Décarboner sans se ruiner : EuroCO2, une méthode à disposition des aménageurs

Rédigé par

Nicolas Rougé

Directeur

3302 Dernière modification le 23/02/2023 - 09:59
Décarboner sans se ruiner : EuroCO2, une méthode à disposition des aménageurs

 

EuroCO2 est une méthodologie d’aide à la décision développée par Une autre ville et Amoès, pour accompagner les aménageurs et les collectivités dans un des enjeux majeurs de la transition environnementale : la réduction de l'impact carbone direct et indirect des opérations. Elle croise les approches économique et carbone en construisant de manière couplée des pré-bilans financiers et un bilan carbone simplifié d’opérations d’aménagement, permettant de mettre en avant les actions les plus impactantes sur le plan environnemental tout en estimant leur coût.

Déjà testé sur 3 opérations de Grand Paris Aménagement et sur 5 opérations de l’EPA Sénart, l’outil est désormais opérationnel et prêt à être mobilisé sur de nouveaux projets urbains.

 

 

Pourquoi EuroCO2 ?

Si l’urgence de la transition écologique ne fait plus débat, la pratique urbaine peine à évoluer autrement qu’à la marge, alors qu’elle émet de fortes émissions de gaz à effet de serre liées à la construction, aux consommations d’énergie, aux transports mais également aux modes de vie et à la consommation des terres induits par la forme de la ville et sa genèse. Pour accélérer le changement des pratiques, la Stratégie Nationale Bas-Carbone (SNBC) impose au secteur du bâtiment de diviser par deux ses émissions de gaz à effet de serre en 2030 par rapport à 2015, et d’atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050. Ces ambitions nationales sont ensuite traduites dans les documents de planification territoriale pour faire en sorte que les secteurs du bâtiment et de l’aménagement participent à la décarbonation des territoires.

Or, actuellement, les objectifs d’atténuation des impacts environnementaux du secteur sont énoncés de manière trop autonome par rapport aux bilans d’aménagement pour que leur respect soit garanti. De plus, les bilans carbone des opérations d’aménagement, quand ils se font, sont réalisés trop tardivement pour influencer réellement la programmation et la conception des projets, avec pour conséquence une bataille à armes inégales sur le terrain des surcoûts.

C’est pourquoi Une autre ville, cabinet d'assistance à maîtrise d'ouvrage urbaine spécialisé sur les questions de transition écologique, et Amoès, société d’ingénierie spécialisée dans la conception environnementale et énergétique des quartiers et des bâtiments, ont créé conjointement en octobre 2019 la méthodologie EuroCO2. Elle vise à rééquilibrer les considérations financières en intégrant les enjeux carbone en amont des projets, et ainsi orienter les choix d'aménagement vers des actions plus vertueuses sur le plan environnemental, pour que la filière soit au rendez-vous de la décarbonation et prenne ses responsabilités dans la transition des territoires.

 

Comment ça marche ? 

Un scénario de référence est défini avec la maîtrise d’ouvrage ainsi qu’un ou plusieurs scénarios “optimisés” intégrant des mesures de réduction des émissions de GES plus ambitieuses. Ils sont modélisés afin d’obtenir des pré-bilans financiers et un bilan carbone simplifié.

Concrètement, le calcul des coûts bruts et des émissions de GES se fait autour de 4 grandes « fonctions » du projet urbain : aménagement, immobilier, énergies et mobilités.

 

 

Le bilan carbone du scénario de référence est calculé globalement et par fonction. Puis, fonction par fonction, ces bilans carbone sont situés par rapport à deux approches “extrêmes” propres à chaque projet, une approche avec des caractéristiques permettant le bilan carbone le plus faible possible, l’autre le plus élevé. Cela permet de situer les fonctions des projets entre ces deux approches théoriques et d’identifier ainsi les postes sur lesquels il y a le plus de marge d’optimisation.

Ensuite, des variantes de projet sur les différentes fonctions sont imaginées avec la maîtrise d’ouvrage, permettant in fine de calculer les ratios “coûts économiques / bénéfices carbone” des différents leviers d’optimisation et les impacts sur les paramètres financiers réels de l’opération (participation de la collectivité, charges foncières, prix de sortie).

 

Dans quels cas l’utiliser ?

Les principaux cas d'usage d’EuroCO2 sont les suivants : 

  • En phase d’opportunité ou de programmation, EuroCO2 permet de comparer différents scénarios programmatiques, voire différentes localisations de projet. On peut ainsi examiner des scénarios démolition/reconstruction vs. réhabilitation, des scénarios avec ou sans mutualisation d’équipements (stationnement par exemple) ou de réseaux (de chaleur par exemple), etc. En construisant un pré-bilan carbone en parallèle du pré-bilan d’aménagement, la méthodologie permet de sensibiliser les maîtrises d’ouvrage urbaines à des programmations alternatives, moins émettrices de gaz à effet de serre et à impact financier maîtrisé voire positif.
  • En phase d’élaboration du projet urbain (niveau esquisse ou AVP, en amont de la commercialisation des charges foncières), EuroCO2 permet de rechercher des optimums économiques (ou carbone) en adéquation avec un budget carbone (ou économique) déterminé. Ces optimums peuvent alimenter la rédaction de cahiers de prescriptions environnementales ambitieux et réalistes en offrant la possibilité de comparer en termes d’impacts carbone et économiques plusieurs niveaux de performance de l’enveloppe, plusieurs objectifs de développement des EnR&R ou de maîtrise du stationnement, etc.
  • Lors de la négociation avec les opérateurs immobiliers, en particulier dans le cadre de consultations ouvertes de type Appels à Projets Urbains Innovants, dans lesquelles des propositions programmatiques et performancielles très contrastées seraient soumises.

En réalisant ces analyses sur des opérations en phase de programmation et de conception, EuroCO2 permet d’orienter les choix de projet de façon structurelle et réaliste. Les ratios coûts économiques / bénéfices carbone (coût de la TéqCO2 évitée) calculés pour les différents scénarios explorés et l’identification des plus gros postes d’émissions éclairent les prises de décision. 

 

Un outil testé sur plusieurs opérations et porteur d’enseignements

EuroCO2 a été testé sur trois opérations d’aménagement de Grand Paris Aménagement et sur cinq opérations de l’Etablissement Public d’Aménagement de l’OIN de Sénart. Ces analyses ont permis de dégager des enseignements plus généraux sur les principaux postes d’émissions carbone dans les opérations d’aménagement.

 

Enseignement n°1 : La localisation est le premier paramètre carbone !

Émissions de CO2 totales (construction + exploitation sur 50 ans + (dé)stockage carbone en kg éq CO2/m²SDP) sur 3 opérations de Grand Paris Aménagement

Le paramètre de la mobilité est primordial et dépend de la bonne desserte en transports en communs et modes actifs. En effet, la réduction d’impact de la mobilité électrique n’est pas assez importante pour compenser une mauvaise desserte. En cycle de vie, la voiture électrique divise par 3 les émissions de GES ce qui est beaucoup mais pas suffisant quand on voit que les émissions carbone liées à la mobilité d’un quartier mal desservi sont 6 à 7 fois plus importantes que celles d’un quartier bien desservi.

 

Enseignement n°2 : Le bas carbone est avant tout matière de programmation, avant le dessin ou la technique (modes constructifs, matériaux, choix énergétiques…)

Des leviers essentiels d’optimisation du bilan carbone se situent du côté des choix programmatiques :

  • Le choix de démolir / reconstruire ou de réhabiliter, dont le bilan dépend néanmoins de la teneur en GES de l'énergie utilisée
  • La mixité fonctionnelle, qui aide à réduire l'impact de la mobilité en diminuant les distances parcourues pour les pratiques de consommations et de loisirs et en permettant parfois des trajets domicile-travail plus courts. A noter que la distance à parcourir influe également sur les choix modaux des usagers.
  • La quantité de m² SDP construits

1 m² SDP non construit représente environ une tonne équivalent CO2 évitée. En optimisant de 10 à 15% la surface construite, on obtient le même effet qu’en construisant en bois.

  • La quantité de parkings, en particulier le stationnement souterrain

Une place enterrée représente environ 7 T éq CO2, enlever une place enterrée équivaut donc à enlever 7 m² SDP au programme.

  • La quantité de m² d'espaces publics, et en premier lieu la quantité d’espaces minéraux

Un m² d’espace public minéral type voirie, place ou mail piéton minéral représente 60 à 90 kg éq CO2 / m² au sol, un m² d’espace public végétalisé type parc environ 20. Il y a donc un rapport de 3 à 4 entre les deux.

 

Enseignement n°3 : Le bas carbone, c'est beaucoup de co-bénéfices même quand les postes de réduction carbone sont relativement moins importants dans un bilan

 

Même si les gains sont relativement faibles, certains leviers d’optimisation carbone sont « sans regret » car ils présentent de multiples cobénéfices. Par exemple, pour les espaces publics : adaptation au changement climatique, régulation du cycle de l’eau, renforcement des écosystèmes ou de la résilience territoriale, amélioration du cadre de vie, etc. ; pour le bâti : amélioration du confort hygrothermique ou de la qualité de l’air…

 

Enseignement n°4 : Quand l’accent est mis sur la sobriété, le bas carbone peut aussi représenter des économies sonnantes et trébuchantes

Chaque levier a plus ou moins d’impact sur le bilan carbone. Certains permettent de faire des économies à la fois sur le plan économique et sur le plan carbone, d’autres nécessitent une dépense pour réduire les émissions.

Le couplage économie/CO2 permis par la méthodologie EuroCO2 montre que les impacts financiers d’un scénario bas carbone ne sont pas inabsorbables si on travaille sur des scénarios qui intègrent aussi des économies financières (moins de parkings, moins d'espaces publics minéraux, etc.) et si on ramène ces impacts aux variations et incertitudes sur les prix de sortie, par exemple.

De plus, il faut nuancer la question des surcoûts car ceux-ci n'intègrent ni le coût de l'inaction climatique ni les coûts cachés (subventions aux fossiles, externalités négatives etc.). A l’inverse, ils n'intègrent pas les externalités positives de certaines solutions bas carbone : cycle de l'eau, biodiversité… Enfin, il faut prendre en compte le fait qu’on ne sait pas bien appréhender les courbes d'apprentissage et de réduction des coûts des solutions bas carbone, mais que ces effets existent bel et bien.

 

Une méthodologie innovante, aux multiples avantages et en amélioration constante

Malgré ses nombreux points forts, la méthodologie EuroCO2 comporte certaines marges d’amélioration. 

Les avantages d’EuroCO2

  • Un couplage entre carbone et économie des projets, inédit dans les outils carbone disponibles ou en développement, qui permet de raisonner en bilans coûts / bénéfices carbone.
  • Une méthode qui s’appuie sur des outils simples (feuilles Excel) et sur une équipe pour accompagner son utilisation, faire parler les chiffres, faciliter le dialogue qu’ils suscitent et faire émerger les idées et des décisions. EuroCO2 ne constitue en effet pas un logiciel clé en main mais une méthodologie qui nécessite un accompagnement pour être utilisée, assurant un traitement rigoureux des données.
  • Une méthodologie souple qui s’adapte au niveau d’avancement des projets et au niveau de précision des informations disponibles. EuroCO2 peut ainsi compenser toute information manquante par ses hypothèses par défaut, permettant de réaliser des estimations avant que les plans existent pour tester différents scénarios programmatiques.

 

Une méthodologie amenée à s’enrichir de nouveaux éléments

  • Certains paramètres déterminants comme la mobilité des biens (livraisons à destination des usagers et activités logistiques) sont encore difficiles à appréhender et donc non intégrés pour le moment dans les bilans car nous manquons de données objectives. Pour autant, ils représentent sans doute des postes importants. Des développements complémentaires dans ce domaine restent à mener, en lien avec des experts du sujet. 
  • Nous devons également travailler à une meilleure prise en compte des spécificités économiques des projets de rénovation pour estimer leurs coûts de manière plus précise. 
  • En outre, l’estimation des coûts économiques et des gains carbones des réseaux de chaleur n’est actuellement pas territorialisée, elle doit donc être affinée à l’avenir.   
  • En plus des bilans de l’aménageur et du promoteur, nous avons pour projet d’ajouter à la méthodologie la production de bilans connexes aux opérations d’aménagement comme le bilan d’exploitation d’un réseau de chaleur, d’équipements photovoltaïques ou encore de stationnements mutualisés. 
  • Enfin, EuroCO2 permet de déterminer les leviers de réduction de l’impact carbone de l’opération mais ne permet pas à lui seul de réduire le bilan carbone du territoire. Pour cela, un accompagnement individualisé reste nécessaire afin d’établir une stratégie territoriale de décarbonation.       

 

 

Pour conclure, EuroCO2 est une méthodologie souple, qui propose une analyse multifactorielle de projets d’aménagements adaptée aux besoins du maître d’ouvrage. Par ses résultats, elle permet d’orienter les choix d’aménagement vers des mesures de réduction de l’impact carbone des projets de manière réaliste.

Le poids carbone de l’aménagement n’est toutefois pas la seule variable à prendre en compte pour mener à bien la transition écologique des villes et territoires. Même si les leviers de réduction de l’impact carbone des projets peuvent comporter des co-bénéfices environnementaux, les enjeux d’adaptation des villes au changement climatique, de prise en compte de la biodiversité ou encore d’épuisement des ressources naturelles sont également des variables importantes à considérer en tant que tel dans les projets urbains.

Partager :