[Dossier Quartiers Bas Carbone] #19 - Urbanisme bas carbone et mobilité : revenir au local

Rédigé par

Julien SCHNELL

Architecte DPLG et Urbaniste OPQU

6727 Dernière modification le 31/01/2020 - 12:57
[Dossier Quartiers Bas Carbone] #19 - Urbanisme bas carbone et mobilité : revenir au local

Dans l’empreinte carbone des français les émissions allouées aux déplacements de personnes sont équivalentes à celles des bâtiments, espaces publics et infrastructure (3,5 t CO2/an soit 30% de l’empreinte d’un français moyen). Si ces proportions sont à relativiser dans la part qui relève le plus directement du quartier (où 3,1 tCO2 équivalent d’impact quartier sont relatifs aux bâtiments, espaces publics + infrastructures et 1 tCO2 aux déplacements de personnes) la mobilité reste un levier incontournable dans une perspective de quartier bas carbone. D’autant que si la diminution des déplacements motorisés permet la réduction des émissions de GES, elle participe aussi à répondre à des préoccupations sanitaires telles que la qualité de l’air ou la promotion de l’activité physique. Cet article propose de repenser les formes urbaines, la mixité ou encore les infrastructures dans une perspective de faire évoluer les modes de déplacement pour réduire leurs impacts en carbone et améliorer la qualité de vie pour tous.

Depuis quelques années, la population urbaine mondiale a dépassé celle des campagnes. Une répartition de la population plus concentrée en ville pourrait signifier une optimisation du recours à nos ressources. Celle-ci serait basée sur une rationalisation collective, par la mutualisation, le partage et la mise en commun de services. On pourrait aussi imaginer que cette plus forte proportion d’urbains permettrait d’amener des perspectives intéressantes pour une limitation des émissions de gaz à effet de serre, en générant moins de pollution et plus de déplacements en transports en commun. En réalité, il n’en est rien.

Force est de constater que l’étalement urbain et l’accroissement des choix de mobilité ne fait finalement qu’engendrer toujours plus de déplacements. Partout, on constate une augmentation de la résidentialisation périphérique, et la naissance de régions urbaines polycentriques et interdépendantes entre elles. Si la durée moyenne des temps de parcours reste globalement identique, les distances parcourues sont de plus en plus grandes. Un quart de la population française travaille à plus de 80 kilomètres de son domicile.

L’amélioration et la densification du réseau des infrastructures encouragent la mobilité pour aller finalement plus loin, plus vite, et plus souvent pour un plus grand nombre. Cette offre accrue n’apporte cependant qu’un confort temporaire avant une saturation programmée, l’offre entrainant la demande, ces nouvelles infrastructures sont à leur tour vouées au même destin.

 

Plusieurs questions de fond se posent alors : doit-on toujours augmenter et faciliter la mobilité ? Dans quel but et jusqu’à quand ? Quelle place doit-on laisser aux déplacements individuels motorisés dans l’avenir ? Comment proposer des transports en commun offrant un niveau de service meilleur et une souplesse plus grande que celle des véhicules individuels ?

Repenser la distance

Au sein d’une même urbanité, au même titre que dans les espaces ruraux moins denses, les distances à parcourir entre lieux de résidence, lieux de travail ou lieux de services sont souvent bien trop importantes. Cet éloignement génère des déplacements pendulaires longs et polluants, qui pourraient être évités en proposant une structure urbaine différente. Un modèle de ville qui serait moins sectoriel et plus mixte, tant à l’échelle des quartiers que des bâtiments eux-mêmes. Cette approche doit être réalisée dès la conception des schémas d’orientation urbaine.

Il est nécessaire d’accorder une priorité absolue à la régénération de la ville sur elle-même face à la construction de nouveaux quartiers éloignés, et ce dans le but de stopper l’étalement urbain. Une chose est sûre, il est urgent de changer de paradigme. Le réchauffement climatique n’est plus une interrogation, mais un fait avéré. Il est donc indispensable de proposer, en amont de l’action urbaine, une nouvelle manière de concevoir notre environnement pour viser un urbanisme « bas carbone ». Cet objectif doit être abordé avec un regard pragmatique global, qui inclue une vision stratégique et urbanistique de l’aménagement du territoire et de l’espace public.

Outre le travail à mener sur la construction et la consommation des bâtiments, la mise en œuvre de l’urbanisme bas carbone doit aussi intégrer la mise en avant d’une réflexion traitant des interactions entre la mobilité, la composition urbaine et l’aménagement urbain.

La place des transports en commun y est essentielle. Il faut limiter fortement les déplacements motorisés individuels pour favoriser les transports en commun, les véhicules partagés (autonomes ou non), ainsi que les modes actifs. Il n’y a pas d’autres alternatives possibles.

 

Une organisation urbaine différente

La ville doit désormais être pensée avec un schéma intégrant des logiques de vitesse et la notion de temps de parcours. Pour cela, l’unité de mesure ne peut être que celle des modes actifs et celle des transports en communs : une ville à 15 km/h pour les vélos et à 5 km/h pour les piétons. Une ville mettant en exergue les déplacements partagés pour la desserte plus fine, y compris dans les zones moins denses. Le maillage ne doit donc plus être uniquement calqué sur la trame des véhicules motorisés, mais sur une organisation différente. Les villes de demain devront être conçues avec une approche plus vertueuse de l’action urbaine, basée sur des parcours spécifiques et des trames dédiées, douces pour les unes et rapides pour les autres. Nous devons changer notre façon de concevoir les espaces publics et faire évoluer notre rapport à la mobilité pour permettre de nouveaux usages. Ceux-ci ont d’ailleurs commencé à être pratiqués avec la récente grève des transports en commun. En pratiquant les modes actifs, les parisiens ont pris conscience de l’échelle humaine de leur ville. Reste à mettre en place le confort et la sécurité de ces parcours.

Un travail de pédagogie doit aussi être mené. Devenir propriétaire d’un pavillon en zone résidentielle dans une ultra périphérie, et être totalement dépendant de la voiture, n’est peut plus être un idéal. La mise en œuvre de dispositifs de transports partagés permet de repenser notre rapport à l’aménagement urbain et faire évoluer la manière de concevoir l’espace public.

Jusque-là, dans une voie de 15 m de large, 75% de cette largeur est consacrée à la voiture (2 voies de circulation, et deux files de stationnement) pour laisser ce qui reste au trottoir, et tant pis si deux personnes ne peuvent marcher de front. Ces trottoirs « résiduels » n’offrent alors aucune possibilité d’appropriation de l’espace commun, sauf un usage de transit peu confortable. Ce schéma n’a plus de sens dans la ville de demain.

 

Reconquérir l’espace urbain

Outre un cheminement facilité pour les modes doux et les personnes à mobilité réduite, la limitation des transports individuels libère une emprise urbaine précieuse, qui offre la possibilité d’une réorganisation spatiale porteuse de nombreux usages nouveaux qui sont liés à la qualité de vie des quartiers et à l’écologie urbaine. Il est ainsi possible de créer plus de lieux de convivialité et d’échange tels que des salons urbains, de positionner de nouveaux espaces végétalisés (permettant l’infiltration des eaux pluviales et contribuant à la réduction des phénomènes d’îlots de chaleur), le développement de l’agriculture urbaine et la notion de circuits courts, l’implantation de jardins partagés, ou encore l’aménagement d’espaces libres polyvalents dédiés aux usages variés et évolutifs (danse, jeux, aires sportives, etc). Libérer l’espace urbain, c’est aussi ouvrir le champ des possibles pour une meilleure qualité de vie en commun.

L’intégration d’une mobilité repensée pour un urbanisme bas carbone est donc à associer à la reconquête qualitative de l’espace public. C’est une richesse urbaine réappropriée, qui est porteuse de vitalité sociale et environnementale.

Le projet de la reconquête de la voie André Malraux, réalisé par l’agence URBANICA pour le compte de la communauté urbaine du grand Poitiers, est exemplaire en ce sens : Cette artère est aujourd’hui une voie rapide, issue d’une logique pensée dans les années 70. Elle permet aux voitures de rejoindre très rapidement le cœur de ville. Pour des raisons évidentes de sécurité, les piétons y sont strictement interdits. Pour aller au centre-ville à pied ou en mode doux, les habitants du quartier des Couronneries n’ont aujourd’hui pas d’autre choix que de descendre le vallon pour ensuite remonter péniblement de l’autre côté. Au vu des dénivelés importants, l’épreuve est assez rebutante !

La voie André Malraux actuelle

En réalité, cet axe est largement surdimensionné. Sa position en plein cœur de l’agglomération et les nuisances et pollutions qu’il engendre ne correspondent plus à la perception que l’on peut se faire d’une ville moderne et responsable. La proposition faite par l’agence URBANICA a été de reconquérir cet espace pour proposer un lieu de vie animé, et une invitation aux échanges entre quartiers. Pour cela, la place de la voiture est fortement réduite pour passer à 2 fois une voie (au lieu de cinq voies actuellement). Cette rationalisation permet de conserver une desserte efficace du cœur de ville par les transports en communs, tout en créant une vaste coulée verte accueillant à la fois les piétons et vélos, mais aussi des fonctions de loisir et de détente.

Cette proposition d’aménagement permet en outre de réduire fortement l’empreinte carbone de cette voie, d’embellir l’entrée de ville et d’ouvrir cet espace à de nouveaux usages qui seront sans nul doute très appréciés par les habitants.

Illustration : projet de l’agence URBANICA pour une reconquête de la voie André Malraux à Poitiers

 

 

Article rédigé par Julien SCHNELL, Architecte DPLG et Urbaniste OPQU - Fondateur et président d'URBANICA

 

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