Devenons plus économes en ressources : faisons de nos bâtiments des banques de matériaux

Rédigé par

Sébastien Delpont

7462 Dernière modification le 25/04/2022 - 09:36
Devenons plus économes en ressources : faisons de nos bâtiments des banques de matériaux

Nos villes absorbent des quantités de matériaux considérables pour répondre aux besoins de logements, bureaux et infrastructures : 50% de toutes les ressources naturelles utilisées le sont pour la construction [1]. Presque tous nos bâtiments ne sont conçus que pour une seule fonction. Or les bureaux modernes et les résidences, dernier cri lors de leur livraison, deviennent souvent obsolètes à mesure que les besoins du territoire et les aspirations des usagers évoluent. Ces bâtiments sont le plus souvent détruits, ou laissés partiellement vacants et on en construit de nouveaux : paradoxe d’un monde de ressources finies trop souvent gâchées car rarement pensées pour être utilisées à leur plein potentiel.

La notion de déchets elle-même doit disparaître car cette matière que nous enfouissons ou incinérons a une valeur aujourd’hui et en aura sous une autre forme demain, si l’on fait l’effort d’être un peu créatif !  Mais comment passer des intentions aux actes, avec quel cadre conceptuel et quels prérequis techniques, quels outils, quels modèles économiques ?

Concevoir des bâtiments économes en ressources tout au long de leur cycle de vie

Des pionniers en Europe, acteurs publics et privés issus de 7 pays, travaillent pour démocratiser des méthodes et outils intégrés permettant de faire de nos bâtiments de véritables banques de matériaux : des bâtiments économes en matière, aux équipements et matériaux substituables et aux fonctionnalités modulables. Ils le font dans le cadre du projet européen H2020 « Building As Material Bank (BAMB) » en construisant des bâtiments démonstrateurs et en constituant une boite à outils visant à :

  • Améliorer la qualité de vie des usagers des bâtiments
  • Réduire la quantité de déchets de démolition
  • Réduire l’utilisation de matières premières vierges

Diffuser des pratiques de conception réversible, pour bâtir des ouvrages évolutifs et démontables

Adapter, désassembler, démonter : tel est le crédo des « designers circulaires ». Les principes d’une conception dite réversible permettent de réparer, réutiliser et recycler les matériaux et les composants du bâtiment (plancher, fenêtres, systèmes de ventilation…). Le bâtiment est conçu en plusieurs couches fonctionnelles distinctes et accessibles (structure, enveloppe, technique, espace intérieur…) qui reflètent les différents cycles de remplacement des éléments qui composent le bâtiment. Le renouvellement et le démontage des composants est facilité par l’usage de fixations mécaniques et standardisées. En adoptant ces réflexes, les concepteurs imaginent des bâtiments flexibles et modulaires qui ne sont plus des blocs uniques de matériaux indissociables mais un agencement temporaire de parties et de sous-parties ayant leur cycle de vie propre.

Délivrer des passeports matériaux pour nourrir une banque de données matière

Les outils de conception numérique BIM (building information modeling) permettent de faire un inventaire qualitatif et quantitatif de plus en plus fin des matériaux constitutifs d’un bâtiment. Ce recensement pourrait sans trop de difficultés alimenter une banque de données ouverte avec des informations sur chaque matériau : nature, dimension, caractéristiques mécaniques et techniques, opérations de maintenance réalisées et à prévoir... Steven Beckers, architecte pionnier en matière d’économie circulaire et co-fondateur de Lateral Thinking Factory, voit en ces « passeports matériaux » informatisés une possibilité nouvelle d’améliorer la traçabilité des matériaux de construction et une opportunité pour optimiser leur utilisation au cours des différentes étapes de leur cycle de vie. Dans le cadre du projet BAMB, 300 passeports matériaux électroniques seront réalisés et intégrés à des outils BIM pour permettre la mise en application concrète de ce concept de « bâtiment banque de matériaux ».

Réinventer les modèles d’affaires et adapter les politiques publiques

Le passage à l’échelle est conditionné à une évolution des modèles économiques du secteur. Le projet BAMB propose d’imaginer et tester de nouveaux scénarios : nouveaux modes de contractualisation entre les acteurs, propositions de valeur centrées sur la qualité d’usage et le service et moins sur le transfert de propriété, approches en coût global considérant la performance du bâtiment dans son ensemble (énergie, santé, eau…) et sur le long terme… Une attention particulière sera accordée aux moyens pour faire émerger une réelle demande en matériaux réutilisés ou recyclés et recyclables, et démocratiser les pratiques d’économie circulaire dans la construction. L’analyse des contextes réglementaires permettra d’identifier les barrières à lever et fera l’objet de recommandations aux pouvoirs publics.

Contribuer à cette démarche collaborative pour mieux démontrer et mieux convaincre

Ce réseau de pionniers, initiateurs du projet BAMB, est ouvert à tous les acteurs de la construction, pour partager des retours d’expérience et confronter les points de vue afin d’accélérer la transition du secteur.

Actuellement, 6 projets pilotes sont en cours en Belgique, en Bosnie Herzégovine, aux Pays-Bas et en Allemagne, à la fois sur des projets de construction neuve et de réhabilitation, dans le résidentiel et le tertiaire. Chacun met en application, dans un contexte organisationnel, économique et réglementaire spécifique, ces différents outils de conception réversible et ces passeports matériaux, en testant des pratiques et modèles économiques innovants. Ces projets sont des démonstrateurs grandeur nature, financés par des fonds privés, qui visent à devenir des références et des précédents inspirants pour de nombreux autres ouvrages en Europe.

Notre contexte français actuel : feuille de route de l’économie circulaire à paraitre, objectifs de 70% de valorisation des déchets de chantier, opérations du Grand Paris… semble idéal pour que des acteurs volontaristes français s’appuient à leur tour sur ce réseau et les outils BAMB et initient des opérations exemplaires sur nos territoires. Contribuons à devenir plus économes en ressources et rejoignons ceux qui veulent faire de nos bâtiments des banques de matériaux.

Plus d’information sur le site : http://www.bamb2020.eu/

Opinion libre rédigée par Kathleen Boquet et Sebastien Delpont, pôle Ressources et Territoires, GreenFlex

Twitter : @Kathleen_Boquet @sdelpont – www.greenflex.com

GreenFlex accompagne des organisations dans leurs transitons environnementales, et notamment pour les aider à intégrer les principes de l’économie circulaire. Cela, via des activités de conseil, d’assistance à maitrise d’ouvrage, des plateformes numériques et des solutions de financement.

[1] Resource efficiency in the building sector, Commission Européenne, 2014 http://ec.europa.eu/environment/eussd/pdf/Resource%20efficiency%20in%20the%20building%20sector.pdf

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