[Dossier énergies renouvelables] #39 - Vers l’autonomie énergétique du territoire de Châteauneuf-Grasse : dimensionnement d’une opération d’autoconsommation collective

Rédigé par

Julie COUSIN / Thomas BERTHOU

Julie COUSIN : ingénieur de recherche, ENGIE Lab CRIGEN / Thomas Berthou : Chercheur, Mines ParisTech - PSL

3671 Dernière modification le 25/06/2021 - 12:54
[Dossier énergies renouvelables] #39 - Vers l’autonomie énergétique du territoire de Châteauneuf-Grasse : dimensionnement d’une opération d’autoconsommation collective

Dans la commune de Châteauneuf-Grasse, située dans les terres entre Cannes et Grasse, un nouveau complexe multi-usages voit le jour en 2017. Le Plantier, batiment exemplaire, par ses performances thermiques et ses systèmes énergétiques (permettant notamment de récupérer la chaleur perdue et de produire une partie de son électricité via une micro-cogénération), devient une source d’inspiration et le point de départ d’une opération plus globale, à l’échelle du territoire.

Les objectifs

La mairie souhaite accélérer la transition énergétique et la décarbonation du territoire dans une volonté de se diriger vers l’autonomie énergétique. La production d’électricité sera multi-technique et multi-fluide, grâce à des cogénérations en remplacement des chaudières dans les bâtiments publics, mais aussi des panneaux photovoltaïques en toiture des bâtiments et des ombrières de parking. Via une opération d’autoconsommation collective, les habitants et entreprises locales pourront participer activement en tant que producteur et/ou consommateur. Un méthaniseur permettra de produire du gaz renouvelable et du bioGNV pouvant couvrir des besoins à l’échelle régionale.

 

Les acteurs

La commune s’appuie sur une collaboration avec le bureau d’étude TECSOL pour l’accompagnement photovoltaïque (PV), et avec GRDF, avec d’une part les ingénieurs efficacité énergétique et les conseillers aménagement pour l’autonomie gazière, et d’autre part la délégation technique nationale associée aux centres de recherche du CRIGEN et de Mines ParisTech pour l’analyse des potentiels d’autoconsommation collective sur le territoire.

 

Méthode ou outils

Afin d’évaluer le potentiel d’autoconsommation collective d’un territoire, il est nécessaire de connaître la consommation d’électricité des bâtiments et le potentiel de production locale de ce territoire. Il est aujourd’hui possible de calculer ces informations à des pas de temps fins (par exemple, toutes les 30 minutes sur une année complète) et à une large échelle (quartiers, villes) grâce à la simulation numérique. Cette simulation peut être réalisée en moins d’une heure et de manière fiable, ceci pour deux raisons principales.

La première est la disponibilité des données pour le paramétrage automatique des modèles énergétiques. En effet, depuis quelques années de nombreuses bases de données de description des territoires sont diffusées en open data par les ayants droit.  Par exemple, le recensement de l’INSEE[1] décrit de manière anonyme les occupants des logements et les systèmes de chauffage. La BDTOPO de l’IGN[2] décrit la forme et la localisation de tous les bâtiments de France, et fournit des informations sur les années de construction et les usages. ENEDIS, GRDF ou encore les exploitants des réseaux de chaleur partagent les données de consommations d’énergie annuelles par IRIS ou par adresse lorsque les règles de protection des données le permettent. Ces bases de données, homogènes sur tout le territoire métropolitain, associées à des algorithmes d’inférence qui complètent les informations manquantes, décrivent précisément le parc de bâtiments, les occupants et les principaux systèmes énergétiques.

La seconde est l’élaboration de modèles énergétiques simples, de chaque usage de l’énergie dans les bâtiments. La simplicité des modèles permet de proposer des temps de simulations compatibles avec les contraintes des bureaux d’études ou des collectivités, mais aussi un temps de paramétrage beaucoup plus court que les modèles détaillés. Par exemple, les besoins de chaleurs et de refroidissement des logements ont pu être calculés à partir d’uniquement 2 équations différentielles du second ordre, paramétrables à l’aide d’une vingtaine de paramètres. La simplification des modèles réduit la justesse de la simulation ; cependant une phase de validation et de calibration de certains paramètres mal connus permet de limiter les incertitudes. 

Les chercheurs du Centre d’Efficacité des Système de Mines ParisTech ont associé ces bases de données avec des modèles simplifiés au sein d’une plateforme de simulation des territoires appelée Smart-E[3] . Cette plateforme est opérationnelle pour le secteur résidentiel et devrait l’être fin 2021 pour le secteur tertiaire. Le principal intérêt d’un tel outil est de pouvoir évaluer en CO2, en énergie ou en euros l’ensemble des stratégies de décarbonation : rénovation, sensibilisation des occupants, installation de systèmes énergétiques mutualisés (PV, cogénération). L’approche est transposable sur des quartiers ou des villes choisies par l’utilisateur.

Smart-E a été utilisé pour évaluer le potentiel d’autoconsommation photovoltaïque collective de deux territoires de la commune de Châteauneuf-Grasse. La figure 1 illustre les consommations électriques simulées d’une journée d’hiver et d’une journée d’été ainsi qu’en regard, la production photovoltaïque.

Figure 1 : Consommation d’électricité modélisée des usages du secteur résidentiel du centre-ville de Châteauneuf (cercle de rayon 1 km), production d’électricité d’origine photovoltaïque simulée sur le même périmètre (courbe noire) avec 15% des surfaces de toits équipées de PV (~18 000 m²)

Les outils de modélisation du CRIGEN ont permis d’évaluer le potentiel de cogénération et les synergies entre vecteurs énergétiques.

 

Enseignements et résultats

Analyse énergétique

Ce travail de modélisation permet de calculer la consommation d’électricité (au pas de temps 30 min) de 604 logements situés dans un rayon de 1 km autour de la mairie ainsi que le potentiel de production photovoltaïque sur ce même périmètre. Trois critères à maximiser sont utilisés pour comparer différents scénarios d’installation de panneaux solaires sur les toits :

  • Le taux d'autoconsommation : la part de l’énergie autoconsommée par rapport à l’énergie solaire produite
  • Le taux d'autoproduction : la part de l'énergie autoconsommée par rapport à la consommation d’électricité totale des bâtiments
  • Le taux de couverture électrique : rapport entre la production annuelle d’électricité locale et la consommation annuelle d’électricité

Nom du critère

Taux d'autoconsommation

Taux d'autoproduction

Taux de couverture électrique

Valeurs pour 5% des toitures couvertes

74%

17%

23%

Valeurs pour 15% des toitures couvertes

41%

28%

70%

 

L’analyse de ces deux critères montre, sans surprise, qu’il n’est pas possible d’atteindre des taux élevés d’autoconsommation ou d’autoproduction sans système de stockage. En effet, une part importante des consommations d’électricité est liée au chauffage l’hiver alors que la production photovoltaïque est faible. L’été, on remarque que les consommations des piscines privées et des systèmes de climatisation sont en phase avec la production PV mais elle ne permet d’absorber qu’une faible partie de la production. À noter que l’installation d’une batterie de très grande capacité permettrait aux 604 logements d’être à 70 % autonomes en électricité et ceci avec uniquement 15 % des surfaces de toits (bâtiments résidentiels et tertiaires) équipées de panneaux photovoltaïques.

La solution conseillée pour améliorer les performances énergétiques de l’opération d’autoconsommation serait d’intégrer les bâtiments tertiaires au périmètre de l’étude. En effet, les commerces et les bâtiments de bureaux ont des consommations électriques déphasées avec le secteur résidentiel ; ce qui va augmenter le taux d’autoconsommation et le taux d’autoproduction. L’augmentation de la production via les micro-cogénérations permettrait également d’améliorer les résultats, car elles produisent lorsqu’il y a un besoin de chauffage. Pour cela, un mini-réseau de chaleur reliant plusieurs bâtiments pourrait être envisagé.

Faisabilité économique

La viabilité financière du projet est évaluée pour chaque scénario selon les points de vue des différentes parties prenantes via :

  • les temps de retour sur investissement pour la mairie ;
  • l’impact sur la facture des clients résidentiels.

Pour cela, il faut évaluer les coûts de l’électricité, en distinguant la part produite et autoconsommée, de celle soutirée au réseau.

Coûts de production de l’électricité

Pour évaluer les coûts de production de l’énergie, on calcule le Levelized Cost of Energy (LCOE). Cet indicateur prend en compte l’ensemble des coûts et de la production d’énergie sur la durée de vie des équipements et permet de situer le projet à d’autres technologies (Figure 2).

Figure 2 : Comparaison des performances économiques de différents modes de production ENR[4]

Régime de taxes

L’autoconsommation est soumise à un régime de taxe spécifique qui diffère selon le mode de répartition de l’énergie. Par exemple, en autoconsommation individuelle (ACI), une partie des taxes est exonérée, ce qui n’est pas le cas pour l’autoconsommation collective (ACC).

Les taxes ont été calculées pour deux configurations :

  • ACI + ACC : l’énergie produite est consommée en priorité par les bâtiments producteurs et le surplus est distribué à l’ensemble des consommateurs
  • ACC : l’ensemble de l’énergie produite est directement partagé entre tous les consommateurs.

Différentes options pour la mairie

La mairie souhaite maximiser la participation des habitants à l’opération d’autoconsommation collective. Étant propriétaire des installations de production d’énergie renouvelable, elle dispose d’un levier important pouvant favoriser l’adhésion au projet : le prix de vente de l’électricité au sein de la communauté.

Deux cas sont ainsi évalués :

  • Le plus intéressant pour les consommateurs résidentiels : gratuité de l’énergie produite localement
  • L’acceptabilité maximale : vente de l’énergie au même prix que le réseau.

Faisabilité économique

En ACI+ACC, l’énergie est consommée en priorité sur les bâtiments publics et les économies sont donc maximisées pour la mairie. Les temps de retour sur investissements sont ainsi meilleurs qu’en ACC (7 ans en moyenne contre 14 ans pour l’ACC). Certains scénarios ont une rentabilité acceptable, même en cédant gratuitement l’énergie produite, mais l’économie reste marginale pour les consommateurs résidentiels (3% de gain sur la facture), le surplus (l’électricité restant pour l’autoconsommation collective) à partager étant trop faible.

On observe le mécanisme inverse en ACC, les bâtiments publics n’ayant plus la priorité de consommation, la quantité d’énergie répartie sur les consommateurs privés est plus importante et le gain sur les économies sur la facture sont de fait plus importantes.

Configuration

Gain sur la facture des clients résidentiels

ACI + ACC avec revente

0%

ACC avec revente

30%

ACI + ACC sans revente

3%

ACC sans revente

45%

 

Conclusions et perspectives

Cette étude a permis d’orienter la commune de Châteauneuf vers un scénario optimum pour son opération d’autoconsommation et elle envisage de modifier les documents d’urbanisme pour intégrer nos recommandations. Une nouvelle génération d’outils de modélisation des territoires permet de réaliser un diagnostic rapide et précis avant l’audit physique qui permettra de valider et d’affiner les propositions issues de la simulation. La prochaine étape sera d’identifier les stratégies de rénovation du parc de bâtiments les mieux adaptées au contexte local et qui permettra la neutralité carbone pour 2050.

Un article signé Thomas Berthou, Ingénieur de recherche à MINES ParisTech, et Julie Cousin, Ingénieur de Recherche chez Engie.

 

[1] Institut national de la statistique et des études économiques (https://www.insee.fr/)

[2] Institut national de l’information géographique et forestière (https://www.ign.fr/)

[3] Berthou et al., Smart-E: a tool for energy demand simulation and optimization at the city scale, Building Simulation, 2015

[4] Source IEA : https://www.iea.org/articles/levelised-cost-of-electricity-calculator


Article suivant : #40 - Le circuit-court de l’énergie au service des territoires 

 

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