Dispositif Éco Énergie Tertiaire : les propositions concrètes des acteurs de l'ingénierie

Rédigé par

Damien RACLE

Président

1728 Dernière modification le 13/04/2023 - 12:00
Dispositif Éco Énergie Tertiaire : les propositions concrètes des acteurs de l'ingénierie

 

Le dispositif Éco Énergie Tertiaire est une évidente réussite en ce qu'il a contribué à une mise en mouvement de l'ensemble des acteurs de l'immobilier : maîtres d'ouvrage, bailleurs, bureaux d'études, occupants, exploitants. Malgré tout, de nombreux obstacles à une mise en œuvre large et efficiente restent à lever sous peine de ne pas atteindre l'ambition initiale du texte.

Les bureaux d'études interviennent sur toutes les phases d'un projet d'amélioration de l'efficacité énergétique : audits énergétiques, élaboration de plans d'actions d'efficacité énergétique, établissement de schémas directeurs énergétiques, commissionnement de travaux d'amélioration des consommations, suivi et maîtrise des consommations. Ils sont donc particulièrement bien placés pour dresser un premier retour d'expériences sur la mise en œuvre concrète du dispositif Éco Énergie Tertiaire (forces, limites, bonnes pratiques, pistes de progrès).
L'article a pour objectif de faire un court état des lieux puis d'établir une liste de propositions concrètes à destination des pouvoirs publics comme des maîtres d'ouvrage pour atteindre les ambitions du texte.

Rappel des fondamentaux du dispositif éco énergie tertiaire

Le DEET présente l’obligation de réduire la consommation d’énergie finale des bâtiments à usage tertiaire. Il vise l’amélioration et la performance énergétique pour une réduction de 60% des consommations d’énergie d’ici 2050.
Ce décret est issu de la loi ELAN (Évolution du Logement, de l’Aménagement et du Numérique) publiée en 2018.  

Les exigences sont les suivantes 

1/ Soit un objectif de réduction des consommations :
Un niveau de consommation en énergie finale réduit de 40% en 2030 (Crelat 2030), 50% en 2040 (Crelat2040) et 60% en 2050 (Crelat 2050) par rapport à une consommation de référence (Créf en kWhEF/m²sdp.an) qui ne peut être antérieure à 2010 et postérieure à 2019. La consommation énergétique de référence correspond à la consommation en énergie finale du bâtiment, de la partie de bâtiment ou de l’ensemble de bâtiments à usage tertiaire, constatée pour une année pleine d’exploitation corrigée des variations climatiques et modulée par les facteurs d’intensité d’usage.

2/ Soit un objectif de consommation cible :
Le niveau de consommation cible en énergie finale (Cabs en kWhEF/m²sdp.an), fixé en valeur absolue en fonction d’indicateurs d’intensité d’usages raisonnés et économes en énergie, qui est défini pour chaque catégorie d’activité dans un arrêté des ministres chargés de la construction et de l’énergie. Il est déterminé pour chacune des échéances décennales.

Le niveau cible Cabs de consommation d'énergie finale est égal à la somme de deux composantes d'usages de l'énergie :

  • Une composante de consommation énergétique relative à l'ambiance thermique générale et à la ventilation des locaux, notée CVC, définie pour un rythme d'utilisation de référence et pour chaque catégorie d'activité en fonction de la zone climatique et de l'altitude ;
  • Une composante de la consommation énergétique relative aux usages spécifiques énergétiques propres à l'activité ainsi qu'aux autres usages immobiliers tels que la production d'eau chaude sanitaire et d'éclairage, notée USE, définie pour une intensité d'usage étalon et pour chaque catégorie d'activité. La composante USE intègre, le cas échéant, l'influence des modalités d'occupation des locaux sur la composante CVC relative à l'ambiance thermique générale et à la ventilation des locaux.

           Cabs = CVC + USE

Dans le cas où plusieurs typologies d'activités sont hébergées au sein d'une même entité fonctionnelle, le niveau de consommation d'énergie peut s'établir au prorata surfacique des niveaux des différents types d'activités qui sont exercés au sein de cette entité fonctionnelle.
Le changement de type d'énergie utilisée ne doit entraîner aucune dégradation du niveau des émissions de gaz à effet de serre.

Quel rôle joue l’ingénierie dans la mise en œuvre du dispositif Éco Énergie Tertiaire ?

Les missions réalisées par les acteurs de l’ingénierie dans le cadre du DEET sont nombreuses et variées: 

  • Comprendre : il est essentiel de bien connaitre son immeuble ou son parc immobilier avant d’initier toute démarche. Cela passe par un état des lieux initial (plan de comptage, récupération des consommations, relevé des systèmes, …)
  • Décider de la meilleure stratégie : détermination des indicateurs, de l’échelle (parc ou bâtiment), des bâtiments soumis au DEET et choix argumenté de l’année de référence ;
  • Planifier : détermination des actions d’économie d’énergie en s’appuyant sur les conclusions de l’audit énergétique approfondi avec ou sans instrumentation ;
  • Réaliser : accompagnement dans la mise en place du plan de rénovation énergétique du patrimoine (au besoin) et du plan de financement associé prenant en compte les Certificats d’Economie d’Energie (CEE).
  • Piloter : suivi et mesurage des consommations des bâtiments, Monitoring et Energy Management.
  • Adapter : réalisation des dossiers techniques de dérogation (ex. bâtiment à caractère patrimonial)

Où en est-on aujourd’hui ?

Deux ans après son entrée en vigueur, force est de constater que le DEET a provoqué à la fois une prise de conscience des différents acteurs et la mise en place de programmes concrets d’actions en faveur de la réduction des consommations énergétiques. Malgré tout, des facteurs limitants sont apparus et il est important d’apporter des solutions pour faciliter le déploiement de ces démarches.

Les points positifs

  • Une ambition indiscutable : le DEET est porteur d’une ambition indéniable, et si les mesures coercitives prévues par le décret semblent assez limitées, le marché s’est emparé du sujet.
  • Une mise en mouvement réelle des différents acteurs : nous constatons une forme d’engouement de la part des propriétaires et gestionnaires de parc au regard du DEET. Tous les acteurs travaillent sur la définition de plans d’actions concrets pour atteindre au minimum le premier jalon de 2030, et bien souvent pour se projeter jusqu’en 2050.
  • Le sérieux de la démarche : la définition des actions ne peut pas se faire de façon théorique et nous constatons de nombreuses demandes de réalisation d’audits énergétiques, ce qui témoigne de la volonté de la part des acteurs de mettre en œuvre des plans d’actions robustes.
  • La diffusion sur toute la chaîne de valeur : au-delà des actions d’amélioration dans la gestion de parcs immobiliers, nous constatons que les cahiers de charge de rénovation globale intègrent largement, voire anticipent les exigences du DEET. C’est une excellente nouvelle pour l’atteinte des jalons 2040 et 2050.

Les limites/difficultés rencontrées

Si la démarche est vertueuse et assez facile à intégrer par les acteurs du secteur de l’immobilier, elle comporte néanmoins de limites importantes :  

  • Une lisibilité limitée entrainant une certaine difficulté à se projeter, à définir les travaux de rénovation adaptés actuellement :

- Des valeurs absolues pour de nombreux usages ne sont pas encore publiées.

- Publication tardive des valeurs absolues 2040/2050 rend difficile la création d’un schéma directeur pour les bâtiments visant la valeur absolue en 2030.

  • Difficultés d’application techniques :

-    Définition des valeurs d’intensité d’usage
-    Définition des surfaces assujetties difficile dans certains cas pour les sites complexe (notion de site au sens du dispositif éco énergie tertiaire)
-    Découpage selon les multiples locaux
-    Accès aux données historiques : données de consommations et indicateurs d'intensité d'usage
-    Identification des consommations des locaux tertiaires en l’absence de sous comptage lorsque sites avec locaux mixtes tertiaires / non-tertiaires
-    Surfaces de plancher (Sdp) souvent non connues des MOA, pouvant mener à des déclarations de surfaces approximatives et différentes selon acteurs (impactant pour les seuils en valeur absolue)
Ces difficultés génèrent des disparités de méthodologie et d’approche parmi les assujettis.

  • Difficultés de répartitions des obligations entre propriétaires et locataires :

Le DEET, pensé pour les occupants (EFA) n’a pas créé les conditions d’une action partagée entre les bailleurs et les occupants. C’est un facteur limitant important dans la mesure où le rendez-vous de 2050 ne pourra être honoré qu’avec un travail coordonné entre les bailleurs (porteurs des travaux structurants) et les occupants (porteur de petits travaux et du respect des bonnes pratiques en matière d’usage). Les bailleurs ont aujourd’hui beaucoup de mal à récupérer les consommations des occupants et sont donc limités dans le rôle qui est le leur, à savoir porter une ambition long terme pour le bâtiment et piloter la trajectoire de réduction des émissions jusqu’en 2050.

Nos propositions pour atteindre l’ambition fixée par le dispositif Éco Énergie Tertiaire ?

  • Développement de la plateforme OPERAT pour :

- Fournir le ratio kWhEF/m²sdp.an de la consommation de référence, 2020 et 2021 avec correction climatique d’après les premières déclarations.
- Possibilité d’exporter les déclarations via fichier CSV pour faire une vérification. Actuellement c’est impossible de vérifier les déclarations sur OPERAT. Ce n’est également pas possible de voir clairement si l’un des assujettis à fait une déclaration ou modifier une déclaration.

  • Définition des seuils et critères manquants : publication de l’arrêté valeur absolue III rapidement.
  • Création d’une forme d’obligation de communication des consommations ou de concertation (cf. comités verts allégés).
  • Alignement des différents textes à l’échelle européenne.
  • Prise en compte du carbone dans le décret. Ajouter au dossier technique une estimation carbone des solutions envisagées.
  • Clarification des règles d’échantillonnage appliquée par certains acteurs et potentiellement contre-productives
  • Clarification de la mutualisation des résultats à l’échelle d’un parc.
  • Possibilité de choisir une référence (ou année de dernière consommation connue) après 2020/2021. Dans un certain nombre de cas, ces années ne sont pas représentatives de l’activité réelle du site (COVID ou télétravail) et en cas d’absence d’historique de consommation, être contraint à utiliser 2020/2021 peut être pénalisant. 
  • Définir très précisément les "règles du jeu" du Dossier Technique s'agissant de la disproportion économique : coût de l'énergie à prendre en compte, notion de travaux indispensables, méthode de calcul du Temps de Retour sur Investissement.
     

Un article co-signé Damien Racle, Cinov, et Nathalie Tchang, Tribu Energie


Article suivant : La caractérisation du patrimoine, le véritable défi que le DEET pose aux collectivités territoriales, Pierrick Degardin


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