#29 - Les espaces refuges, une réponse programmatique à la résilience des territoires

Rédigé par

Nicolas Rougé

Directeur

5132 Dernière modification le 15/12/2021 - 12:54
#29 - Les espaces refuges, une réponse programmatique à la résilience des territoires

Les communs urbains, une source d’inspiration pour les espaces refuges

Une autre ville a proposé, dans la cadre de sa mission pour le compte de la SOLIDEO (AMO Excellence Environnementale sur les sites olympiques et paralympiques de Paris 2024), d’aborder, sur le Village des Athlètes et le Cluster des Médias, la question du renforcement de la résilience territoriale. Une problématique particulièrement importante est celle de la gestion des événements climatiques extrêmes, à travers l’exploration d’un nouveau concept programmatique : les « espaces refuges ». Le présent article fait un premier point d’étape de cette démarche originale.

Le terme de résilience est aujourd’hui devenu courant dans le langage professionnel de l’urbanisme et de l’aménagement, pour ne pas dire fourre-tout. Commençons donc par définir précisément de quoi nous parlons. De nombreuses définitions existent déjà (cf. encadré), et nous en retenons principalement deux choses :

  • L’objet de la résilience urbaine n’est pas la réduction du risque mais ce qui augmente la capacité de la ville et de ses habitants à vivre en dépit de ce risque tant qu’il plane, et à s’en remettre quand il advient.
  • La notion de résilience ne doit pas être confondue avec la prévention des risques : elle postule l’impossibilité d’anticiper parfaitement tous les risques, compte tenu du caractère systémique et chaotique des crises en cours et à venir et donc des fortes incertitudes qui existent quant à la nature exacte de ces crises, leur ampleur, leur durée, leurs effets ou encore de possibles effets dominos. Elle adresse précisément l’imprévisible, c’est-à-dire l’angle mort de la prévention.

Encadré : quelques définitions de la résilience urbaine

« Capacité d’individus, de communautés et de systèmes de survivre, de s’adapter et de croître face à des situations de stress et des chocs, voire de se transformer si les conditions l’exigent » The Royal society Science policy center report (2014), Resilience to extreme weather « La résilience est la capacité de tout système urbain et de ses habitants à affronter les crises et leurs conséquences, tout en s’adaptant positivement et en se transformant pour devenir pérenne. Ainsi, une ville résiliente évalue, planifie et prend des mesures pour se préparer et réagir à tous les aléas – qu’ils soient soudains ou à évolution lente, prévus ou non. » ONU-Habitat « La résilience urbaine est la capacité des personnes, communautés, institutions, entreprises et systèmes au sein d’une ville à survivre, s’adapter et se développer quels que soient les types de stress chroniques et de crises aiguës qu’ils subissent. Les sept caractéristiques permettant de désigner un système résilient : inclusif, intégré, réfléchi, ingénieux, robuste, redondant, flexible. » Ville de Paris (membre du réseau 100 Resilient Cities), Stratégie de résilience de Paris, 2016

L’espace refuge, un nouveau concept programmatique

Au regard d’une telle approche globale de la résilience territoriale, il nous a paru pertinent - pour ne pas dire essentiel- de rechercher des réponses nouvelles aux immenses défis qu’elle soulève et notamment aux enjeux suivants :

  • Limiter les dépendances aux grandes infrastructures et aux grands systèmes urbains, donc fournir quelques services de base comme une source d’énergie, de l’eau, de l’assainissement, de la nourriture, des solutions de mobilité… (lieux de production et services autonomes)
  • Pouvoir accueillir, sécuriser, secourir, soigner… les habitants en cas de crise aiguë (lieux d’accueil et d’hospitalité)
  • Encourager le lien social (espaces de sociabilité)

Notre réponse a pris la forme d’une nouvelle typologie urbaine, déclinée dans les parties communes des immeubles ou dans les cœurs d’îlots, dans les équipements, sur l’espace public… avec une programmation spécifique selon chaque contexte. Nous avons dénommé cette typologie « espaces refuges », mais d’autres dénominations moins anxiogènes pourraient également convenir (« oasis », « havres »…). Dans notre esprit, les espaces refuges ne sont pas stricto sensu une nouvelle catégorie de programme : il s’agit plutôt de doter certains espaces ou programmes de « fonctions refuges » additionnelles, qui renforcent leur rôle de commun et accentuent la nécessité d’organiser leur gouvernance.

Nous avons ainsi proposé la définition suivante des espaces refuges :

« Espaces collectifs offrant en plus de leurs fonctionnalités habituelles, des qualités spécifiques pour l’accueil et le secours aux populations les plus vulnérables en période de crise. »

Il nous a, par ailleurs, semblé que les opérations d’aménagement étaient des terrains d’expérimentation intéressants et pertinents pour explorer à échelle 1:1 un tel concept.

Une expérimentation sur les villages olympiques et paralympiques de Paris 2024

Ces réflexions ont croisé celles de la SOLIDEO, maître d’ouvrage des deux villages des Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024, qui souhaitait inscrire la résilience territoriale à l’agenda de ses projets. L’objectif d’intégrer au moins un espace refuge par lot immobilier a ainsi été inscrit dans le cahier des charges du Village des Athlètes en 2019[1].

Plan du futur village olympique et paralympique © Solideo

Cet objectif, présenté comme exploratoire d’une nouvelle démarche et en cela assez différent des autres objectifs d’excellence environnementale du village, visait à :

  • Esquisser les contours de ce que pourraient être différents types d’espaces refuges en fonction de la capacité des opérateurs immobiliers et de leurs maîtres d’œuvre à intégrer en un même lieu tout ou partie des objectifs des espaces refuges.
  • Examiner dans quelle mesure ces espaces pourraient être aménagés dès livraison (horizon Jeux 2024 ou Héritage 2025) ou être réalisés ultérieurement en organisant la flexibilité d’usage ou la réversibilité de certains types d’espaces (stationnement souterrain, cœurs d’îlot, RdC…).
  • Définir un mode de gestion de ces espaces en recherchant une gestion collective, voire collaborative.

 

Dans l’esprit de la définition de la résilience rappelée ci-dessus, il ne s’agissait pas de partir de la nature de crises potentielles (événement climatique extrême, crise sanitaire, crise sociale, économique ou migratoire, blackout électrique, pic de pollution…) et d’en déduire des mesures à prendre. A l’inverse, il s’agissait bien de partir de ces « fonctions refuges » répondant à une ou plusieurs de ces crises, a minima au bénéfice des populations les plus vulnérables, celles n’ayant pas les moyens de fuir. On peut citer, parmi ces fonctions, la possibilité de regrouper des populations en vue d’une évacuation ou à l’inverse de les confiner pour des durées plus ou moins longues ; la possibilité d’y organiser des distributions alimentaires ou des premiers secours ; un accès autonome et indépendant des grands réseaux urbains à des services de base comme l’eau potable, l’assainissement ou l’électricité ; des qualités climatiques ou sanitaires particulières…

Pour guider les opérateurs immobiliers, nous avons esquissé une méthode de travail en plusieurs étapes :

1/ Identifier dans les projets les espaces susceptibles d’accueillir des populations autres que celles correspondant à leur usage quotidien. En premier lieu, il nous semble essentiel d’envisager les espaces refuges comme des lieux connus et identifiés du plus grand nombre et non comme des lieux invisibles ou cachés.

2/ Analyser les caractéristiques (accessibilité, morphologie, aménagement, équipements techniques…) et les qualités climatiques et sanitaires de base de ces espaces.

3/ Identifier les cas d’usage potentiels pouvant correspondre à ces caractéristiques / qualités, à l’aide d’une matrice de ce type :

Cas d’usage et qualités des espaces refuges © Une autre ville

4/ En fonction des cas d’usage identifiés, préciser les caractéristiques spatiales, programmatiques ou techniques complémentaires à donner à ces lieux pour en faire des espaces refuges : capacité d’accueil augmentée, accessibilité ou visibilité améliorée, modularité de l’espace, équipements techniques supplémentaires, etc.

5/ Organiser la gestion des espaces refuges à partir de leur usage quotidien, en ajoutant une réflexion spécifique sur les responsabilités en période de crise (qui décide de l’ouverture du lieu, selon quels critères et à qui ? qui est responsable de son réaménagement éventuel ? des équipements techniques dédiés le cas échéant ? etc.).

Premier bilan et perspectives pour poursuivre la réflexion

Les projets des deux villages arrivent aujourd’hui à la fin du processus d’études et les premiers chantiers démarrent. Après plus de deux ans de travail, quel premier bilan partiel peut-on tirer de la démarche d’espaces refuges ?

 

Enseignement n°1 : un besoin de pédagogie

La démarche a nécessité beaucoup de pédagogie pour sortir de l’image mentale de l’espace purement défensif, du bunker ou de la safe room, extrêmement anxiogène. Or ce n’était pas là l’objectif recherché : les espaces refuges tels que nous les proposons sont avant tout des espaces vivants et utiles en dehors des temps de crise, et leurs fonctions de refuge se révèlent uniquement lors des crises.

 

Enseignement n°2 : des réponses variées

Une fois le concept et la méthode bien expliqués, les réponses ont été le plus souvent pertinentes, diverses et parfois même surprenantes. Les cœurs d’îlot, halls d’immeuble et salles communes refuges étaient des réponses attendues. Les parkings vélos refuges, tirant parti de la présence d’un vestiaire et de sanitaires pour les employés, l’étaient moins...

 

Enseignement n°3 : un travail à mener sur la réduction et le partage des surcoûts

Le parti pris développé, qui cherche en premier lieu à tirer bénéfice des caractéristiques et qualités intrinsèques des lieux, vise à limiter au strict minimum les surcoûts d’investissement et les ramener à un niveau supportable pour un projet immobilier par ailleurs ambitieux sur le plan écologique. Pour autant, l’existence de surcoûts de gestion et d’exploitation / maintenance ne peut être occultée, pas tant pour la gestion de la crise elle-même que pour le maintien en état de marche de certains systèmes ou équipements (réseaux, batteries électriques, kits de premiers secours, meubles pliants…). Or ces coûts sont à supporter par les propriétaires et gestionnaires des immeubles alors qu’ils répondent à des enjeux d’intérêt général qui les dépassent. La première piste est de faire en sorte que ces systèmes et équipements trouvent une utilité hors périodes de crise, qu’ils ne soient pas uniquement là « au cas où », ce qui rend les éventuels surcoûts acceptables. La seconde piste, non exclusive, est d’envisager une participation des acteurs locaux bénéficiant in fine de la présence des espaces refuges (habitants, entreprises, commerces, associations, collectivités, acteurs de la santé publique…), qu’elle soit financière ou en nature (contribution à la gestion, à la maintenance ou à l’animation régulière des espaces refuges).

 

Enseignement n°4 : une traduction juridique et réglementaire qui reste à approfondir

Certains freins juridiques ont été identifiés et doivent encore être approfondis, comme la question du risque de requalification en ERP (ou de changement de catégorie d’ERP) de certains espaces[2]. Le travail de rédaction de règlements de copropriété ou d’ASL intégrant les espaces refuges reste aussi largement à mener. De manière plus globale, la question de la gouvernance des espaces refuges (qui décide de quoi ? qui gère quoi ?) reste un axe de travail important.

Au regard de ces tout premiers enseignements, il est aujourd’hui évident pour nous que les propriétaires, copropriétaires ou bailleurs ne peuvent être laissés seuls face à ce nouvel objet programmatique hybride et que de nouveaux partenariats publics – privés ou privés – privés sont à créer pour que ces espaces puissent pleinement jouer leur rôle en cas de crise.

Article signé Nicolas Rougé, Directeur, Une autre ville

Pour aller plus loin


[1] La création d’espaces refuges intégrés à l’espace public du Village des Athlètes a également été décidée, mais nous ne l’aborderons pas ici.

[2] Des pistes de réflexion existent et doivent être testées, comme la notion d’utilisation exceptionnelle mais répétitive d’un local, qui permet de consulter la commission de sécurité sur la base d’un cahier des charges présentant les différents scénarios d’utilisation.


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