Démocratiser la construction circulaire : quels leviers pour une transformation sectorielle ?

Rédigé par

Sébastien Delpont

2675 Dernière modification le 21/11/2022 - 09:30
Démocratiser la construction circulaire : quels leviers pour une transformation sectorielle ?


Afin d’accélérer la transformation du secteur de la construction vers une activité plus durable, le programme européen Interreg North West Europe finance de 2019 à 2023 un projet de coopération entre des acteurs de Belgique, de France, du Luxembourg et des Pays-Bas. Fédérés au sein du collectif Digital Deconstruction, ils travaillent à démocratiser le recours massif au réemploi et à la réutilisation, grâce à la déconstruction sélective. En œuvrant notamment à recenser, caractériser et promouvoir les outils d’aide à la décision du marché, le projet a pour but d’aider les maîtrises d’ouvrage à élaborer les stratégies de valorisation matière les plus pertinentes et de faciliter le recours au réemploi pour l’ensemble des acteurs de la filière dans une dynamique Open Source.

Cette raison d’être se manifeste dans les principaux axes développés au sein du projet : la formation des acteurs pour améliorer leur compréhension des enjeux, l’encouragement à entreprendre et à apprendre grâce aux projets démonstrateurs, la collaboration internationale et le partage des apprentissages, ainsi que l’accompagnement à l’innovation et la création d’outils pour faciliter le réemploi.
 

Identifier les freins au réemploi pour proposer des solutions adaptées

Encouragées par les évolutions réglementaires (1) et les contraintes environnementales liées à la raréfaction des ressources, l’économie circulaire et la valorisation des déchets s’imposent dans les pratiques du secteur du BTP. Toutefois, la filière a besoin de se structurer autour de dynamiques fortes, à toutes les échelles, afin d’encourager l’évolution des pratiques. 

Il existe également un besoin de formation des acteurs aux nouveaux enjeux de la construction, secteur tendu du fait de la demande croissante et des matériaux et équipements de moins en moins disponibles, à l’impact du secteur sur l’environnement et aux facteurs clés de succès pour limiter cet impact. C’est la prise en compte de ces sujets qui permettra, entre autres, de massifier le recours au réemploi.

Enfin, pour que les acteurs envisagent la ville comme une mine urbaine, il est essentiel d’avoir connaissance des gisements de matériaux disponibles, d’adopter la gestion prévisionnelle des ressources, mais aussi de lever ensemble les freins au réemploi tels que l’assurabilité de certains équipements, les réticences diverses liées à l’esthétique ou à la qualité des matériaux réemployés.
 

Accélérer la montée en compétence de la filière

L’augmentation du nombre de formations liées au réemploi traduit une volonté forte d’apprentissage de la part des acteurs. Parmi eux, les Hubs d’Innovation du Réemploi (RIH) du projet Digital Deconstruction contribuent à cette démarche d’acculturation en favorisant les rencontres et les échanges entre les différentes typologies d’acteurs (maîtrises d’œuvre, maitrises d’ouvrage, assistants à maîtrise d’ouvrage, éco-organismes, entreprises, etc.). Les tables rondes et ateliers de travail collaboratifs permettent également d’adresser le sujet de la structuration de l’offre et de la demande en matériaux de réemploi.

Cette montée en compétence se traduit également par le partage d’enseignements et de retours d’expérience mis à disposition, à travers la publication de guides et d’un manifeste.
 

L’apprentissage par le test, catalyseur d’un passage à l’échelle

La multiplication de projets démonstrateurs est également primordiale, car elle permet de démystifier le réemploi par la production de retours d’expériences. C’est également une ouverture vers la transformation des manières de faire, l’identification d’outils adaptés, la réversibilité des ouvrages, qui démontre la nécessité d’intégrer de nouvelles pratiques, pour concevoir plus durablement.

C’est pour cela qu’il faut encourager les maîtrises d’ouvrage, et plus largement les porteurs de projets, à se fixer des objectifs minimums de réemploi. La multiplication de cahiers des charges ambitieux permet d’envoyer un signal fort au marché. Plus encore, c’est en ajoutant des obligations de résultats aux obligations de moyens que naitront des nouvelles manières de concevoir, tout au long de la chaine de valeur.

Enfin, c’est également par la systématisation des retours d’expérience que l’apprentissage par le test prendra toute son ampleur. La création, l’application et la publication d’une analyse coût-bénéfices complète – intégrant les impacts environnementaux, sanitaires et économiques – pour les 5 projets pilote du projet Digital Deconstruction, donne un exemple de valorisation des données recueillies. Encourager ce type d’analyse et leur diffusion permettra de tirer des axes d’amélioration et de capitaliser sur les succès.
 

La collaboration internationale, facteur clé d’un succès rapide 

Les projets démonstrateurs développés sur notre territoire permettent d’adresser certains freins et sont donc essentiels. Mais nos voisins européens partagent notre intérêt pour le réemploi et il est primordial d’encourager le transfert de connaissances pour massifier ces pratiques. Pilier du programme Digital Deconstruction, le déploiement de projets pilotes dans les régions partenaires permet par exemple de se confronter à différentes typologies de bâtiments, comme des musées (Le Thermenmuseum aux Pays-Bas), des gares (Gare Villeneuve Saint Georges en France), des ouvrages historiques (Château et fermes de Hof Ter Laken en Belgique), ou encore des logements sociaux (Logements à Lomme en France).

De même, la collaboration internationale aide à lever les freins auxquels chacun pourrait être confronté à l’avenir. Le Luxembourg et la Belgique, dont la superficie réduite crée des problématiques de stockage des matériaux et des déchets, travailleront par exemple en priorité sur la facilitation du réemploi in situ et la réduction des délais, grâce à des plateformes d’échanges plus performantes. A l’inverse, la France et les Pays-Bas font face à plus de verrous réglementaires et assuranciels, et seront donc moteurs pour transformer les législations. 

Cette collaboration permet également de tirer de précieux apprentissages et bonnes pratiques déjà en place dans les pays voisins. La diversité culturelle, tant dans les méthodes de travail, dans les approches adoptées face aux différents stades de maturité des filières, permet, au travers des programmes transfrontaliers, de capitaliser sur les forces pour accélérer l’émergence d’un marché mature et résilient.

Plus encore, les défis que doit relever le secteur, partout en Europe, nécessiteront des réponses organisées à une échelle locale, nationale et européenne, et le partage des connaissances au sein de ce type de projet est un atout de développement essentiel. En effet, bien que les modes d’organisation soient différents, la collaboration internationale est un puissant catalyseur de l’innovation et contribue aux réflexions sur le partage et la réplicabilité des outils et solutions.

Accompagner la transition par l’innovation

Pour faciliter l’intégration de matériaux réemployés dans la construction neuve et la rénovation et concevoir les projets à partir de l’existant, il est essentiel d’avoir à disposition des stocks conséquents de produits attractifs. Pour cela, la déconstruction circulaire et l’exploitation des carrières urbaines sont nécessaires et doivent être accompagnées par des outils facilitant les démarches. Ainsi, les aides aux diagnostics ressources (ou PEMD), les plateformes d’échanges ou encore les outils de traçabilité permettent de diminuer les contraintes qui pèsent sur les porteurs de projets. 

De même, en développant les filières de la revalorisation des matériaux, de la logistique inverse et en misant sur le développement d’entités portant la garantie des performances (esthétiques, techniques, sanitaires...) du matériau remis sur le marché, il devient possible de rendre attractif et compétitif un gisement de ressources massif, et de répondre au besoin d’intermédiaires entre offre et demande.

Pour accélérer l’émergence et l’intégration de ces nouvelles pratiques, il faut capitaliser sur les outils existants et les adapter. Le potentiel des outils BIM (Building Information Modeling) pour analyser la réversibilité d’un ouvrage, ou l’utilisation de la blockchain (2) pour lever les freins d’assurabilité grâce à un suivi précis des matériaux sont par exemples explorés dans le cadre de Digital Deconstruction.

Pour cela, les financements nationaux et européens sont particulièrement importants. En effet, ils permettent d’encourager l’innovation technique, la remise en question des méthodes actuelles, ou encore de faire naître des initiatives qui contribuent, grâce à ces financements, au développement d’une réponse plus construite et plus efficace aux problématiques de circularité des matériaux.
 

Participer à l’émergence d’un secteur engagé sur la trajectoire bas carbone

Que ce soit par la transformation du cadre règlementaire, par l’accompagnement des acteurs à l’appréhension des enjeux ou par le déploiement de nouveaux outils plus adaptés et performants, la filière du bâtiment amorce sa transition vers une circularité accrue des matériaux et des ressources. Le programme européen Digital Deconstruction participe à cette transformation et proposera d’ici la fin de l’année 2022 un navigateur regroupant les enseignements issus des projets démonstrateurs, les méthodologies d’analyse et les outils mis à disposition de l’écosystème. Ce portail, construit dans une dynamique OpenSource, a pour vocation d’aider les acteurs à se réinventer et à devenir moteurs d’une activité plus durable et résiliente.

Un article signé Maël ROCHER, Consultant, Camille SIMON, Cheffe de Projet Digital Deconstruction et Sébastien DELPONT, Directeur Associé de GREENFLEX


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