[Dossier énergies renouvelables] #22 - Penser aux architectures électriques innovantes pour la transition énergétiques : les réseaux intérieurs dans les bâtiments et les réseaux fermés de distribution 

Rédigé par

christian gerard

3578 Dernière modification le 14/06/2021 - 12:31
[Dossier énergies renouvelables] #22 - Penser aux architectures électriques innovantes pour la transition énergétiques : les réseaux intérieurs dans les bâtiments et les réseaux fermés de distribution 

Une partie de la réponse aux enjeux énergétiques et climatiques se trouve dans la décentralisation des solutions techniques, notamment dans le partage des énergies à l’échelle locale, à l’échelon du bâtiment et/ou du quartier. 

Deux architectures électriques, relativement méconnues, peuvent répondre dans certains cas et sous certaines conditions à ces enjeux. Ce sont les réseaux fermés de distribution et les réseaux intérieurs dans les bâtiments. Ces deux types de réseaux sont des raccordements indirects au réseau public de distribution, les consommateurs en aval étant distribués par un réseau non exploité par ENEDIS et hors régime de concession. Ils permettent une mutualisation des besoins de production et de consommation, un gain de surface constructible sur site, et réduisent, à l’échelle globale, le gaspillage des ressources grâce à un moindre dimensionnement des réseaux publics de distribution. 

Ils peuvent être une des solutions techniques pour satisfaire aux exigences de sobriété énergétique portées par la RE 2020 et le décret éco-énergie tertiaire, dès lors que ces derniers préconisent le recours à la production photovoltaïque sur site, maximisant les montages technico-économico-juridiques en autoconsommation individuelle et collective réduisant conséquemment le coût du lot « courant fort », dans les éco-quartiers nouveaux et  en cas de rénovation. 

À partir de quelques exemples généralisables argumentés ci-après, il est possible de montrer l’intérêt sur toute la chaîne de valeur immobilière en incluant la construction, l’exploitation voir les valeurs locative et vénale de ces solutions techniques décentralisées. 

 

Les réseaux intérieurs dans les bâtiments

Le dernier né de la typologie des réseaux électriques possibles de distribution a été consacré par la loi dite «Hulot» de 2017 et son décret d’application n° 2018-402 du 29 mai 2018. 

Un réseau intérieur concerne des installations intérieures à des immeubles à usage principal de bureaux qui appartiennent à un propriétaire unique, c’est à dire, les immeubles [1] dont au moins 90 % de la surface hors œuvre (SHON) nette est consacrée aux sous-destinations « locaux et bureaux accueillant du public des administrations publiques et assimilés » et « bureau » [2]. La latitude offerte par cette définition permet d’envisager la desserte de locaux de type commerciaux, dès lors que la SHON occupée est inférieure à 10 %. 

Les réseaux intérieurs dans les bâtiments existent depuis bien longtemps dans les immeubles de bureaux principalement, généralement sans sous-comptages, et le coût d’énergie est refacturé dans les charges au tantième des surfaces locatives. Lorsque le réseau intérieur est déclaré, la solution de raccordement doit respecter le principe du libre choix du fournisseur par le consommateur, ne pas faire obstacle au droit de participation au mécanisme d’effacement  de consommation, ne pas porter atteinte au droit pour un producteur d’une installation en aval de bénéficier de l'obligation d'achat, des garanties d'origine ou du complément de rémunération. 

Afin de respecter ces conditions, les réseaux intérieurs obligent l’installation d’un dispositif de décompte de la production et de la consommation par le gestionnaire du réseau public, prestation acquittée par le titulaire du point de livraison suivant le tarif fixé unilatéralement par le gestionnaire. Côté titulaire du point de livraison, ce dernier est soumis à une obligation d’informer les utilisateurs du réseau des informations sur les frais d'acheminement dont il s'acquitte au titre de ce point de livraison en lien avec les consommations desdits utilisateurs. Le cadre juridique manque de précision sur ce dernier élément. Le titulaire du réseau n’étant pas nécessairement fournisseur d’électricité, il ne procède pas à une activité d’achat pour revente d’électricité. La liberté contractuelle semble donc primer à la fois pour le coût de l’électricité autoconsommée (une installation de production et une installation de consommation en aval d’un réseau intérieur), et pour l’intégration des frais liés à la prestation de décompte. Enfin, dernière spécificité, le réseau intérieur n’étant pas un réseau public de distribution, l’électricité qui y transite n’est pas assujettie aux taxes afférentes. L’ensemble de ces dispositions offrent donc un cadre susceptible de dynamiser les opérations d’autoconsommations individuelles et collectives au sein d’un bâtiment. 

 

Un exemple type de l’utilisation innovante de ce type de réseau avec autoconsommation : étude comparative 

Le cas typique est celui d’un immeuble de bureaux avec plusieurs locataires différents dont un commerce en rez-de-chaussée avec le respect d’au moins 90% de surface SHON en bureaux, (noter qu’il peut y avoir plusieurs commerces, un RIE, etc) ; avec  deux postes, un poste de distribution publique et un poste privé HTA pour les services généraux :

 




Dans ce premier cas, il y a alors : 

  • 2 locaux de poste à créer (génie civil supplémentaire) souvent en rez de chaussée.
  • Perte de surface commerciale en RDC, environ 20 m² et en étage (1m²/étage) si colonne montante. Ou plus généralement, perte de surface noble en valeur vénale et locative.
  • Servitudes d’accès sur l’installation en concession et sur le local transformateur.
  • Coût d’énergie plus élevé (TURPE BT et TCFE)
  • Surcoût d’investissement de 80 k€ HT
  • Une surpuissance installée qui ne servira jamais
  • En analyse ACV, deux fois plus de poids carbone dans la construction pour le lot courant fort, sans aucune justification technique.
  • Peu adaptée à la flexibilité locative (si 1 ou peu de locataires, obligation de souscrire plusieurs TURPE).
  • Pour ENEDIS, un CAPEX supplémentaire avec une réfaction qui ne comblera pas le surcoût

Dans la version autoconsommation avec production photovoltaïque, on peut imaginer diverses solutions, toutes impliquant que le producteur aval ne soit pas considéré comme un fournisseur d’électricité. On est quasiment dans le cadre d’une autoconsommation individuelle, avec la nécessité, d’un point de vue juridique, de s’assurer que la vente relève d’un service et non de la fourniture d’électricité. C’est pour satisfaire cette obligation qu’il convient de vérifier en amont la faisabilité juridique des solutions technico-économiques. 




L’hébergeur est le titulaire du point de raccordement unique au réseau ENEDIS. L’hébergé est représenté par les locaux loués.

  • Gain de surface, environ 20 m² en RDC (récupérable en commerce RDC), car un seul local transformateur au lieu de deux (si en amont, étude avec l’architecte)
  • Obtention d’un gain de surface noble vénale et locative.
  • Gain sur le TURPE, entre 15 et 20 €/MWh selon la puissance.
  • Gain sur les TCFE, jusqu’à 9,6 €/MWh
  • Perte de TCFE pour les AODE et perte de TURPE BT pour ENEDIS.
  • Très bonne flexibilité locative.
  • Meilleure analyse ACV sur le lot courant fort.
  • Pour un commerce en rez de chaussée 2% de gain sur le CA*/m² pour un 1000 m² mais 4% sur un 500 m² - (*) hypothèse d’un CA de 10k€/m²

Dans le cas montré ci-dessus, chaque locataire doit pouvoir choisir son fournisseur de complément si-besoin, ce qui implique la mise en place de sous-comptage. Pour le producteur en aval, il peut choisir une solution sans sous-comptage avec une répartition au tantième des surfaces locatives, généralement lorsque les locataires sont des PME, TPE, la facture électrique étant incluse dans les charges et non en kWh ; ou une autre avec un fournisseur mandaté par le property manager ou l’asset manager qui réparti l’énergie et la facture via des sous-comptages ou encore envisager une clef de répartition conventionnelle entre chaque locataire – charge au producteur de s’assurer de l’effectivité du dispositif. Le modèle est donc relativement proche de celui d’une opération d’autoconsommation, mais hors du réseau public de distribution et des obligations réglementaires liées à la gouvernance, notamment la question de la détermination de la personne morale organisatrice. 

A noter que cette architecture électrique de réseau intérieur est très bien adaptée pour le raccordement des bornes de recharges (IRVE) dans les bâtiments de bureaux existants d’autant plus que la majeure partie des puissances installées sont surdimensionnées, voir le graphique suivant :


L’installation de bornes de recharges peut être facilement intégrée sur le réseau intérieur du bâtiment sans passer par un renforcement du réseau public.

 

Les réseaux fermés

Comme les réseaux intérieurs, les réseaux fermés existent depuis longtemps. Ils sont au nombre d’environ 600 actuellement sur le territoire national et alimentent surtout des zones portuaires, aéroportuaires, industrielles, commerciales, universitaires, hospitalières voire alimentaires (MIN de RUNGIS). 

L’existence des réseaux fermés est consacrée par l’ordonnance de 2016 [3]. Un réseau fermé est un réseau de distribution qui alimente un  site géographiquement limité, dans lequel se situe un ou plusieurs consommateurs non résidentiels (industrie, commerce, partage de services etc. Il doit satisfaire une des deux conditions suivantes : « l'intégration dans ce réseau des opérations ou du processus de production des utilisateurs est justifiée par des raisons spécifiques ayant trait à leur technique ou à leur sécurité » ; « ce réseau distribue de l'électricité essentiellement au propriétaire ou au gestionnaire de réseau ou à des entreprises qui leur sont liées au sens de l'article L. 233-3 du code de commerce ».

Si en France la situation reste incertaine, la possibilité de raccorder indirectement aussi bien des unités de production que des unités de consommation, sans qu’il n’y ait une identité d’acteur au sein de cette boucle est validée par la Cour de Justice de l’Union européenne depuis 2018 (CJUE, 28 nov.  2018, Solvay Chimica). 

Le comptage est placé sous la responsabilité du gestionnaire, sauf lorsque les utilisateurs  interviennent sur les marchés ou participent à des mécanismes qui nécessitent une contractualisation avec les gestionnaires des réseaux publics. Dès lors, sont expressément garantis : les droits d’accès des tiers au réseau, de participer aux mécanismes d’ajustement, de réservation de puissance, et d’effacements de consommation. 

La détention et la gestion d’un tel réseau est soumise à autorisation, et d’ailleurs les réseaux déjà existants devront procéder à leur régularisation dans les six mois suivant la publication d’un décret qui se fait toujours attendre. L’utilisation du réseau donne lieu au paiement de redevances, dont le tarif, propre à chaque réseau, sera fixé par la CRE. 

Propriétaire et  gestionnaire peuvent être la même personne, publique ou privée. Une réelle attention devra être portée au contrat liant le gestionnaire et le propriétaire, particulièrement si ce dernier est une AOD, notamment sur les questions de responsabilité. De plus, il n’est pas acquis que les biens du RFD puissent bénéficier de la qualification de bien de retour, dès lors que ce réseau ne relève pas du droit des concessions du service public de la distribution d’électricité. 

Les utilisateurs, personnes morales ou physiques, sont ceux dont les installations soutirent ou injectent de l'électricité directement sur ce réseau. Ne sont pas concernés les clients résidentiels, sauf s’ils sont employés par le propriétaire du réseau (ou similaire), et résidant dans la zone du réseau ». Cela aurait pu freiner l’usage des réseaux fermés dans les éco-quartiers, mais des solutions technico-juridiques existent là aussi. 

 

Toutefois, des réalisations innovantes passent outre cette restriction

Ainsi, la notion de site de services partagés, comme élément de la définition des activités pouvant bénéficier d’un réseau fermé, est intéressante, car elle permet, dans un éco-quartier notamment, de mutualiser les énergies de production au travers d’un réseau électrique mono-utilisateur.

Un exemple récent est celui du projet « cœur de quartier à Nanterre » où la distribution électrique des pompes à chaleur est assurée par un réseau fermé. Ainsi, le réseau fermé est utilisé pour les besoins des pompes à chaleur détenues par Dalkia et satisfaisant alors les besoins des pompes à chaleur au titre des services partagés. 

Ces pompes à chaleur alimentent, en pied d’immeuble, les différents bâtiments de l’éco-quartier selon le schéma suivant :

Le réseau fermé est installé en partie privative et n’est pas sous des voies publiques en concession.

Ces réseaux soutiendront le développement de l’autoconsommation collective. Une question demeure, celle de la possibilité pour les futures communautés d'énergie d'utiliser un tel réseau pour leurs propres besoins – notamment pour alimenter des installations de production d'énergie thermique, dès lors qu'elles ne peuvent ni détenir ou exploiter un réseau de distribution d'électricité... 

Ces nouveaux réseaux montrent la voie pour un mode de distribution de mutualisation des besoins en évitant un renforcement coûteux du réseau public de distribution.

Un article signé Christian Gerard, technicien chez Dalkia, et Blanche Lormeteau (Docteur en Droit, Auteur du rapport Autoconsommation collective et le stockage de l'électricité - projet FLEXBAT, ADEME, 2018).

[1]  Art. L.345-1 et suivants du C. de l'énergie 

[2] Art. D.345-1 du C. de l’énergie tels que définis aux  4° et 5° de l'article R.515-28 du code de l'urbanisme

[3] Articles L344-1 et suivants du C. de l’énergie


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