Bat’Impact, « l’anti-sèche de l’éco-conception » par Nurra Barry

Rédigé par

Amandine Martinet - Construction21

Journaliste

2099 Dernière modification le 04/04/2023 - 11:52
Bat’Impact, « l’anti-sèche de l’éco-conception » par Nurra Barry

 

Opérer une transition vers une architecture plus durable, cela se prépare bien avant de débuter la conception d’un projet. C’est ce que nous explique Nurra Barry, elle-même architecte d’intérieur et fondatrice de Carbon Saver une startup qui a développé l’outil Bat’Impact pour aider à la prise de décision en matière environnementale en amont de la rénovation ou la construction d’un bâti. Entretien.

C21 : En quoi votre solution Bat’impact® est-t-elle un levier pour aller vers une architecture plus durable ?

Nurra Barry : Selon les Nations unies et la Commission européenne, 80% de l'impact d'un produit ou d'un service se joue au moment de sa conception. Par ailleurs, nous nous sommes aperçus que dans le secteur de la rénovation, il n’existait pas de système d’aide à la décision pour réduire l’impact environnemental ni de réglementation en ce sens – excepté thermique. C'est la raison pour laquelle nous avons décidé de créer Bat’impact. Cet outil nous positionne sur l'étape cruciale de la conception, alors que la plupart des solutions existantes privilégient l’aval, une fois que le projet est relativement défini et figé. 

Tout l'intérêt du Bat'impact est donc d'avoir une approche macro, très en amont du projet, avant même d'avoir commencé à dessiner quoi que ce soit. 

Cette solution permet ainsi à des créatifs de prendre des décisions qui relèvent de compétences en ingénierie environnementale et étayées par des calculs complexes. Autrement dit, le Bat'impact, c'est un peu l'anti-sèche de l'éco conception : en un coup d'œil, le professionnel sait s'il est sur la bonne voie ou s'il fait fausse route. Ce score d’aide à la décision repose sur des données sérieuses et vérifiées : la base de données ecoinvent.

 

Comment comptez-vous faire évoluer cet outil ? 

NB : Aujourd’hui, Carbon Saver peut s’employer dans le cas d’une rénovation d’habitations, de boutiques ou encore d’hôtels-restaurants. Les bureaux seront également inclus avant cet été. L’étape suivante est d’étendre l’outil à la construction de logements individuels et collectifs. Nous allons donc commencer à travailler sur un nouveau score, toujours suivant une approche macro, en se plaçant en amont du dessin. Cela signifie qu’à terme, il sera par exemple possible de pré-qualifier son projet pour la RE2020. 

Nous avons également un projet de R&D avec l’université d’Orléans, qui pourra générer des pré-calculs dans les plans de l’architecte (récupérateurs d’eau, isolation thermique optimisée…).

 

Quelle est votre vision de ce que doit être une architecture durable ?

NB : Une architecture durable inverse totalement le procédé créatif. Le projet se dessine en fonction d’une somme de contraintes planétaires et environnementales, et non en fonction d’un désir stylistique très personnel. L'un n'empêche pas l'autre, mais par exemple tous les architectes ont toujours composé avec les lois de la gravité. Pourquoi ne pas composer avec les limites planétaires ?

On parle beaucoup de santé mentale depuis le COVID et les grands ensembles de l'après-guerre et les cités ouvrières du 19e nous ont donné bien des leçons à ce sujet. Je veux dire que l’on ne doit pas perdre de vue les usagers des bâtiments que l'on dessine, car ils sont intimement liés à la société qui va s'y épanouir ou au contraire y étouffer. L’architecture durable, donc, est capable de vieillir, car ce sont des édifices qui ont des usages amenés à varier au gré de leurs occupants et de leurs besoins. C’est aussi un confort esthétique et une harmonie avec l’environnement, car nous avons tendance à conserver ce que nous continuons à regarder avec plaisir. Il ne nous viendrait pas à l'idée de raser la Cité radieuse dessinée par Le Corbusier à Marseille.

C’est pourquoi il est primordial de pouvoir composer avec tous ces aspects dès la phase créative, ce qui permet d’éviter de tout dynamiter 30 ans plus tard ! La boucle est bouclée : préservation de la biodiversité, respect des usagers et consommation d'énergies sont les éléments d'un même problème, et c’est ce qui compose pour moi une architecture durable.

 

Pensez-vous que les acteurs du secteur sont suffisamment concernés par les questions liées à la décarbonation aujourd’hui ?

NB : Ils sont de plus en plus nombreux à se sentir concernés, mais ils sont à l'image de la société, divisés !  Le sujet de la décarbonation prend de l'ampleur chez les acteurs du secteur du bâtiment car ils sont aux premières loges pour constater les dégâts, mais ils se sentent souvent impuissants face aux impératifs financiers de leurs donneurs d'ordre, qui les empêchent parfois d’aller au bout d’une démarche vertueuse. C'est là qu'une solution comme la nôtre va pouvoir les aider à trouver des alternatives avant qu'il ne soit trop tard. Il y a également un travail d’éducation auprès de la filière et auprès de certains clients, pour qu’ils intègrent de nouvelles façons de faire, telles que le réemploi. 

Nous sommes d’ailleurs partenaires du CCCA-BTP, qui voit en Carbon Saver une bonne solution pour former les jeunes apprentis aux problématiques de décarbonation, tous corps de métiers confondus. 

Ce que je constate, c'est que ceux qui se sentent concernés sont particulièrement engagés et proactifs, beaucoup nous ont gracieusement donné de leur temps pour coconstruire notre solution, et vont jusqu'à investir dans notre crowdfunding sur We Do Good.

 

Pensez-vous que la réglementation va assez loin en France pour décarboner efficacement les bâtiments ? 

NB : La RE2020 est déjà une belle avancée, en proposant pour la première fois une approche plus globale et systémique, mais j'ai hâte que nous allions encore plus loin. En matière de rénovation, il faudrait une réglementation équivalente à la RE2020, mais nous en sommes pour le moment très loin.
Ensuite, la filière du réemploi a besoin d'aide pour s'organiser davantage et devenir un réflexe. Lorsque l'obligation du diagnostic PEMD sera appliquée à des surfaces à partir de 1 000m² et non 10 000, nous verrons un véritable bond en avant dans la réduction de l'impact et des déchets du bâtiment. 

 

Etes-vous optimiste ?

NB : C’est difficile à dire ! Je suis dans une bulle où tout le monde souhaite que les choses avancent, ce qui créé un prisme assez déformant de la réalité. Je reviens vite sur Terre quand je vois le nombre de SUV et 4x4 sur les parkings des supermarchés (rires). Mais je reste tout de même optimiste, car au niveau sociétal, je sens une prise de conscience et les choses vont dans le bon sens. Ce qui me rend plus pessimiste, c’est la cadence à laquelle vont les choses. Il faut accélérer ! C’est pour cela que chez Carbon Saver, nous nous positionnons beaucoup sur le gain de temps de l’aide à la prise de décision. 

 

Avez-vous des exemples de projets vertueux à nous présenter, illustrant votre vision de l’architecture durable ?

NB : Mon premier coup de cœur a été La Maison des Canaux, à Paris. Lors de son inauguration, j’ai pensé « Enfin un exemple de projet soigné, beau et qui donne envie ! » Dans la construction, je pense évidemment à Lakaton et Vassal qui œuvrent depuis toujours pour la réhabilitation au lieu de la démolition et qui ont reçu le Pritzker 2021. Je suis très sensible à leur travail, notamment celui sur la Bois-le-Prêtre dans le 17e arrondissement de Paris où ils ont appliqué leur philosophie d’améliorer sans détruire pour un budget 70% plus avantageux que la démolition / reconstruction et des tonnes de carbone évités. Je pense que c’est totalement dans ce sens-là que nous devons aller : rénover en améliorant le quotidien des habitants plutôt que construire. 

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