[Dossier RE2020] #20 Impact carbone des matériaux : l'acier peut-il faire aussi bien que le bois ?

Rédigé par

La rédaction C21

17980 Dernière modification le 27/06/2022 - 18:27
[Dossier RE2020] #20 Impact carbone des matériaux : l'acier peut-il faire aussi bien que le bois ?

Disponible en grande quantité, facile à recycler et à industrialiser, l’acier se présente comme un outsider sérieux dans la perspective de la RE2020. Olivier Vassart, CEO de Steligence® chez ArcelorMittal, fait le point sur les points forts de ce matériau et les gains qu’il permet notamment sur les contributeurs chantier et produits de construction et équipement de l’expérimentation E+C-.

1. Comment est utilisé l’acier dans le bâtiment aujourd’hui ? Comment améliorer cette utilisation ?

Olivier Vassart : Se poser la question de l’emploi de l’acier dans le secteur de la construction, cela revient à se poser la question de la façon dont on conçoit les bâtiments. Aujourd’hui, le secteur est très segmenté. Quand on construit un bâtiment, on fait appel à une équipe pour la structure, une pour la façade, une pour la thermique, une pour la ventilation, etc.

Pour les matériaux, la situation est similaire. Les professionnels ne se mélangent pas. Quand on construit en béton, on construit souvent tout en béton. Idem pour le bois ou pour l’acier. Or, chaque matériau a des capacités propres, qui ne sont pleinement exploitées que si le bon élément est mis au bon endroit dans le bâtiment. L’acier a l’avantage d’être léger, maniable, présent en grande quantité et surtout facilement combinable avec d’autres matériaux. C’est un matériau très utile pour la structure d’un bâtiment. Aujourd’hui, dans les structures en béton armé les armatures en acier reprennent la traction et permettent de construire des bâtiments. Mais on peut faire bien mieux avec une structure mixte acier-béton : la partie comprimée est uniquement composée de béton, et la partie tendue uniquement d’acier. L’optimisation des matériaux permet d’en utiliser moins, donc d’en produire moins, pour un résultat plus efficient. Cela permet de réaliser des économies de ressources, et de coût. Il est plus que nécessaire de développer une vision holistique, qui permette une optimisation maximale de la construction. En France, cela est par exemple le cas sur des ouvrages d’art comme les ponts où la mixité des matériaux est utilisée depuis des décennies. Il est essentiel que le bâtiment saute le pas très rapidement. Les solutions et savoirs-faires existent, chez ArcelorMittal avec Steligence®, cela prend la forme d’une méthodologie qui indique comment utiliser l’acier de la manière la plus efficiente possible et d’une équipe d’ingénieurs et d’architectes qui vous conseille afin d’optimiser votre projet.

Photo : Olivier Vassart

2. L’acier semble être peu présent dans la démarche E+C-. Pourtant, c’est un matériau qui arrive à de très bons résultats en termes d’impact carbone. 

O.V. : Il me semble qu’il n’y a pas eu de bâtiment à base acier dans la première phase du programme E+C-. Mais depuis, des études ont été menées sur des bâtiments industriels et commerciaux, qui composent un segment de marché où l’acier est très présent. En termes d’E+, la structure a peu d’impact. Qu’elle soit en acier ou non change peu la donne. C’est l’enveloppe qui compte le plus, ainsi que l’éclairage pour l’exemple particulier des bâtiments commerciaux.

En revanche, sur la partie C-, l’acier est très prometteur. On peut ainsi arriver à un impact carbone très performant. Pour les bâtiments analysés, la solution béton représente entre 900 et 950kgCO2/m2 alors que le bois et l’acier varient entre 800 et 850kgCO2/m2.

Cela vient, entre autres, de son cycle de vie. L’acier a l’avantage d’être très facilement recyclable. Depuis les années 1970, avec le développement des fours électriques, nous savons faire refondre les déchets d’acier, pour en faire des nouveaux éléments. C’est un matériau aisé à récupérer grâce à son magnétisme. La récupération d’acier s’effectue à plusieurs niveaux : auprès des industries qui produisent des déchets d’acier via leur processus de fabrication, lors du démantèlement de voitures, lors de la démolition de bâtiments, et puis auprès des centres de recyclage des déchets ménagers. Les entreprises sidérurgiques rachètent cette mitraille, pour la refondre, et produire de nouveaux éléments. Aujourd’hui, en France, l’acier délivré par Steligence® et utilisé pour la structure d’un bâtiment provient à 100 % d’acier recyclé, et est recyclable à 100 % une fois le bâtiment démoli. Le taux de recyclabilité des panneaux de façade et des structures en acier dans les bâtiments est de 95 %. Pour le béton armé, ce taux est de 70 %. C’est très intéressant pour l’impact carbone.

3. Dans sa mesure de l’impact carbone, la RE2020 prend en compte l’ensemble des émissions du bâtiment sur son cycle de vie, dès la construction. Comment l’acier peut-il jouer sur cet aspect-là ?

O.V. : S’intéresser au cycle de vie entier des bâtiments soulève la question des chantiers qui sont un lot à part entière dans l’expérimentation E+C-. La construction sur site pose des enjeux en termes d’impact carbone. Elle nécessite notamment une forte circulation de camions, pour amener les matériaux sur place. Je pense qu’il faut se tourner vers le hors site. C’est un mode de construction à la fois plus viable aux niveaux économique et environnemental. Le hors site permet par ailleurs de gagner du temps sur les chantiers. Nous avons mené des études de comparaison dans le cadre de Steligence®, et nous en avons conclu qu’un bâtiment en structure mixte était construit deux fois plus vite en hors site. Ensuite, cela permet de travailler en plus petit nombre : il n’est pas nécessaire d’employer autant de personnes que sur un chantier traditionnel. Ce qui n’est pas négligeable dans le contexte sanitaire actuel, où la distanciation sociale est de mise. L’acier a toute sa place dans la construction hors-site. C’est un matériau léger : il peut être transporté facilement des ateliers au lieu d’assemblage, sans avoir besoin de mobiliser une grosse flotte de véhicule. Nos études montrent que la circulation de camions sur chantier diminue de 39 % avec la construction hors site. Ce qui joue forcément sur les émissions carbone.

Mais mener une réflexion sur les chantiers n’est pas suffisant. Il faut aussi repenser l’usage même des bâtiments, si l’on veut pouvoir diminuer leur impact carbone. Aujourd’hui, 80 % des bâtiments démolis n’ont pas un problème de structure, mais d’utilisation fonctionnelle. En fait, nous pensons les bâtiments en fonction de l’usage qui leur est attribué à un instant T. Par exemple des bureaux. Et quand de nouveaux besoins d’usage ou de nouvelles réglementations émergent, les bâtiments deviennent obsolètes. Et comme rénover coûte cher, c’est la démolition qui est favorisée. Une construction pensée de la manière la plus écologique possible qui est détruite au bout de 5 ans, est un désastre environnemental. Il faut repenser la conception même des bâtiments, et favoriser leur flexibilité et adaptabilité. Cela implique de repenser totalement le concept de murs porteurs, qui ne répond plus aux enjeux du bâtiment. Il faut pouvoir dissocier les éléments porteurs de ceux qui séparent les espaces. Pour passer plus facilement de l’open space aux bureaux individuels par exemple. L’avantage de l’acier, c’est qu’il permet d’avoir des éléments que l’on peut facilement assembler et désassembler selon les besoins. En Europe, les structures en acier sont reliées par des boulons. Il est aisé de déboulonner pour réutiliser et agencer les différentes parties autrement. Cela permet de jouer sur la flexibilité et la modularité d’un bâtiment.

4. Comment adapter la production d’acier pour répondre au mieux à ces enjeux ?

O.V. : Ce qu’il faut faire à présent, c’est favoriser la standardisation d’éléments constructifs en acier, pour pouvoir développer un modèle de production industrielle. Cela permettra de démocratiser l’utilisation optimisée de l’acier. Mais ce n’est pas parce que les éléments sont standards que l’architecture des bâtiments sera pour autant homogène. Il est tout à fait possible de réaliser des bâtiments avec une identité propre. Par exemple, 80 % de notre futur siège est construit à partir de 5 éléments en acier : un module poutre, un module planche, un module poteau, un module poutre de façade et un module poutre diagonale. Pour autant, l’apparence du bâtiment est loin d’être standard.

Ce changement de production doit être couplé avec des opérations de sensibilisation à l’acier. Il y a un vrai manque de communication sur les avantages de ce matériau dans le bâtiment, et notamment sur ses possibilités de recyclage et de réutilisation.

Propos recueillis par Manon Salé, Construction21

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