Chroniques climatiques - Activités économiques et changement climatique : un big bang juridique ou un col hors catégorie ? (1/2)

Rédigé par

Lionel Roche

1307 Dernière modification le 29/01/2019 - 11:00
Chroniques climatiques - Activités économiques et changement climatique : un big bang juridique ou un col hors catégorie ? (1/2)

Entre la loi Pacte, examinée aujourd’hui mardi 29 janvier au Sénat en première lecture, et le lancement de l’Affaire du Siècle, des initiatives venant de parties prenantes aux objectifs et de natures très différentes se font jour en France. Dans cette chronique, nous revenons sur l’aspect juridique des grands défis climatiques. Retrouvez la suite de cette première partie dès demain mercredi.

2018 fut, selon Météo France, l’année la plus chaude jamais enregistrée en France depuis 1900 avec une température annuelle moyenne de 14°C, supérieure de 1,4°C à la moyenne de référence entre 1981-2010. Elle a notamment connu l’été le plus chaud jamais enregistré après celui de 2003. Ce record s’est traduit par d’importants épisodes de sécheresse qui ont affecté diverses activités humaines, avec des conséquences rarement constatées (ex. : plus bas niveau du lac d’Annecy depuis 70 ans…).

 

La France n’est pas un cas isolé. L’Allemagne comme la Suisse ont également connu d’importantes vagues de chaleur suivies de déficits hydriques tout aussi manifestes avec un très fort impact sur les activités agricoles. Cette même année, le Rhin a ainsi connu son plus bas niveau historique, un étiage qui a duré des mois impactant directement le fret fluvial, alors que près de la moitié du transport fluvial européen se fait entre Bâle et la frontière germano-néerlandaise avec, à la clé, un report sur le fret routier avec des émissions de CO2 plus importantes (186 millions de tonnes de marchandises en 2017). L’eau du Rhin a, dans le même temps, connu une augmentation significative de sa température du fait de ces étiages plus longs et plus intenses, ce qui a entraîné des conflits d’usage sur la gestion de la ressource alors que les pressions et le nombre d’usagers augmentent (qualité de l’eau en baisse, approvisionnement en eau potable moins sûr, répartition de la ressource entre des usagers plus nombreux…).

 

L’année que nous venons de connaître montre que le changement climatique s’installe durablement à l’échelle de notre continent et marque de plus en plus par son empreinte les activités de nos sociétés. Pour le Groupe intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), un réchauffement planétaire de 2°C présenterait un risque de dangerosité significativement élevé, avec un possible risque d’emballement (sécheresses, fortes précipitations et inondations, tempêtes…). Les prévisions du GIEC illustrent plus concrètement les risques de mutations climatiques que, dès les années soixante-dix, des scientifiques dénonçaient déjà (The Williamstown Study of Critical Environmental Problems, 1970 – The Limits to Growth, Rapport Meadows, Club de Rome 1972, et ses mises à jour  de 1992 et 2004).

 

Pourtant, malgré l’Accord de Paris (COP 21 Décembre 2015) et les rapports successifs du GIEC, les gouvernements peinent à respecter les objectifs qu’ils se sont fixés pour réduire les émissions de CO2 pour éviter de dépasser une augmentation de plus de 1,5°C. De la même manière, les investissements ne sont pas suffisamment mobilisés pour aller vers un modèle de société bas carbone. Ainsi, il manquerait 10 à 30 milliards d’euros d’investissement annuel pour inscrire la France dans sa trajectoire bas carbone (Panorama des financements climat en France, édition 2018, Institute for Climate Economics-I4CE). Or, nous avons impérativement besoin de ces investissements pour tendre vers le bas carbone.

 

En 2017, le secteur des transports a dépassé de 10,6% ses objectifs, le bâtiment, de 22,7%, et l’agriculture, de 3,2% alors que la France doit respecter un plafond global d’émissions de gaz à effet de serre (GES) sur la période 2015-2018. L’effort devra donc être reporté sur les années à venir alors même que le pays affiche l’objectif d’atteindre la neutralité en émissions de GES à l’horizon 2050.

 

Plus on avance, plus on constate que les termes de l’équation – poursuite de la croissance de notre modèle de production et de consommation et, dans le même temps, réduction de nos émissions de GES – risquent d’être difficiles à résoudre au regard des objectifs fixés au plan européen.

 

Deux actualités récentes montrent que la traduction dans les faits de la lutte contre le changement climatique produit des effets suscitant des manifestations comme des insatisfactions et donc des tensions :

 

  • Le mouvement des gilets jaunes fondé, pour partie, sur la hausse du prix à la pompe du diesel résultant de la hausse combinée du prix du baril de pétrole brut et de la taxe écologique sur les carburants,
  • Le recours en carence formé par un collectif d’ONG contre l’Etat français pour prendre toute mesure utile permettant de stabiliser sur l’ensemble du territoire les concentrations de GES dans l’atmosphère à un niveau qui permette de contenir l’élévation de la température moyenne de la planète à 1,5°C par rapport au niveau préindustriel, avec une pétition signée en quelques semaines seulement par plus de 1,9 million de personnes estimant, en l’état des mesures adoptées, que le compte n’y est pas.

 

Ces deux évènements qui ont marqué la fin de l’année 2018 montrent que la lutte contre le changement climatique ne fait pas encore consensus et qu’elle doit être sérieusement repensée pour intégrer la diversité de nos territoires qui, d’évidence, ne sont pas tous égaux devant ce phénomène, sans pour autant perdre de vue les objectifs que nous avons adoptés : ne pas dépasser les 1,5°C et limiter nos émissions de GES.

 

Quelle que soit l’interprétation que l’on donne à ces deux évènements, on aurait tort de minorer leur portée car tous deux, bien que pour des raisons qui peuvent être très différentes, et sans ignorer les contradictions qui les traversent, traduisent une même réalité : la difficulté pour nos sociétés de s’adapter à la lutte contre le changement climatique en disposant de la volonté, des outils et des moyens pour y faire face. Car c’est notre capacité à adapter nos modes de vie, de consommation et notre modèle de production particulièrement énergivore et gros émetteur de CO2 qui est en cause. Or, dès 1972, les auteurs du Rapport Meadows démontraient que plus notre modèle dépasserait ses limites – une consommation des ressources supérieure à ce que notre planète peut offrir avec une augmentation continue de la population – plus on aurait une augmentation exponentielle des coûts affectés à la lutte contre les pollutions et à la réduction des émissions de GES, analyse confirmée dans ses versions ultérieures (Rapport Meadows, Stewart Udall, 1980).

 

La France n’est pas un cas isolé puisque le gouvernement des Pays-Bas vient d’être condamné en appel pour carence dans l’atteinte de ses objectifs en matière de réduction de ses émissions de GES (Affaire Urgenda Foundation, 09-10-2018, Cour d’appel de La Haye).

 

On assiste bien aux premiers pas de la justice climatique.

 

*

Dans un tel contexte, à quels risques se trouvent exposées les activités économiques ? Quel rôle le droit joue-t-il dans cette partie ? Peut-on éviter d’entrer dans un modèle que d’aucuns considèrent comme punitif ?

 

Si le droit européen détermine les objectifs à atteindre pour tendre vers un modèle bas carbone et réduire nos émissions de CO2 en mobilisant différents outils comme l’économie circulaire, au plan national, beaucoup reste à faire, au-delà de la seule traduction dans notre ordre juridique des normes communautaires. Et c’est bien à ce niveau que les plus fortes tensions vont s’exprimer. En d’autres termes, comment le droit va résoudre cette équation ? Et, sous cet angle, quel sera le prix à payer pour répondre aux défis que nous impose le changement climatique?

 

Un examen attentif de la jurisprudence comme de certaines dispositions légales nous permet de dégager une tendance pour apprécier le degré de contrainte qui va s’exprimer sur les acteurs économiques. Car tout est bien une affaire de degré. Jusqu’où le curseur de la contrainte va-t-il se déplacer au risque de pénaliser directement telle ou telle activité économique ? Partant de là, quelles conclusions pouvons-nous tirer en termes de développement futur ?

 

Différents outils juridiques sont d’ores et déjà mobilisés :

 

  • La liberté du commerce et de l’industrie, autrement dit la liberté d’entreprendre,
  • La Charte de l’environnement de 2004 adossée à la Constitution de 1958,
  • La révision de la Constitution de 1958 pour y intégrer de nouvelles dispositions,
  • La taxation du carbone, et, plus largement, la fiscalité écologique.

 

Outre la réglementation conséquente déjà applicable dans bien des domaines d’activités sérieusement encadrés (ex. : les activités et installations soumises à la réglementation sur les installations classées pour la protection de l’environnement - ICPE), bien d’autres secteurs vont être impactés dans leur développement par la réglementation écologique/climatique qui se met en place et va connaître un développement croissant.

A suivre...

 

Retrouvez la seconde partie de cette chronique.

Photo by Juan Encalada on Unsplash

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