrer comment mettre en place et utiliser concrètement le BIM GEM et le jumeau numérique dans les projets, ainsi que de constater les gains en temps et en budget dont bénéficient les utilisateurs de cette technologie. La mise en place d’observatoires est un des axes de recherche du CSTB permettant de quantifier les retours sur investissements et de réaliser des REX significatifs.
  • Il faut développer l’usage des pratiques autour du BIM. Il est important que les acteurs de la construction approfondissent leurs connaissances et acquièrent de l’expérience. Le besoin d’uniformisation et de coordination de pratiques autour de l’utilisation de la maquette sera la clé de la réussite de projets BIM.

 

Propos recueillis par Manon Salé, Construction21 - La rédaction

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