Entretien croisé : sur la route de la biodiversité

Rédigé par

Maria Beraldi

Responsable communication & projets R&D

635 Dernière modification le 06/11/2023 - 11:11
Entretien croisé : sur la route de la biodiversité

Le développement et l'entretien du réseau routier s'accompagnent d'actions de végétalisation depuis désormais quarante ans. Ces pratiques évoluent sans cesse pour mieux répondre aux défis écologiques, mais aussi pour impliquer toutes les partie prenantes d'un projet, jusqu'à intégrer d'autres enjeux environnementaux comme la décarbonation et l'économie circulaire. Nous explorons les grandes tendances actuelles et les nouvelles perspectives dans cet échange avec Anaël Mayeur, doctorant à AgroParisTech dans le cadre du programme Recherche & solutions du lab recherche environnement, et Nicolas Durvaux, porteur du projet Végénération de VINCI Autoroutes, initiative lauréate du Prix de l’environnement de VINCI.

Quelles sont les grandes tendances actuelles et les nouvelles perspectives qui s’ouvrent à travers votre projet?

Anaël Mayeur : Longtemps considéré comme un simple outil technique au service de l’homme, puis comme un élément esthétique favorisant l’acceptabilité des projets d’aménagement, le végétal pourrait constituer aujourd’hui un moyen de mieux intégrer les ouvrages à leur environnement, à condition de s’intéresser de plus près à ses caractéristiques. C’est l’enjeu de mon projet de recherche doctorale, centré sur la composition et l’étude de l’expression de mélanges semenciers herbacés permettant de favoriser la biodiversité tout en continuant à répondre aux enjeux techniques classiques de la végétalisation.

L’objectif est d’obtenir des mélanges présentant une plus grande diversité d’espèces que ceux communément vendus et utilisés dans le cadre des grands aménagements, afin notamment d’attirer la petite faune et les pollinisateurs, mais aussi d’entrer en compétition avec les espèces exotiques envahissantes. Certains mélanges sont constitués de semences issues de la marque Végétal Local, avec l’idée d’avoir une diversité génétique suffisante à une meilleure résilience de ces espèces face aux impacts du changement climatique, ainsi qu’une réduction de l’utilisation d’intrants pour leur bonne croissance.

Nicolas Durvaux : Lors des phases de construction des nouvelles sections, nous avons déployé à grande échelle des plans de végétalisation des surfaces travaillées avec plus de 17 millions d’arbres plantés et des ensemencements à grande échelle. Nous sommes aujourd’hui sur des phases d’entretien de ce patrimoine qui doivent intégrer de nouveaux enjeux comme le zéro produits phytosanitaires, le fauchage raisonné et l’ambition de mettre en valeur ou d’augmenter les potentiels de renaturation d’espaces verts disponibles.

En complément nous avons aussi fait le constat qu’au fur et à mesure des évolutions techniques et organisationnelles, nos besoins de surface minéralisée dédiée à l’exploitation se sont réduits d’environ 30% (parc de centre d’exploitation, plateformes à enrobés…). L’opportunité s’est donc présentée de proposer ces espaces à la renaturation en déminéralisant des surfaces inutiles.

La renaturation soulève des questionnements sur la création de milieux naturels fonctionnels. Sur quels leviers vous appuyiez-vous pour y parvenir ?

Nicolas Durvaux : Les projets étant de taille plus réduite que ceux des phases de construction, il est nécessaire de mettre en place une ingénierie pour chaque site. Après la phase d’analyse des sols, notre partenariat avec l’Office National des Forêts permet de réaliser pour chaque parcelle une étude de plusieurs parcours techniques de renaturation. Ces parcours mixent la conservation d’espaces existants comme des prairies ou des haies, la plantation d’arbres d’essence locale et adaptée au changement climatique et la création de zones humides. Ces différents parcours permettent d’optimiser pour chaque projet la création d’espaces naturels et sont validés par nos experts internes afin de vérifier l’impact de la faisabilité, l’intérêt écologique et l’impact en ce qui concerne l’entretien.

Anaël Mayeur : Pour faire suite aux propos de Nicolas, la composition et le choix des mélanges à semer font partie de l’ingénierie à mettre en place sur chaque type de site. Dans le cadre de mon projet, des mélanges aux fonctionnalités différentes sont testés, certains conçus pour être compétitifs face aux espèces exotiques envahissantes, d’autres pensés afin de recouvrir rapidement les parcelles après semis ou encore d’attirer les pollinisateurs.

Gardons en tête que la création et le maintien des fonctionnalités d’un milieu dépendent aussi de facteurs environnementaux qui échappent parfois à l’intervention humaine. La conservation d’éléments de nature préexistants est donc bien à prioriser lorsque c’est possible.

Lorsqu’un ensemencement est nécessaire, l’utilisation de mélanges sauvages et locaux permet de s’appuyer sur la résilience naturelle des espèces aux changements de leur environnement. On tente ainsi de favoriser les chances de survie d’un certain nombre d’individus mieux adaptés en cas de perturbations en permettant ainsi d’assurer la pérennité des populations. On se place donc dans une vision long terme de maintien des communautés végétales nouvellement créées, et donc de leurs fonctionnalités.

Vos deux projets intègrent de manière différente des objectifs de développement du circuit court. Quelles opportunités et quels freins avez-vous identifié ?

Anaël Mayeur : L’approvisionnement en semences sauvages et locales fait appel à une filière intégrant une grande diversité de savoirs et d’acteurs. L’itinéraire technique allant de la collecte à la plantation est complexe et nécessite de faire appel à des acteurs locaux ayant une bonne connaissance de leur territoire. On pressent à la fois des opportunités de création ou de spécialisation d’entreprises au sein ce marché, mais aussi des opportunités de collaboration pour les aménageurs avec les acteurs de cette filière naissante. Cette collaboration pourrait permettre d’améliorer l’acceptabilité des projets, mais aussi d’accéder à des produits et des conseils de qualité, proches des réalités territoriales au sein desquels les projets d’aménagement s’inscrivent.

Bien que l’étude du volet socio-économique ne soit encore qu’en phase initiale, deux freins majeurs à une adoption massive de ce dispositif se dessinent. Le premier concerne le coût d’achat des semences, qui pourrait sembler prohibitif face aux semences de la grande industrie. Toutefois, la suppression des intrants et la réduction des doses de semis pourraient compenser ces coûts excédentaires, pour des résultats équivalents (reste à démontrer). Le second frein concerne l’approvisionnement en semences sauvages et locales. La filière étant encore jeune, toutes les régions ne sont pas encore couvertes lorsqu’il s’agit de trouver un producteur capable de répondre à des commandes conséquentes, par exemple dans le cas de la construction d’une autoroute et de la mise en place des zones compensatoires associées.

Nicolas Durvaux : La première mise en avant des circuits courts est dans la déconstruction des sites minéralisés. Pour le premier projet, nous avons sollicité des associations locales qui étaient à la recherche de matériaux. Pour le deuxième projet, nous avons la volonté de travailler avec Granulat+® afin d’optimiser le recyclage des matériaux. Leur maillage territorial permet de réduire les circuits, et le recyclage réduit l’emprunt des ressources.

La deuxième ambition des circuits courts est de faire porter les projets de renaturation par des entreprises ou des chantiers d’insertion en local. À la fierté de porter des projets dans leur territoire et de les voir grandir, s’ajoute l’ambition de former de nouveaux acteurs sur ces sujets.

Enfin le troisième enjeu, rejoint la nécessité de soutenir les filières locales de création de plants de végétaux en réalisant ces projets avec des plants d’essence locale. Cela nécessite de programmer avec une vision à plusieurs années les aménagements futurs.

Quelles parties prenantes est-il important d’associer pour déployer plus largement votre démarche ?

Nicolas Durvaux : Les premières parties prenantes sont évidemment les porteurs de projet auxquels il faut prouver l’intérêt en termes de biodiversité et qu’il faut convaincre sur des projets de temps long.

Ces projets sont ancrés dans les territoires. Les élus locaux souhaitent parfois s’y associer via le partage des ambitions ou la volonté d’appuyer l’emploi local, que ce soit pour la réalisation du projet ou la filière arboricole.

Comme certains projets peuvent nécessiter d’élargir le périmètre à des terres potentiellement exploitables pour certaines formes d’agriculture, nous avons aussi à échanger en amont avec les chambres d’agriculture et les exploitants locaux, pour concevoir avec eux des projets pouvant répondre au double enjeu environnemental et de production durable.

Anaël Mayeur : Pour appuyer les propos de Nicolas, il est nécessaire d’impliquer les porteurs de projets au plus tôt lors des phases de conception afin d’anticiper les besoins en végétaux, convaincre des enjeux que ceux-ci représentent et définir la part budgétaire qui leur sera allouée. Cela peut permettre de faciliter l’accès au matériel en laissant du temps aux acteurs des filières de production d’obtenir un volume suffisant pour répondre à la demande.

De manière plus générale, il est important de sensibiliser tous les acteurs ayant recours à l’utilisation de mélanges semenciers, que ce soit dans le cadre de la gestion de sites exploités, de la construction de nouveaux aménagements ou de chantiers de restauration écologique, afin de repenser les fonctions et l’importance accordée au végétal sur les sites. S’intéresser à l’origine du matériel végétal et à la composition des mélanges communément utilisés pourrait contribuer à une meilleure intégration des projets aux enjeux écologiques territoriaux actuels.


Actualité publiée sur le site du lab recherche environnement Vinci Paris-Tech

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