#28 - Intégrer les Solutions Fondées sur la Nature dans les PCAET

Rédigé par

Marc Barra

Écologue

4270 Dernière modification le 15/12/2021 - 12:45
#28 - Intégrer les Solutions Fondées sur la Nature dans les PCAET

Alors que l’Île-de-France doit se préparer à une augmentation des risques liés au changement climatique (vagues de chaleur, inondations par ruissellement), les stratégies d’adaptation peinent à se structurer et le besoin de connaissances comme de sensibilisation restent prégnants.

Dans ce contexte, les Plans Climat Air Energie Territoriaux (PCAET) apparaissent comme des outils de référence pour l’adaptation en s’appuyant sur les solutions fondées sur la nature (SFN), dont l’objectif est de répondre au double défi du changement climatique et du déclin de la biodiversité. L’article reviendra sur le rôle et l’efficacité de ces solutions et apportera des clés de lecture aux acteurs publics et socio-économiques quant à leur mise en œuvre à différentes échelles.

 

L’Île-de-France face au risque climatique

Bien qu’étant la plus petite région de France métropolitaine, l’Île-de-France concentre près de 12 millions d’habitants sur 2% du territoire. Si l’artificialisation des sols a reculé lors de la dernière décennie, encore 600ha en moyenne d’espaces naturels, agricoles et forestiers sont artificialisés chaque année, faisant peser une pression supplémentaire sur la biodiversité et les écosystèmes franciliens. Les milieux urbains (23% de la surface régionale) sont caractérisés par une densité bien supérieure à celle des autres régions (1022 habitants par km²), qui n’est pas sans conséquence pour la santé des populations locales, la biodiversité et les paysages. A ce contexte, s’ajoutent aujourd’hui des événements climatiques (source : DRIAS et Météo France), rendant le territoire d’Ile-de-France d’autant plus vulnérable :

  • Une élévation de la température moyenne entre 1959 et 2009 de 1,5°C avec un réchauffement de +0,3°C à chaque décennie depuis la moitié du 20ème siècle. Ce réchauffement pourrait dépasser 3°C voire atteindre 4°C à l’horizon 2071 -2100 par rapport à la période de référence 1951 – 2005, sans action politique majeure ;
  • Une faible évolution des précipitations annuelles au XXIème siècle, mais des contrastes saisonniers avec notamment une augmentation des précipitations hivernales ;
  • La diminution du nombre de jours de gel et de l’augmentation du nombre de jours chauds, quel que soit le scenario de projection climatique ;
  • Une augmentation de la fréquence et de l’intensité des épisodes de canicules à l’horizon 2071-2100 ;
  • Une baisse du débit des cours d’eau, un allongement de la période d’étiage et une baisse de la recharge des nappes phréatiques.

Le phénomène d’îlot de chaleur urbain est très caractérisé en Île-de-France, avec de forts contrastes entre les milieux urbains et ruraux. Pour une nuit d’été, Météo-France a pu observer jusqu’à 6 à 8°C d’écart entre Paris et la campagne francilienne, et jusqu’à 10 °C quelques nuits lors de la sévère canicule de 2003. Par ailleurs, les longs épisodes pluvieux ont également engendré des inondations par crues et ruissellements importants, causant de nombreux dégâts en 2016 en Seine-et-Marne ou en 2018 à Paris.

Qu’il s’agisse des îlots de chaleur, des inondations ou des sécheresses, ces phénomènes vont s’intensifier à l’avenir et mettront en danger les infrastructures comme les personnes, accroitront la surmortalité, les pollutions et les conflits d'usage sur la ressource en eau.

Parmi les outils de planification, les PCAET paraissent adaptés pour anticiper et planifier ces enjeux, en intégrant davantage les solutions fondées sur la nature, pour répondre au double défi de l’adaptation au changement climatique et de la reconquête de la biodiversité.

 

2 – La place de l’adaptation et des SFN dans les PCAET

Les PCAET matérialisent les politiques énergétiques et climatiques des collectivités territoriales. Initialement impulsée selon une approche volontaire (Déclinaison du Plan climat national – 2004), cette démarche est aujourd’hui régulée par un cadre législatif et réglementaire[1]. Le Plan Climat Air Energie Territorial (PCAET), dernière mouture des plans climat, vise un traitement intégré et systémique des enjeux air - énergie - climat en s’appuyant sur l’échelle des compétences des intercommunalités (> 20 000 habitants) pour organiser l’action (échelle où converge des politiques structurantes pour le territoire notamment dans le domaine de l’urbanisme).

Si le PCAET vise à traiter conjointement les stratégies d’adaptation et d’atténuation, dans les faits, l’adaptation au changement climatique reste le parent pauvre des plans climat. Les observations réalisées au niveau national (ADCF[2]) et régional (Teddif : Etude-bilan des PCET franciliens – juin 2012), à différents intervalles de temps, confirment ce constat. Les stratégies d’adaptation peinent à se structurer et les besoins de connaissances, de sensibilisation restent prégnants. Pour autant, ces écueils ne justifient pas l’inaction. En Île-de-France, 59 collectivités territoriales ont l’obligation de réaliser un PCAET. Dans le cadre d’un partenariat liant l’Institut Paris Region et l’ADEME Île-de-France, un éclairage sur les premiers plans d’actions des PCAET franciliens a été réalisé pour appréhender la place de l’adaptation. Sur les 568 actions couvertes par 11 plans d’actions, seules 15% d’entre elles seraient en lien avec l’adaptation. Bien que ces résultats confirment la place “modeste” de l’adaptation dans les PCAET, on peut néanmoins appréhender la typologie des actions en s’appuyant sur une méthode de classification (cf. Agence Européenne de l’Environnement). Cette dernière permet de catégoriser les actions d’adaptation en :

  • actions grises, voire “dures” si elles reposent sur de l’ingénierie et des infrastructures lourdes (ex. ouvrages liés à la gestion de l’eau)
  • actions “douces” si elles renvoient aux réponses financières, institutionnelles, et politiques (ex. évolution des normes de construction)
  • actions “vertes” ou fondées sur les écosystèmes lorsqu’elles recourent aux écosystèmes et aux processus naturels pour diminuer la sensibilité et augmenter la capacité adaptative des systèmes humains et naturels au changement climatique

On observe que les actions d’adaptation franciliennes sont en grande partie (72 %) des actions “douces” visant à l’articulation entre les PCAET et les documents de planification spatiale (SCoT, PLU(i)), à la mise en place de référentiels ou de charte de l’aménagement durable.

13 % de ces actions, quant à elles, renvoient à des actions « vertes » et se matérialisent principalement par la végétalisation des espaces urbains ou une place plus importante de l’eau et de la nature dans la ville. Bien souvent, il s’agit de solutions sans regret, permettant de répondre à de multiples enjeux. A l’avenir, ces actions “vertes” pourraient évoluer vers des solutions fondées sur la nature plus ambitieuses (restauration de zones humides, protection de forêts péri-urbaines, réouverture de cours d’eau, etc.) et consolider leur place dans les PCAET dans le cadre du volet adaptation. Un préalable nécessaire serait d’en cerner les contours, les définir selon un vocabulaire commun pour éviter tout effet de “greenwashing”. Car l’intégration des solutions fondées sur la nature dans les PCAET est légitime et recommandée (cf. Stratégie européenne sur l’adaptation au changement climatique, ONERC) dans le cadre d’une stratégie d’adaptation locale articulant différents champs d’intervention en de multiples domaines.

Zone d’expansion de crue du Vignois à Gonesse (2019) – Crédit photo : Institut Paris Région

3 – Les solutions fondées sur la nature : retours d’expérience et bénéfices

Le terme de « solutions fondées sur la nature » renvoie à des actions de protection, de restauration, ou encore de création de nouveaux écosystèmes à toutes les échelles, du bâti jusqu’au grand territoire. Elles reposent sur les fonctionnalités écologiques des écosystèmes dont l'Homme peut tirer des bénéfices. Elles sont multifonctionnelles et présentent de nombreux co-bénéfices en plus de leur fonction première (ex: infiltration des eaux pluviales) notamment pour le bien-être humain et la biodiversité.

Les solutions d’adaptation au changement climatique fondées sur la Nature (ou SaFN) répondent quant à elles spécifiquement au défi sociétal de l’adaptation. En milieu urbain, elles peuvent prendre la forme d’action de protection forte des espaces de nature en ville dans les documents d’urbanisme. Il peut s’agir par ailleurs d’actions de désimperméabilisation des sols et de renaturation pour libérer de l’espace afin de mieux infiltrer les eaux pluviales, reconstituer des corridors écologiques urbains ou (re)créer des zones humides protégeant les populations des inondations. La végétalisation des rues et du bâti est également une solution particulièrement efficace pour lutter contre l’effet d‘îlot de chaleur urbain, bien que l’efficacité de ces aménagements dépende en grande partie de notre capacité à reconstituer des fonctions écologiques (structure de la végétation, choix des espèces plantées, disponibilité en eau, etc.).

Plusieurs projets démonstrateurs permettent de valider l’efficacité des solutions d’adaptation fondées sur la nature quant à leur capacité à absorber ou retenir de l’eau ou contribuer au rafraîchissement par l’évapotranspiration des végétaux. La requalification de la rue Garibaldi à Lyon a permis l'implantation de plus de 150 nouveaux arbres de 12 espèces différentes. Ces derniers sont alimentés en eaux pluviales récupérées sous la chaussée dans une ancienne trémie. L’évapotranspiration des végétaux permet un abaissement de la température de 3 degrés en période de canicule[3]. A Gonesse, la zone d’expansion de crues du Vignois permet de capter plus de 55000 m3 d’eau de ruissellement pour gérer le risque d’inondation, tout en offrant 12 hectares de zone humide pour la biodiversité et les riverains. Sous l’impulsion des agences de l’eau, les techniques alternatives de gestion des eaux pluviales remplacent progressivement les infrastructures grises de stockage, en libérant de la pleine terre. Un sol perméable permet une infiltration profonde de 25%, pour un ruissellement de 10%, contre respectivement 5% et 55% pour un sol imperméable (agence d’urbanisme région nîmoise et alésienne, 2020). A l’échelle du bâti, la végétalisation des toitures ou des façades peuvent également contribuer à une meilleure gestion des eaux pluviales. L’étude GROOVES a montré que cette efficacité dépendait du mode de conception. En privilégiant des substrats terreux s’approchant de 30 cm de profondeur, cette solution serait en mesure de réguler une pluie décennale moyenne de 48 mm en quatre heures (Grooves).

 

4 – SaFN : du diagnostic aux documents réglementaires

Les SaFN sont des solutions dites ”sans-regret” à condition qu’elles aient été pensées à plusieurs échelles et qu’elles s’appuient sur un diagnostic fin du territoire (ex: atlas de la biodiversité communale, vulnérabilités au changement climatique). Dans le cadre du projet Life ARTISAN, piloté par l’Office français de la biodiversité, l’Agence régionale de la biodiversité (ARB) accompagne la ville des Mureaux dans cette phase de diagnostic, très active dans le domaine de la gestion des eaux pluviales via des aménagements végétalisés. ARTISAN a permis de faire émerger un projet de renaturation de cours d’école en vue de limiter les risques liés à la chaleur. D’autres actions pourraient être développées dans les secteurs à risque d’inondation ou sur les espaces verts du centre-ville en imaginant des dispositifs de classement réglementaires (ex : classer en zone N au PLU) pour mieux les protéger.

Dans le cadre d’un autre projet européen, nommé REGREEN, l’ARB développe un outil visant à aider les collectivités à cartographier la vulnérabilité d’un territoire et identifier des sites à renaturer pour y développer des solutions fondées sur la nature. A partir du croisement de données sur la commune pilote d’Aulnay-Sous-Bois, en Seine-Saint-Denis (93), la méthodologie développée a permis de recenser un total de plusieurs dizaines d’hectares de zones imperméabilisées, dont la renaturation apporterait un bénéfice à la biodiversité et à l’adaptation au changement climatique.

En s’appuyant sur ce type de diagnostic, les collectivités pourront disposer d’une aide à la décision afin de mieux prendre en compte les SaFN dans les PCAET et les documents d’urbanisme. Cette traduction peut prendre plusieurs formes, que ce soit dans le zonage réglementaire des PLU, en créant par exemple une catégorie « Zone à renaturer », au sein d’une OAP dans les secteurs les plus vulnérables, ou par le biais d’un coefficient de pleine terre à appliquer dans certains secteurs urbains ou dans le cadre d’opérations d’aménagement. La déclinaison des trames vertes, bleues et brunes dans les projets d’aménagement est également un levier pour la mise en œuvre des SaFN dans le tissu urbain.

En conclusion, les SafN sont un levier clairement identifié par les collectivités territoriales et par la Région qui, dans le futur Plan régional d’adaptation au changement climatique et lors de la révision prochaine du Schéma directeur de la région Île-de-France (SDRIF) en SDRIF-Environnemental, portera probablement une attention particulière à ces solutions pour faire face à la crise climatique et à la perte de biodiversité.

Article signé Institut Paris Region par l’intermédiaire de ces 3 départements : AREC (Sandra Garrigou), ARB (Gabrielle Huart, Marc Barra) et Département Environnement Urbain et Rural (Erwan Cordeau)

Pour aller plus loin :

https://www.enlargeyourparis.fr/societe/vers-un-modele-francilien-de-metropole-nature

https://www.arb-idf.fr/fileadmin/DataStorageKit/ARB/Articles/fichiers/urba_417_barra.pdf

https://www.institutparisregion.fr/environnement/changement-climatique/chaleur-sur-la-ville/

Crédit photo principale : Institut Paris Région


[1] Loi n°2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement, art. 75 (J.O. du 13 juillet 2010) et Loi n°2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance vert, art. 188 (J.O. du 18 août 2015)

[2] ADCF, La contribution des intercommunalités à la transition énergétique, analyse des PCAET approuvés - juillet 2021


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