[Dossier énergies renouvelables] #32 - Le Département : un chaînon essentiel de la transition énergétique

Rédigé par

Justine Bain-Thouverez

Avocate Associée chez LLC & Associés | Docteur en Droit Public Responsable du Pôle Affaires / Energie | Experte en droit de l’Energie et de l’Environnement

6313 Dernière modification le 22/12/2022 - 18:32
[Dossier énergies renouvelables] #32 - Le Département : un chaînon essentiel de la transition énergétique

 

Le rôle du Département dans la transition énergétique se situe entre la mission de planification de la région et les actions opérationnelles du bloc communal. Au-delà de la valorisation de son patrimoine, le Département a la possibilité d’être un connecteur à part entière dans la transition énergétique.

Il intervient comme liant et garant à la fois d’une meilleure équité individuelle par le prisme de son rôle en matière d’action sociale et notamment de chef de file de la lutte contre la précarité énergétique et de l’équité territoriale en venant appuyer les intercommunalités, en particulier en milieu rural : l’énergie est un levier de justice sociale.

Dans un mouvement général de décentralisation des politiques publiques, d’ouverture à la concurrence du marché de l’énergie, de montée en puissance des énergies renouvelables, de réduction des consommations énergétiques, le rôle des collectivités territoriales se trouve au cœur du pilotage d’une transition différenciée en fonction des caractéristiques territoriales, au plus près du terrain et des enjeux locaux. En ce sens, si le Département n’a pas a priori pas de compétence en matière de production d’énergie renouvelable (ENR) et ni en matière d’urbanisme, il est un échelon clé vers lequel se tournent les porteurs de projets pour poser une analyse, une vision sur le développement des énergies renouvelables, solliciter un soutien… 

Ainsi, la compétence en matière de solidarité territoriale des Départements tend à asseoir une meilleure équité territoriale dans l’appropriation des enjeux en matière de transition énergétique. C’est en premier lieu par la construction de stratégies contractuelles et financières de réduction de la consommation d’énergie et de production d’énergie renouvelable que chaque Département crée un effet d’entraînement vertueux sur son territoire. A l’heure où il va nous falloir bâtir de nouvelles solidarités énergétiques et recréer des équilibres entre intercommunalités et région, le département a un rôle clé de liant à jouer.

De façon générale, ces contrats de territoires permettent par exemple de :

  • Soutenir les collectivités désireuses de développer une démarche territoriale globale, innovante et durable (PCAET, TEPOS, contrats de transition écologique…)
  • Valoriser les ressources énergétiques potentielles
  • Inciter à la préservation des ressources naturelles
  • Orienter les acteurs locaux vers davantage de sobriété et d’efficacité énergétique
  • Participer à la réduction des émissions de gaz à effet de serre par des démarches globales

Le soutien porte sur l’accompagnement financier et technique pour la mise en œuvre d’une réflexion sur la transition énergétique du type document d’objectif, feuille de route ou plan d’actions d’un PCET, TEPOS, TEPCV, de contrats de transition écologique (CTE, CRTE) ou tout autre outil de planification énergie-climat.

Mais encore, afin de développer la production d’ENR, certains Départements construisent des planifications du mix énergétique en organisant la répartition de la production entre les différentes sources d’énergies renouvelables, entre différents types de consommateurs et d’usages et différents modes de stockage et de flexibilité.

 

Vers une planification des potentialités énergétiques d’un territoire

La capacité et la nécessité de fédérer les acteurs d’un même territoire sont un enjeu important notamment en milieu rural. Le bilan de l’exercice des compétences issues des précédentes réformes constate que le principal frein en matière de transition énergétique est l’absence de vision connue et partagée par les différents échelons territoriaux. Cela se traduit par de moindres résultats et des retards de l’action publique. De plus, l’articulation existante des compétences en la matière ne coïncide pas avec le besoin de mutualisation des moyens des acteurs qui n’atteignent pas de façon isolée la taille critique pour conduire certains projets.

C’est le choix volontariste du Département de l’Aude qui a mis en place un schéma d’aide à la décision d’implantation et de déploiement des ENR à l’attention des EPCI. Dans ce dessin, une concertation avec l’ensemble des acteurs (élus, Etat, DREAL, LPO) est systématiquement faite, dans le but d’avoir une action la plus efficiente possible. Il s’agit, dès lors, d’un schéma coconstruit de façon participative et citoyenne. En d’autres termes, l’objet de cet outil, établi en collaboration, est de ne pas développer à outrance, mais développer mieux, c’est-à-dire en cohérence avec les atouts et les faiblesses du territoire. Par la suite, il facilite l’émergence de projets en simplifiant les procédures et en permettant un gain de temps d’instruction des dossiers. Avant la loi NOTRe, les politiques départementales volontaristes visaient à étudier les meilleures opportunités d’investissement en matière d’ENR sur le périmètre de son territoire. L’échelon départemental permet de partager une vision fine de ces leviers économiques. Ce travail effectué sur la base d’un diagnostic territorial aboutissait sur l’élaboration de cartographies qui avaient également vocation à encourager l’implantation de certaines infrastructures délaissées par le secteur privé.  Le département est l’échelle de l’appui à l’incubation de projets

 

Focus sur l’action gersoise 

Ainsi, de la même façon, le Département du Gers a élaboré une feuille de route permettant à la collectivité de s’engager concrètement dans une démarche de transition écologique multi-sectorielle recouvrant le secteur des énergies, du logement, du transport, et du tissu économique départemental au sens large. 

Cette démarche élaborée en collaboration avec le consortium Greenflex-LLC & Associés s’est, dans un premier temps, attachée à réaliser une analyse du potentiel du Département, de ses opportunités, forces et faiblesses, des besoins actuels et futurs des activités économiques du territoire, de la revue des études techniques préexistantes, et la recherche et comparaison des acquis et avancées dans des collectivités similaires et/ou limitrophes, en consultant les acteurs locaux pertinents (intercommunalités, syndicat d’énergie, entreprises locales et chambres consulaires, associations citoyennes).

Dans une seconde phase, le consortium a identifié une liste étendue d’une cinquantaine d’actions et leviers de transition écologique que le Département était susceptible de mettre en œuvre. Une série de dix actions phares devant être développées et approfondies pour mettre le département sur une trajectoire « d’énergie positive » a été sélectionnée par les élus. 

Enfin, cette sélection d’actions a fait l’objet d’une analyse approfondie, comprenant l’élaboration de la stratégie de mise en œuvre et l’identification concrète des démarches nécessaires à la réalisation de ladite action : établissement d’un calendrier indicatif avec les démarches étape par étape, une estimation des bénéfices environnementaux et économiques et les coûts associés, une exposition des difficultés de mise en œuvre et une présentation des montages juridiques requis (constitution de sociétés de projets, communautés d’énergie renouvelable, groupements d’intérêt public, mandats de maîtrise d’ouvrage publique, etc.). 

Ce type de travail requestionne la gouvernance énergétique territoriale et soulève un nécessaire dépassement du cadre strictement urbain pour la mise en œuvre d’une démarche pertinente de transition énergétique. En particulier, cette analyse relève qu’il est intéressant d’apporter des éclairages sur le rôle du Département dans la structuration d’une filière bois, la mobilisation des ressources des collectivités (foncières et financières) pour le développement de nouveaux actifs de production (centrales photovoltaïques notamment), et la coopération inter-collectivités pour la facilitation du développement des réseaux (centralisation des informations locales de production de biomasse, à l’échelle interdépartementale pour le développement des réseaux de  biométhane) : pour soutenir la mise en œuvre d’initiatives clés et impactantes manquantes dans le paysage énergétique du territoire.

 

Décentralisation des objectifs de la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE)

La déclinaison régionale des objectifs nationaux de la PPE au sein des SRADDET, prévue dans l’actuel projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, doit rechercher une répartition des capacités de production des énergies renouvelables en fonction des projets de territoires. L’échelon départemental a toute sa place dans ces réflexions, par exemple par le prisme de sa compétence en matière de paysage. En effet, le paysage est, tour à tour, un outil pour structurer des projets de territoires (y compris de transition énergétique) et le résultat de leur déploiement et des usages qui les ont façonnés. Il en résulte que chaque paysage est unique car il est l’histoire d’un territoire, du patient labeur de ses habitants, de sa biodiversité et d’un climat qui va être de plus en plus changeant du fait d’émissions de gaz à effet de serre bien trop élevées.

En dehors des paysages d’exception, d’autres enjeux sont à prendre en compte : environnementaux mais aussi d’habitat, économiques, touristiques, agricoles, sociétaux… En conséquence, l'entrée par les paysages représente une opportunité pour développer des solutions de transition énergétique adaptées à la diversité, et aux spécificités, des paysages français qui font à bien des égards sa richesse, pour trouver aux projets énergétiques leur juste place dans le développement économique du territoire en lien avec les autres activités de celui-ci.

Elle invite les territoires à ne pas voir la transition énergétique uniquement sous l'angle du déploiement des énergies renouvelables mais bien, et en première intention, sous l’angle de la sobriété et de l’efficacité énergétique : celle d’un équilibre énergétique territorial harmonieux qui contribue à plus de solidarités.
 

Un article de l’Assemblée des départements de France (ADF)

Avec la participation du Département du Gers, GreenFlex et LLC & Associés

 


Article suivant : #33 - Les réseaux de chaleur : levier incontournable de la transition énergétique des territoires

 

Un DOSSIER réalisé avec le soutien de la :

 

 

Partager :