Comment maîtriser les risques et fiabiliser les pratiques d’économie circulaire ?

Rédigé par

Mariangel Sanchez Urieta

Ingénieure suivi des innovations

2788 Dernière modification le 17/11/2022 - 09:05
Comment maîtriser les risques et fiabiliser les pratiques d’économie circulaire ?

L’économie circulaire constitue un nouveau paradigme répondant aux enjeux environnementaux actuels. Pour cette raison son développement doit d’autant plus s’inscrire dans un cadre maîtrisé et sécurisé, qui permette la fiabilisation de la filière et d’éviter les contre-références qui pourraient constituer un frein.  

L’économie circulaire, un nouveau paradigme

Comme pour d’autres secteurs économiques, l’économie circulaire est en train de devenir un pilier de la transition écologique dans le secteur de la construction, qui a généré à lui seul 227,5 millions de tonnes de déchets en 2014 (Source : Essentiel Datalab, Entreprises du BTP, Commissariat général au développement durable, mars 2017). 

Son développement, grandissant, résulte d’une volonté politique et sociétale aux échelles européenne et nationale, qui vise à évoluer d’une logique de « déconstruire-enfouir » à celle de « réutiliser-réemployer ». La loi anti-gaspillage pour une économie circulaire promulguée en 2020 amène notamment une responsabilité élargie du producteur et réévalue le diagnostic déchets en diagnostic Produits Equipements Matériaux Déchets dans le domaine du bâtiment.

Bien que pratiqués à petite échelle depuis des millénaires, la massification du réemploi, de la réutilisation et du recyclage de produits de construction peut induire, comme pour toute innovation à grande échelle, des nouveaux écueils et risques de désordre. Ces pratiques, qui font appel à des produits, matériaux et systèmes issus d’une première vie en œuvre, bouleversent tout autant la chaîne de responsabilités des acteurs, que l’appréciation d’aptitude à l’emploi des produits.

Encadré 1 : L’Agence Qualité Construction et ses missions

L’Agence qualité construction (AQC) est une association loi 1901 reconnue d’intérêt général, dont la vocation est la prévention des désordres et l’amélioration de la qualité de la construction. Créée en 1982, son histoire prend ses racines dans le dispositif mis en place par la loi du 4 janvier 1978, dite « loi Spinetta », relative à la responsabilité et à l’assurance dans le domaine de la construction.

Lieu de travail et d’échanges de 52 organismes membres qui se mobilisent autour de la qualité de la construction, l’AQC dispose de trois Commissions spécialisées : la Commission Observation, la Commission Prévention Produits mis en œuvre (C2P) et la Commission Prévention Construction (CPC).

L’AQC dispose de plusieurs dispositifs d’observation, permettant l’identification des pathologies récurrentes, l’anticipation des sinistres sériels, l’évaluation de sinistres liées aux évolutions performancielles, l’identification des pathologies potentielles liées à de nouveaux modes constructifs ou à des évolutions réglementaires ou normatives.

Partant de cette observation à l’échelle nationale, toutes les actions de l’AQC et les nombreux outils qu’elle élabore ont pour fonction d’aider les professionnels sur le terrain dans leurs pratiques quotidiennes et de participer aux progrès collectifs du monde du bâtiment.

Encadré 2 : Définitions couramment admises dans le domaine de la construction

Réemploi : Matériaux dont l’usage/domaine d’emploi et les performances essentielles futurs sont identiques à ceux initiaux (par exemple, des planchers techniques, démontés, nettoyés, reconditionnés et réemployés pour la même utilisation), ou dont les performances essentielles futures sont moindres.

Réutilisation : Matériaux dont l’usage/domaine d’emploi futur n’est pas identique à celui initialement prévu (par exemple, la réutilisation une porte de distribution en bardage).

Recyclage : Toute opération de valorisation par laquelle les déchets, y compris les déchets organiques, sont retraités en substances, matières ou produits aux fins de leur fonction initiale ou à d’autres fins.

Rappel du contexte juridique français

Qu’il s’agisse d’un déchet, d’un sous-produit ou d’un matériau, les produits issus de l’économie circulaire, au regard notamment des contraintes de la Loi Spinetta, se doivent de répondre aux mêmes exigences et caractéristiques techniques qu’un produit neuf, en termes :

  • De réglementations,
  • De justification d’aptitude à l’emploi pour un domaine donné dans le respect des règles de l’art,
  • De durabilité dans le temps (décennale a minima),
  • D’entretien et de réparabilité.

Or, les conditions de vie en œuvre d’un produit préalables au réemploi (contraintes subies, vieillissement, déformations, dégradations chimiques…), sa dépose, son transport, son conditionnement et son stockage dans l’attente d’un nouvel usage, sont autant de facteurs qui peuvent impacter ses performances au sein d’un nouvel ouvrage, mais aussi entraîner des désordres.

Pour rappel, la responsabilité décennale d’un constructeur pourra être engagée si un élément constitutif de l’ouvrage entraîne une impropriété à destination ou une atteinte à la solidité de l’ouvrage, qu’il soit constitué de produits neufs ou issus de l’économie circulaire.

Une nouvelle chaîne de responsabilités et des nouveaux métiers

Alors que le recyclage des produits de construction, bien qu’innovant, relève d’un schéma industriel plutôt conventionnel, les nombreuses initiatives de réemploi et de réutilisation de produits de construction qui se déploient sur le terrain font émerger de nouvelles missions : diagnostic déchets, diagnostic ressources, déconstruction, transport, conditionnement et stockage des produits déconstruits, mise à disposition de matériaux via des plateformes, qualification technique du produit réemployé/réutilisé…

Si ces initiatives constituent un champ d’expérimentation indispensable, les difficultés de terrain d’ordre technique qu’elles soulèvent (dans l’évaluation des performances des produits, par exemple), mettent en exergue le besoin de construire la filière dans un cadre maîtrisé et sécurisant pour tous les acteurs de l’acte de construire.

La fiabilisation des pratiques nécessaire au développement du réemploi est d’autant plus cruciale dans le cadre de la réutilisation, pour lequel la deuxième vie en œuvre d’un produit peut être très éloignée de son domaine d’emploi initial. Alors que dans le cadre du réemploi une porte coupe-feu pourra être utilisée à l’identique ou alors être requalifiée en porte de distribution, un voile béton intérieur pourra être transformé en blocs de pavage extérieur dans le cadre de la réutilisation. Sauf que les performances essentielles pour sa nouvelle destination n’auront pas été évaluées lors de sa fabrication ou sa mise sur le marché (gélivité ou glissance dans le cas présent, par exemple).

Il convient aussi de garder à l’esprit que le coût de l’évaluation des caractéristiques techniques et des exigences performancielles du produit remployé ou réutilisé, au travers de tests et essais, doit être pris en compte dès la programmation. A l’inverse, cela pourrait engendrer un impact sur la faisabilité du projet.

Maîtriser les risques et fiabiliser les pratiques d’économie circulaire 

  • Comme pour tout autre matériau ou produit de construction, les caractéristiques des matériaux réemployés et réutilisés doivent être en accord avec celles définies dans les règles de l’art (NF DTU, normes EN/NF, Règles professionnelles, Recommandations professionnelles RAGE…). Afin de contribuer à la structuration d’une filière « sécurisée », l’utilisation de matériaux et produits de second œuvre issus du réemploi, susceptibles de ne pas entraîner une impropriété à destination ou une atteinte à la solidité de l’ouvrage est à privilégier.
  • La mise en place de référentiels techniques fixant les modalités de mesure par échantillonnage des performances réelles des produits est donc indispensable afin de les comparer aux exigences constructives.
  • Les besoins d’échantillonnage et de mesure de la performance d’un produit réemployé sont, in fine, strictement liés à sa nature et à sa capacité, ou non, de générer des sinistres d’ordre décennal (impropriété à destination, atteinte à la solidité de l’ouvrage), et donc à sa fonction (structurelle ou de second œuvre). Mais ces besoins peuvent aussi différer en fonction de la destination de l’ouvrage, au regard des exigences réglementaires auxquelles il sera soumis (maison individuelle, immeuble d’habitation collectif, établissement recevant du public…).

  • Des travaux entrepris par la Fondation Bâtiment Énergie, ont permis d’apporter une première pierre à l’édifice, grâce à l’élaboration de guides méthodologiques de diagnostic et d’évaluation des performances pour le réemploi de sept familles de produits. Concernant les produits réutilisés, la mise en place de référentiels semble prématurée, compte tenu du fait que les performances essentielles en vue de leur nouvel usage n’auront pas été évaluées lors de leur fabrication ou de leur mise sur le marché. 
  • Aussi bien dans le cadre du réemploi que de la réutilisation, il est primordial que les constructeurs se rapprochent de leurs assureurs le plus en amont possible des projets, afin de confirmer l’étendue de la couverture d’assurance et d’éviter tout sujet en cas de sinistre.
  • Un dernier point essentiel indispensable à la maîtrise de risques est la montée en compétences des acteurs par la formation et la qualification des acteurs sur de nouveaux métiers. Ces acteurs doivent être assurés pour les missions qu’ils réalisent.

Encadré 3 : Retours d’expériences
Dans le cadre de son Dispositif REX Bâtiments performants, l’AQC a mené un retour d’expériences en partenariat avec le Cluster Odéys.

Cette enquête de terrain a permis de mettre en exergue quelques points d’attention pour des opérations ayant recours aux pratiques de réemploi :
•    Le besoin de sensibilisation des différents acteurs impliqués ;
•    L’anticipation est la clé de la réussite, en termes de gisement de matériaux, d’adéquation par rapport au projet, ou d’implication des différents acteurs, y compris l’assureur ;
•    Le besoin de caractériser les performances des produits de réemploi pour garantir leur aptitude à l’emploi ;
•    La formation et la qualification des professionnels.

Les retours d’expérience de terrain peuvent contribuer, par leurs apports, à la structuration de la filière réemploi et constituer ainsi un intéressant outil de remontée de difficultés ou de bonnes pratiques aidant à la maîtrise de risques.

Un article signé Mariangel Sanchez Urieta (Agence Qualité Construction – AQC)


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