[Entretien] Enjeux et compétences autour de l’économie circulaire : le point de vue de Jérémie Alquier, co-gérant de la SCOP EcoZimut

Rédigé par

Franck Le Nuellec

Directeur du marketing, du développement et de l'innovation

2230 Dernière modification le 28/09/2021 - 10:00
[Entretien] Enjeux et compétences autour de l’économie circulaire : le point de vue de Jérémie Alquier, co-gérant de la SCOP EcoZimut

Les évolutions réglementaires poussent les acteurs du bâtiment à se tourner vers l’économie circulaire, à l’image de l’obligation de diagnostic « produits, matériaux et déchets » qui entrera en vigueur au 1er janvier 2022. Dès lors, ces derniers doivent se préparer et se former aux compétences nécessaires pour intégrer l’économie circulaire dans leurs projets. Après une présentation de la SCOP EcoZimut, bureau d’études spécialisé dans la performance énergétique et environnementale, Jérémie Alquier, co-gérant de la SCOP, revient sur les enjeux et compétences de l’économie circulaire.

Pouvez-vous nous présenter EcoZimut : sa genèse, ses missions ?

Jérémie Alquier : A l’origine, EcoZimut était un bureau d’études toulousain spécialisé dans le photovoltaïque et le thermique. En 2013, le fond de commerce de la partie thermique a été racheté par Gaël Farigoules, Elian Latour, Laurent Chauveau et Geoffrey Dapoigny, qui en ont fait une SCOP dont le but est de contribuer à la réalisation de bâtiments sobres en énergie et en ressources.

Depuis cette transition, les activités d’EcoZimut se sont diversifiées. Côté bureau d’études, en plus du thermique, nous nous sommes tournés vers les fluides et les démarches environnementales (montage de dossier, financement, accompagnement de maîtrise d’ouvrage, etc.). Nous avons également développé des activités complémentaires :

  • De la recherche et du développement : nous nous positionnons sur les matériaux biosourcés et géosourcés. Par exemple, nous travaillons sur la valorisation de la terre crue et des terres excavées afin de limiter les déchets de chantier.
  • Des formations : nous développons des formations sur le thermique, les fluides et les performances environnementales à destinations des professionnels et des universités (écoles d’ingénieurs, écoles d’architectes, etc.).

La diversité de nos activités nous permet d’avoir une vision globale du bâtiment. Nous pouvons ainsi intervenir sur des enjeux qui demandent des compétences variées : confort d’été, ventilation naturelle, géothermie, préservation du patrimoine, etc. Ce sont des sujets qui nécessitent de bien connaître tous les aspects d’un chantier, que ce soit en construction ou en rénovation.

Enfin, en plus de ces activités propres à EcoZimut, nous aidons d’autres organismes à se monter et à incuber. Cela nous permet de porter indirectement un nombre encore plus large de projets et d’activités et de créer un écosystème d’organismes engagés. Par exemple, nous soutenons la SCOP Houself, spécialisée dans la maîtrise d’œuvre de corps d’état en éco-construction et éco-rénovation. Ou encore, nous créons actuellement une foncière solidaire de forme associative, Bien Commun, pour faire de la gestion de bien à long terme. Cette foncière a notamment vocation à travailler sur le programme petites villes de demain.

Pourquoi avoir adopté le modèle d’une SCOP ?

J. Alquier : Une SCOP suit un fonctionnement démocratique. Le pouvoir décisionnaire est détenu par les associés de la SCOP, qui se réunissent lors d’assemblée générale. Chaque associé a une voix égale lors de la prise de décision. En tant que SCOP, au moins 50% de nos salariés doivent être associés. Ce fonctionnement est en accord avec les valeurs sociétales d’Ecozimut : transparence, égalité entre les associés, répartition des bénéfices en priorité pour les salariés, etc.

De plus, l’objectif initial des fondateurs était de pouvoir créer un outil de travail qui puisse être transmis entre générations. Ils souhaitaient mettre l’outil au centre de la valeur de l’entreprise plutôt que des personnalités. Cela permet d’éviter d’avoir un organisme qui ne se définit que par ses dirigeants, de libérer l’esprit de ceux qui souhaite se détacher un temps de la SCOP ou la quitter et d’axer notre activité sur la transmission des compétences et connaissances entre individus. La forme d’une SCOP est tout à fait en accord avec cet objectif : par exemple, le gérant ne peut effectuer au maximum que deux mandats de trois ans. Au-delà de cette durée, il faut en choisir un nouveau. Cela permet de donner la chance à chacun de pouvoir exercer ce poste.

Selon vous, quels sont les nouveaux enjeux introduits par l’économie circulaire dans le secteur du bâtiment ?

J. Alquier : L’économie circulaire a introduit bien des enjeux dans le secteur du bâtiment. De mon expérience, deux enjeux ressortent particulièrement :

  • La rénovation de l’existant pour limiter la construction. Le meilleur moyen de limiter la production de déchets et la consommation de ressources dans une opération est de réutiliser ce qui existe déjà. La rénovation permet notamment de bénéficier de nombreux matériaux au niveau de la structure des bâtiments. De plus, ce type d’opération remédie à l’obsolescence des bâtiments en leur donnant de nouveaux usages (par exemple, lors de la réhabilitation de bureaux en logements). Cependant, aujourd’hui, le secteur du bâtiment reste dans une logique de démolition-reconstruction, lors de laquelle peu de matériaux reviennent dans la boucle.

 

  • Le développement des filières de réemploi. Le développement du réemploi est lent. Il y a certes beaucoup de bonne volonté sur la réutilisation des matériaux déjà présents sur une parcelle ou en provenance d’autres chantiers, mais les verrous formatifs et réglementaires sont encore importants. Même pour les matériaux biosourcés, pourtant plus matures que les matériaux de réemploi, la filière peine à se développer. Il reste beaucoup de chemin à parcourir pour le réemploi. Il est notamment nécessaire que les acteurs du secteur se forment sur le sujet, afin d’avoir les compétences adéquates pour identifier et valoriser les déchets.

Justement, quelles nouvelles compétences découlent de ces enjeux et comment former les acteurs concernés ?

J. Alquier : L’économie circulaire se situe à l’intersection de nombreux métiers différents. Il faut s’y connaître en fluides, en dangerosité des matériaux (est-ce que les matériaux contiennent des éléments comme du plomb, de l’amiante ?), etc. C’est d’autant plus vrai si l’opération concerne un bâtiment existant, pour laquelle il faudra être en mesure de réaliser un diagnostic matériaux solide, de caractériser les matériaux et leurs possibilités de réemploi in situ ou ex situ. Il devient alors nécessaire de miser sur la complémentarité entre les compétences et connaissances des différents acteurs (architectes, bureaux d’études, maîtres d’œuvre, bureaux de contrôle, etc.).

Je pense que la formation des acteurs doit se tourner en priorité vers l’apprentissage de la réalisation d’un bon diagnostic matériaux. Le diagnostic demande des compétences quasi spécifiques à chaque matériau : chacun aura des caractéristiques différentes ainsi que des enjeux de dangerosité et de sécurité différents. Par exemple, Ecozimut dispense des formations sur toutes les techniques de construction en terre crue, dont les techniques de construction de terre crue de réemploi. Je suis convaincu que le diagnostiqueur produits, matériaux et déchets va devenir un pilier incontournable des projets de bâtiment.

Au-delà de la formation, quels leviers voyez-vous pour développer la prise en compte de l’économie circulaire dans le bâtiment ?

J. Alquier : Pour EcoZimut, au quotidien, le levier le plus important est notre activité d’AMO. Cela nous permet d’avoir un grand impact sur un projet, via la rédaction des programmes. D’ordinaire, nos clients nous font très peu de demandes de conseil et d’accompagnement sur l’économie circulaire. Grâce à notre mission d’AMO, nous sommes en contact direct avec nos clients. Nous pouvons prendre le temps de leur expliquer les enjeux de la gestion des déchets et du réemploi et de les aider à monter un programme pour intégrer ces enjeux dans le projet.

Plus généralement, il faut changer l’état d’esprit dans les acteurs du bâtiment. Aujourd’hui, les acteurs réfléchissent surtout à court terme et se concentrent sur la rentabilité économique. Or, il est important d’aller au-delà de ce critère. Certaines solutions, certains produits de réemploi sont plus chers sur le court terme alors qu’ils présentent de réels atouts économiques sur le long terme, en plus d’atouts sociaux et environnementaux. C’est pourquoi il faut encourager les maîtres d’ouvrages à se tourner vers ces solutions, notamment via des subventions, et valoriser ceux qui se lancent dans de tels projets.

Enfin, un autre levier important est celui de la réglementation. Un grand nombre d’acteurs évolue avec les réglementations : il est donc nécessaire de continuer à développer les aspects réglementaires autour de l’économie circulaire.

L’économie circulaire va finir par s’imposer dans le bâtiment, c’est une certitude. Les évolutions réglementaires vont en ce sens. Les acteurs du secteur doivent donc s’adapter dès maintenant s’ils veulent éviter d’avoir une marche trop grande à franchir à l’avenir.

Propos reccueillis par Manon Salé, Construction21 - la rédaction

Image de "macrovector" sur FreePik


Cet article s’inscrit dans le cadre du travail mené par le CCCA-BTP sur les enjeux de l’économie circulaire dans le secteur du bâtiment, notamment sur les compétences et la formation. Depuis avril 2021, le CCCA-BTP organise un cycle de conférence dédié à l’économie circulaire en partenariat avec Agyre, hub d’accélération de l’économie circulaire dans la construction : les WinLab’ Innovation Live.

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