Editorial de Laurent Rossez | Nous avons basculé dans un nouveau monde « physital »

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NOVA BUILD

L'écoconstruction est notre avenir

595 Dernière modification le 04/02/2021 - 11:38
Editorial de Laurent Rossez | Nous avons basculé dans un nouveau monde « physital »

Voilà presque un an que nos sociétés ont basculé dans un monde que nous ne connaissions pas, celui où la norme est devenue momentanément la distance sociale assortie de l’interaction digitale quotidienne.

Car il est clair que le décollage - je n’ose pas dire le plongeon - dans le monde digital d’après, le point de bascule vers une société différente de ce point de vue, est derrière nous. Nous sommes actuellement encore dans une phase de montée brutale, l’altitude de croisière n’étant pas encore atteinte, au sens que nous ne mesurons pas encore la portée et l’ensemble des incidences que cette transformation numérique va procurer in fine dans nos vies. Mais une chose est certaine, nous ne retournerons plus au monde d’avant car cette mutation est irréversible.

Concernant le travail, spécifiquement pour les 65% d’emplois en bureaux, il ne viendra demain à l’esprit à aucune direction d’entreprise ou DRH de revenir en arrière vis-à-vis du télétravail. Au printemps 2020, 35 % des Français en emploi ont télétravaillé alors qu’ils n’étaient que 3 % en 2017 ! Même s’il existe des inconvénients s’il devenait exclusif, les nouvelles facilités découvertes via le télétravail rend son avènement irréversible.

En matière de déplacements, nombreux sont ceux que nous entreprenions auparavant « mécaniquement » et qui sont désormais devenus désuets, inutiles voir ridicules. Que ce soit dans la vie professionnelle, comme dans la vie privée d’ailleurs, la réunion ne rime plus avec la présence physique obligatoire. Et les meetings n’en sont pas moins réussis, ce qui nous surprend encore !

En ce qui concerne l’enseignement de tous niveaux ainsi que les formations, le nouveau mode de l’apprentissage à distance a brutalement surgi par la force des choses. Là encore il y a des écueils, je pense aux populations informatiquement mal équipées ou encore aux « décrocheurs », mais dans la grande majorité, chacun a pris conscience brutalement des innombrables possibilités de transmettre, d’acquérir et d’interagir, à distance…

Pour la détente, les loisirs, suite aux fermetures imposées des lieux physiques dédiés, qui restent bien sûr un drame et une blessure encore ouverte, force est de constater que nos « passe-temps », se sont aussi férocement et à marche forcée transformés. Même si un retour à la culture au contact des espaces dédiés est espéré au plus vite, nécessairement ici aussi, nous sommes passés dans une forme d’accès à la culture différente qui même sans Covid sera au minimum demain hybride.

Bref, il n’y a plus que nos pratiques liées aux besoins vitaux qui restent purement physique car le digital n’est pas encore en mesure d’apporter les calories au corps humain ! Pour le reste nous avons basculé en 2020 à vitesse grand V dans un monde encore imaginaire en 2019 et demain ne sera plus jamais comme avant, au moins du point de vue de la généralisation du digital dans nos activités.

On peut même faire l’hypothèse, que nous ne voyons encore que la partie émergée de l’iceberg digital de ces transformations liées à la virtualisation de tout…

Allons-nous construire des bâtiments virtuels ?

A NOVABUILD, la question n’est pas ici de se dire si « on aime mieux ou on aime moins le monde d’après la bascule digitale », mais de se poser la sérieuse question de ce qui va changer pour les projets d’aménagement ou les constructions que nous concevons et nous construisons ?

Force est de constater qu’aujourd’hui nos infrastructures sont peu efficientes. Les bureaux sont partiellement vides, en tout cas avec un pourcentage d’absences plus fort que la baisse de la valeur ajoutée des entreprises concernées, preuve que le travail s’opère bien ailleurs !

Les établissements d’enseignements secondaires sont pour la plupart à moitié occupés avec un fonctionnement en demi-classes alternées. Les premières remontées de terrain de la part de nombreux enseignants sont d’ailleurs que la progression des élèves est au rendez-vous, malgré une présence physique un jour sur deux. L’enseignement supérieur se déroule dans de nombreux cas hors les murs des campus. Pour autant certains étudiants privilégiés en médecine  utilisent déjà des hologrammes (comme avec l’application Holo-Anatomy développée à la clinique de Cleveland) pour apprendre de chez eux, l’anatomie en réalité augmentée d'une manière plus souple et précise qu’au laboratoire de la faculté !

Quant aux expositions ou aux salons, ils s’opèrent non plus dans des lieux évènementiels dédiés, mais en distanciel depuis le salon… de l’appartement ou la maison !

Si on admet que l’on ne reviendra pas au point de départ question digital et en constatant l’immensité des m² d’équipements actuellement vides, même si un rééquilibrage entre le physique et le digital est attendu comme souhaité : n’y aura-t-il pas in fine, post Covid, un stock considérable de m² devenus réellement inutiles, redondants voire inappropriés ? Assurément Oui.

Ma question n’est donc pas cynique. Doit-on construire - aussi - des bâtiments virtuels ? Autrement dit, construire moins d’infrastructures physiques et miser plus sur une optimisation des infrastructures virtuelles ? N’y a-t-il pas, dans les programmes sur nos tables et devant nous, des m² surabondants car pensés avant la bascule digitale dont nous n’apercevons encore que les prémices de ses innombrables incidences et conséquences en matière d’usages dans nos bâtiments ?

Je vous laisse juger, mais il faut savoir qu’il y a une véritable montée en puissance de l’utilisation des plateformes digitales qui recréent en 3D les configurations des sièges sociaux d’entreprises ou encore des campus d’écoles en donnant la possibilité à chaque salarié ou étudiant de créer son propre avatar numérique qui va interagir avec les avatars de ses propres collègues ou professeurs ! Il s’agit bien de collaborer avec les jumeaux numériques des autres comme si nous étions dans le même lieu. L’entreprise virtuelle, le campus numériques - ce que les spécialistes appellent « the Fourth Place » - sont en marche. Nécessairement leur avènement va venir télescoper très vites les modèles actuels d’investissements dans le bâti qui sont encore d’usage, comme la règle : 9 à 10m² par salarié ou 6 à 7m² par étudiant…

Dans une logique de sobriété qui est à la base de la stratégie bas carbone, et en toute logique, nous devrions construire moins de m² demain dans ce type d’ouvrages. La question qui vient juste derrière est bien celle du logement car si le digital et la réalité augmentée aident à « faire entrer le monde extérieur » dans son lieu de vie, ce dernier doit être repensé moins exigu, plus flexible ou modulaire, en gros plus vivable dans ce monde nouveau en gestation.

Réalité augmentée et réductions Carbone : même combat ?

Vous le savez, pour NOVABUILD la question du climat est devenue, depuis CitiesToBe et notre prise de conscience collective massive, LA priorité.

Alors en faisant les constats ci-dessus, nous ne pouvons qu’immédiatement nous poser la question si, au fond, cette bascule numérique est synonyme, ou non, d’une contribution à la dérive climatique ?

Il y a des think tanks, comme The Shift Project, qui sont très impliqués sur cette question du poids carbone de nos pratiques numériques. Celles-ci ne sont absolument pas neutres et se comparent au transport aérien avant la crise sanitaire. Tout comme conduire en souplesse une automobile consomme moins de carburant, il est nécessaire de questionner notre « conduite » digitale pour viser individuellement une réduction de nos émissions dispendieuses liées au numérique.

A ce propos, il paraît réaliste d’imaginer à l’avenir une diminution du poids carbone de la gestion des données numériques sur le cloud. On pense à des serveurs localisés, hébergés à proximité des flux informatiques qu’ils gèrent. On envisage aussi l’amélioration des matériels informatiques et des serveurs de plus en plus conçus autour d’une boucle de chaleur en étant pluggés avec des équipements bénéficiaires des calories émises, comme par exemple la « chaudière numérique » expérimentée par Nantes Métropole Habitat. La physique étant ce qu’elle est, cela paraît en tous les cas, bien plus accessible que de faire voler demain les avions à l’hydrogène, voir en ce qui nous concerne, de rendre nos bâtiments autonomes en énergie tout en divisant par 4 leur poids carbone à la construction.

Même si cette remontée en force de l’importance du digital est plus subie que voulue dans ces proportions, sachons regarder le verre à moitié plein plutôt qu’à moitié vide. Si les flux physiques de matière, d’énergie, et liés aux déplacements inconsidérés des personnes peuvent être réduits par le digital, c’est peut-être là une source de progrès, du moins sur l’aspect carbone.

Au final le digital n’est qu’un outil, devenu incontournable ou presque. A nous de repenser la vie qui va avec, sans qu’elle n’y perde de ce qui fait son intérêt, son piment et son charme…Prenez soin de vous et vos proches dans cette période encore incertaine quant à la mutation des variants du virus qui viennent encore largement questionner nos esprits, saper souvent le moral et malheureusement parfois salement polluer nos vies.

Bien amicalement,

 

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