#3 - Pour des villes plus résilientes : adapter aussi les modèles économiques de l’aménagement

Rédigé par

Vivian DEPOUES

3267 Dernière modification le 30/11/2021 - 11:13
#3 - Pour des villes plus résilientes : adapter aussi les modèles économiques de l’aménagement

L’adaptation aux conséquences du changement climatique des bâtiments et des espaces urbains dans lesquels ils s’inscrivent, pose de nombreuses questions économiques. Si l’on ne souhaite pas se limiter à quelques opérations exemplaires mais forcément exceptionnelles car non viables financièrement, des défis sont à relever. A partir des travaux conduits par I4CE et Ramboll France dans le cadre du projet de recherche Findapter, soutenu par l’ADEME, cet article revient sur les conditions à réunir pour intégrer systématiquement l’adaptation dans les projets et les illustre à partir de l’étude du projet d’aménagement de Pirmil-Les-Iles sur le territoire de Nantes Métropole.

En amont des projets – un environnement propice à l’adaptation

L’adaptation du bâti et a fortiori de la ville aux changements climatiques est toujours le fruit d’une ambition collective dans un contexte donné. Elle se construit comme une réponse particulière à des conditions locales et implique toutes les partie-prenantes du projet, des maîtres d’ouvrage aux usagers en passant par les architectes ou les entreprises de la construction. Elle s’inscrit dans un cadre règlementaire mais exprime aussi le rapport des porteurs du projet aux risques climatiques : sont-ils prêts à vivre avec le risque, à quelles conditions, comment choisissent-ils de s’y préparer ? Le premier prérequis pour que l’adaptation soit prise en compte est donc que le projet s’inscrive dans un environnement propice pour mettre explicitement le sujet sur la table le plus en amont possible.

Les caractéristiques de ce type d’environnement sont : un accès à l’information facilité, l’existence d’espaces d’échange et de modalités de prise de décision adaptées à la diversité des acteurs impliqués, à la fois une flexibilité des cadres normatifs et une forme de stabilité des objectifs et des règles du jeu.

L’émergence et l’entretien d’un tel environnement a un coût auquel tout le monde participe de fait (en dédiant du temps à des échanges, des ateliers, en partageant de la connaissance, etc.) mais qui peut également faire l’objet d’une prise en charge dédiée. Le rôle de réseaux et de structures de sensibilisation et d’animation – comme les entités du réseau bâtiment durable sur des sujets comme le confort d’été – est, en ce sens, crucial.

 

Pirmil-les-Iles – la révision du PPRi comme invitation à réfléchir aux façons de « vivre avec la Loire »

Dans le cas de l’opération de Pirmil-Les-Iles à laquelle nous nous sommes intéressés, le projet, partiellement en zone inondable, n’a été possible que parce qu’il intègre l’adaptation à l’évolution de ce risque. Cette intégration est le produit d’un processus exploratoire piloté par l’architecte Frédéric Bonnet en amont du projet qui a permis de mettre en place un cadre tenant compte des spécificités locales et des intentions de la collectivité. Les bonnes conditions ont été réunies grâce à une bonne synchronisation des calendriers d’étude et de révision du Plan de prévention des risques d’inondation. La discussion a aussi été possible parce que l’aménageur et la collectivité disposaient d’une ingénierie performante et ont pu y consacrer le temps nécessaire.

En phase projet, l’adaptation c’est avant tout de l’intelligence à mettre dans les opérations.

Au moment de passer des intentions au projet – de construction ou d’aménagement – il n’y a pas de recette miracle pour l’adaptation. C’est lors des phases de conception que le plus de marges d’action sont disponibles. En faisant de la prise en compte des vulnérabilités locales – au risque inondation ou à la chaleur par exemple – un axe directeur de la conception des opérations, il est possible de faire les choix les mieux adaptés au moindre coût.

Ainsi, parmi les premiers leviers d’adaptation on trouve l’orientation, la géométrie, l’emplacement, l’inertie (via le choix des matériaux), la surface vitrée, et la végétalisation des bâtiments. Ces directions étant structurantes dans un projet, elles doivent être réfléchies et discutées par le maître d’ouvrage et ses maîtrises d’œuvre en se libérant des automatismes. C’est ce temps d’échange et de conception – largement facilité par les nouveaux outils numériques, du BIM à la simulation thermique dynamique – qui nous fait dire que l’adaptation c’est avant tout de l’intelligence mise dans les projets.

Pirmil-les-Isles : vers une « commande qui génère du changement » ?

A Pirmil, le temps a été pris pour cette étape de conception et de concertation, quitte à rallonger les délais du projet. Une démarche collaborative à destination de plus de 400 professionnels de toute la filière du BTP, animée par Novabuild, a été organisée de 2019 à 2021. La volonté du maître d’ouvrage et l’interdisciplinarité de l’équipe de maîtrise d’œuvre ont permis de mettre l’adaptation, avec d’autres considérations environnementales, au cœur du projet.

Les choix faits en matière de végétalisation l’illustrent bien : la trame végétale et le réseau d’ombrage ont été définis dès cette phase comme un équipement indispensable et un déterminant fondamental du projet devenant dès-lors dimensionnant non seulement pour les espaces publics mais également pour la promotion immobilière en imposant une importante part de pleine terre sur les lots bâtis.

Le défi devient alors de trouver la meilleure manière de traduire de telles intentions dans des dispositions réalistes – de produire, dans le cas de Pirmil « une commande qui génère du changement ». Cela implique un important dialogue amont avec les différentes filières (toujours en cours) pour s’orienter vers des solutions qui seront effectivement disponibles et implémentables.

 

Au final, où sont les coûts de l’adaptation ?

On peut raisonnablement considérer qu’une conception bien pensée, qui intègre les évolutions du climat dans les choix de géométrie ou d’orientation, ne génère que des surcoûts négligeables au regard des coûts totaux d’un projet de construction. La mise en œuvre de certaines solutions techniques d’adaptation pourra, quant à elle, impliquer des coûts additionnels plus ou moins importants : relativement limités pour certaines solutions passives comme des protections solaires pour améliorer le confort d’été ou la pose de batardeaux pour se protéger des inondations, ou plus importants pour installer un puis provençal ou construire un espace refuge dans le bâtiment[1].

Mais les impacts les plus importants sur le modèle économique d’une opération sont peut-être les coûts indirects des choix de conception adaptés. En effet, certains de ces choix peuvent modifier les caractéristiques essentielles, voir les types de bâtiments et d’espaces urbains qu’il est possible de construire. Minimiser l’imperméabilisation des sols, faire une place importante à la végétation, privilégier des logements bi-orientés et traversants, prévoir des hauteurs sous-plafond suffisantes pour installer des brasseurs d’air ou encore repenser les usages des rez-de-chaussée pour prévoir la possibilité qu’ils laissent s’écouler l’eau sont autant de décisions qui sont loin d’être neutres pour l’économie globale d’un projet.

 

Le besoin de créativité dans les modèles économiques

Ces décisions ne peuvent se réfléchir que dans la cohérence d’ensemble d’une opération. Pour que l’adaptation ne devienne pas une source d’injonctions contradictoires, incompatible avec d’autres objectifs importants – zéro artificialisation ; accessibilité des logements, etc. – il y a besoin de créativité dans la conception non seulement urbanistique et architecturale mais également économique des projets. Tous les acteurs concernés, maîtres d’ouvrage, promoteurs mais aussi utilisateurs finaux des bâtiments doivent pouvoir se retrouver pour identifier leurs marges de manœuvre en raisonnant en coût complet. En effet, les conséquences économiques ne s’arrêtent pas à la construction : plus de végétation voulant aussi dire un entretien différent des espaces verts et donc une évolution des coûts de gestion, une prise en compte amont du confort d’été pouvant limiter les dépenses de climatisation, etc.

Les acteurs les mieux à même de composer avec les spécificités de chaque contexte, par exemple ceux dont le modèle d’affaire est moins fondé sur des économies d’échelles permettant de limiter le coût de revient au mètre carré que sur la capacité à valoriser différents services seront probablement les mieux placés pour trouver les solutions. Les acteurs publics peuvent contribuer à faire émerger ces sujets (dans les PLU ou par la commande publique) ; à structurer ces discussions et mieux mettre en valeur les atouts des bâtiments adaptés.

Dans le cas que nous avons étudié, ces réflexions sont toujours en cours, les équilibres sont loin d’être simples à trouver. Cela nécessite de réexaminer l’ensemble des termes de l’équilibre économique pour identifier les marges de manœuvre, en limitant le superflu ou en mutualisant certains coûts par exemple.

Un article signé Vivian Dépoues, chef de projet Adaptation aux changements climatiques chez I4CE

http://www.i4ce.org

Pour aller plus loin :

Crédits photos :  Louis Morault sur Unsplash


[1] I4CE est en train de conduire un premier travail de chiffrage plus précis de ces coûts et d’estimation des besoins pour soutenir l’adaptation des bâtiments en France.


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