[Dossier Mobilités] #26 - Connaître et réduire les émissions polluantes dues au transport routier en Ile-de-France

6687 Dernière modification le 26/03/2021 - 14:39
[Dossier Mobilités] #26 - Connaître et réduire les émissions polluantes dues au transport routier en Ile-de-France

Le transport routier constitue l’une des principales sources d’émissions de dioxyde de carbone (CO2) d’une part, responsable du changement climatique, et d’oxydes d’azote (NOX) et de particules fines (PM2.5) d’autre part, deux polluants de l’air locaux ayant des effets délétères sur la santé humaine.

Pour réduire ces émissions, il importe de comprendre qui y contribue et quelles alternatives pourraient permettre de réduire ces émissions. Dans un article de recherche que nous résumons ici[1], nous traitons ces questions dans le contexte des déplacements quotidiens en utilisant l’Enquête générale des transports (EGT) 2010[2], le calculateur de temps de trajet Google Console Directions et le calculateur d’émissions polluantes d’Airparif. Nous nous concentrons sur les déplacements des personnes en semaine, à l’intérieur de la région Ile-de-France.

Rôle de la distance, de la part modale et du véhicule dans les émissions

Ces émissions sont très inégalement réparties puisque sur un jour de semaine moyen, les 20% des personnes les plus émettrices génèrent 75% des émissions de CO2, 78% des émissions de PM2.5 et 85% des émissions de NOX. Nous décomposons les émissions individuelles selon trois facteurs : la distance, le mode de transport et les émissions unitaires des véhicules individuels, et classons les personnes par quintile d’émissions, c’est-à-dire en 5 catégories de taille égale et de niveau croissant d’émissions (Figures 1 à 3). Le quintile le moins émetteur (c’est-à-dire les 20% d’individus qui émettent le moins) se distingue surtout par un mode de transport peu émetteur (marche, vélo et surtout transports en commun). Pour les NOX et les PM2.5, le quintile le plus émetteur se caractérise à la fois par des distances plus élevées, un mode de transport plus émetteur (principalement la voiture individuelle) et un véhicule dont les émissions unitaires sont plus élevées. Pour le CO2, seuls les deux premiers facteurs jouent de manière importante.

 

Figure  SEQ Figure \* ARABIC 1: Différence d’émissions NOx entre chaque quintile (où Q1 représente les 20% les moins émetteurs et Q5 les 20% les plus émetteurs) et le quintile du milieu (Q3), et responsabilité des facteurs distance, part modale et émissions unitaires des modes dans la différence

 

Figure  SEQ Figure \* ARABIC 2: Différence d’émissions de PM2.5 pour chaque quintile (où Q1 représente les 20% les moins émetteurs et Q5 les 20% les plus émetteurs) par rapport au quintile milieu (Q3), et responsabilité des facteurs distance, part modale et émissions unitaires des modes dans la différence

 

Figure 3: Différence d’émissions de CO2 pour chaque quintile (où Q1 représente les 20% les moins émetteurs et Q5 les 20% les plus émetteurs) par rapport au quintile milieu (Q3), et responsabilité des facteurs distance, part modale et émissions unitaire

Qui émet le plus ?

En utilisant des méthodes économétriques, nous étudions ensuite les caractéristiques individuelles corrélées aux trois facteurs explicatifs des émissions. La distance parcourue et le mode de transport sont largement influencés par le lieu de résidence (Paris, petite ou grande couronne ; proximité d’un arrêt de transports en commun), mais aussi par le fait d’être en activité plutôt que chômeur ou retraité. Le revenu joue également un rôle, mais principalement parce qu’il augmente la probabilité de posséder une voiture. Les caractéristiques associées aux émissions unitaires des véhicules diffèrent entre les polluants : être dans le décile de revenu le plus élevé est positivement corrélé aux émissions unitaires de CO2 (vraisemblablement parce que les véhicules les plus lourds et les plus puissants sont à la fois plus émetteurs et plus chers), tandis qu’être dans les deux premiers déciles de revenu est positivement corrélé aux émissions de PM2.5 (sans doute parce que les véhicules plus anciens sont plus émetteurs).

En se concentrant sur les personnes en emploi, pour lesquelles on dispose de davantage de données, on trouve que la probabilité de se déplacer en voiture est fortement influencée par le type de déplacement : elle augmente de 24 à 35 points de pourcentage pour les déplacements banlieue-banlieue par rapport aux autres. Travailler dans une usine ou en horaires atypiques est aussi associé à une plus forte probabilité de se déplacer en voiture, ainsi qu’être artisan ou avoir une profession libérale. A l’inverse, cette probabilité est plus faible pour les employés de la fonction publique et pour les personnels de service direct aux particuliers. Enfin, les véhicules des artisans et commerçants présentent des émissions unitaires plus élevées pour les trois polluants, sans doute à cause d’une part importante de véhicules utilitaires légers.

Quel potentiel de report modal ?

Nous avons ensuite cherché quelles pourraient être les alternatives aux trajets en voiture, responsables dans notre base de données de 90% à 96% des émissions, selon le polluant considéré. Pour chacun des trajets en voiture répertoriés dans l’EGT, nous calculons le temps que prendrait ce trajet s’il était effectué à vélo, vélo à assistance électrique (VAE) et transport en commun. Nous considérons qu’un changement de mode est possible s’il n’augmente pas la durée du déplacement de plus de 10 mn. Nous imposons des restrictions supplémentaires liées à l’âge pour le vélo (moins de 60 ans) et le VAE (moins de 70 ans), et pour certains déplacements dont nous considérons qu’ils impliquent de transporter des charges importantes (tournées professionnelles, typiquement pour les artisans), et pour ceux dont l’objectif est d’accompagner une personne. Dans deux autres scénarios, nous imposons des restrictions supplémentaires : dans l’un, nous limitons le temps supplémentaire quotidien à 20 minutes, et dans le dernier, nous excluons en plus les déplacements à destination des supermarchés et grands centres commerciaux, considérant qu’ils entraînent le port de charges lourdes ou encombrantes.

Le potentiel de report modal vers le vélo et surtout le VAE apparaît nettement supérieur à celui des transports en commun (deux à trois fois supérieur pour le VAE, en nombre de déplacements). Pour 49 à 68% des déplacements (selon le scénario), un report modal est possible. En revanche, au total ces reports ne réduiraient les émissions que de 18 à 33%, selon le scénario et le polluant considéré, l’explication étant que les déplacements les plus courts sont les plus faciles à substituer par le vélo ou le VAE, mais génèrent chacun moins d’émissions.

L’extension du réseau de transport en commun en Ile-de-France à l’horizon 2030 va certes augmenter le nombre de déplacements en voiture qui pourraient se voir remplacés par ce mode de transport, en particulier les déplacements banlieue-banlieue, pour lesquels la part de la voiture est aujourd’hui le plus élevé. Cependant, il paraît peu vraisemblable que cette extension renforce massivement le potentiel de baisse des émissions permis par le report modal. Ce constat invite à étudier les autres sources de réductions potentielles des émissions que sont la diminution des distances parcourues et le recours à la voiture électrique.

 

Au-delà du report modal, nous avons donc cherché à fournir de premiers éléments d’évaluation sur le rôle que pourrait avoir le télétravail (seule source potentielle de diminution des distances parcourues que nous pouvons étudier avec notre base de données) et le passage au véhicule électrique. Pour le télétravail, en combinant les informations sur le lieu de travail et celles sur la catégorie socio-professionnelle, nous concluons qu’au maximum 40% des personnes qui vont travailler en voiture pourraient passer au télétravail, et qu’un passage au télétravail à temps plein (hypothèse extrême) diminuerait de 17% les émissions de NOX et de 16% celles de PM2.5 et de CO2. Si l’on suppose de manière plus réaliste un télétravail 2 jours sur 5, ces chiffres tombent à 7 et 6%.

Au sujet de la voiture électrique, nous pouvons seulement apporter quelques éléments informatifs, considérant que le coût d’acquisition et la disponibilité des points de recharge sont deux des principaux freins à son développement. Concernant le coût, parmi les 58% de conducteurs qui ne peuvent recourir au report modal pour chacun de leurs déplacements, seulement 9% figurent parmi les deux premiers déciles, ce qui indique que la contrainte de budget est moins forte qu’en moyenne. Parmi ces conducteurs pour lesquels le report modal n’est pas une option, au moins 17% ont une station de recharge publique à moins de 500 m de leur domicile en 2020, et 77% ont une place de parking privée sur leur lieu de résidence, où une station peut donc être installée. Enfin, moins d’un pour cent d’entre eux roule plus de 200 km par jour, donc l’autonomie des voitures électriques ne serait pas un obstacle pour la mobilité quotidienne couverte par l’EGT.

Ce travail montre que parmi les options disponibles pour réduire la pollution due aux déplacements routiers, aucune ne peut être négligée. Le vélo, particulièrement à assistance électrique, permet potentiellement de remplacer la voiture pour une grande partie des trajets. En ajoutant vélo et transports en commun, le report modal peut éviter entre un cinquième et un tiers des émissions, selon les hypothèses prises concernant les limites à ce report. Le télétravail, quant à lui, ne pourrait éviter que moins de 10% des émissions non substituables par le report modal. Le potentiel de la voiture électrique apparaît plus important, mais la question de l’autonomie pour les déplacements hors de la région ne peut être traitée avec les données dont nous disposons, ce qui invite à mobiliser en parallèle les autres leviers de réduction des émissions, en particulier celui du développement du vélo.

 

Un article signé Marion Leroutier, doctorante et chercheuse au CIRED, PSE, et à l’Université Paris I, et Philippe Quirion, directeur de recherche CNRS au CIRED.

 

[1] Marion Leroutier, Philippe Quirion, Tackling Transport-Induced Pollution in Cities: A case Study in Paris. CIRED, PSE et Université Paris 1, à paraître.

[2] L’Enquête Globale Transport (EGT) a été réalisée entre 2009 et 2011. Elle a été pilotée par le STIF, ancien nom de Île de France Mobilités, en partenariat avec la DRIEA dans le cadre de l’Omnil.  18 000 ménages (soit près de 43 000 personnes) ont répondu à un questionnaire détaillé sur leurs déplacements. Source : « EGT 2010-STIF-OMNIL-DRIEA ».

 

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