Avec l’Ecovillage des Noés vainqueur du Grand Prix ville Durable France 2017, « tous les aspects du vivant sont conviés, assemblés sur un site inondable ». Philippe Madec, architecte du projet
Nadège Rigaudeau
En 2017, L’écovillage des Noés gagnait le Grand Prix Ville Durable France des Green Solutions Awards. Une belle récompense, pour ce projet situé à Ville-de-Reuil, l’une des plus jeunes communes françaises. Philippe Madec, architecte du projet, détaille la démarche durable qui a accompagné le projet et a participé à la redynamisation de cette ville nouvelle.
Parlez-nous de votre parcours professionnel et de votre engagement dans la construction et l’aménagement durable
Formé à l’architecture au Grand Palais à Paris (atelier Ciriani/Maroti), j’ai ouvert mon atelier à Paris en 1989. Mon engagement dans la construction durable a plusieurs sources : d’abord un héritage familial, puis un engagement personnel ; et finalement la rencontre avec Kenneth Frampton (architecte britannique connu pour sa critique envers le postmodernisme) en 1983/1984.
Depuis le début de ma pratique professionnelle, j’ai développé une approche écoresponsable du projet architectural et urbain. En tant qu'architecte, je conçois tous types de bâtiments performants, bioclimatiques et éco-construits depuis le logement social jusqu'aux équipements culturels. En tant qu'urbaniste, je travaille à de très différentes échelles, depuis les bourgs, les éco-quartiers et les éco-cités ; jusqu'aux villes écologiques (Maroc) et à l'aménagement du très grand territoire.
Egalement professeur en architecture, j’enseigne « l’invention du territoire durable » à l’ENSA de Bretagne, et suis président de la Team Solar Bretagne, une association créée en 2014 dont le but est de fédérer des établissements de l’enseignement supérieur bretons, autour de projets de construction d’habitats durables.
Récompenses
- Chevalier de la Légion d’Honneur au titre de l’écologie
- Lauréat du Global Awards 2012
- Membre titulaire du chapitre Europe du Club de Rome
- Expert de l’ONU pour le sommet HABITAT III
Dans quel territoire le projet s’inscrit-il ?
En 1981, dans un méandre de la Seine, non loin de la confluence de l’Eure est créée la plus jeune commune française : Val-de-Reuil. Son concepteur est l’atelier de Montrouge : Pierre Riboulet, Jean-Louis Véret, Jean Renaudie et Gérard Thurnauer (architecte français décédé en 2004, membre de l’atelier rouge et réalisateurs du grand programme de la Villette Nord). Ce dernier est resté attaché à sa ville et il n’était pas rare, au début des années 2000, de le voir s’y promener, solitaire et méditant.
La conception du « Germe de ville » sur dalle évoque Louvain-la-Neuve qui se réalise alors en Belgique ; pourtant la géométrie orientée et orthogonale du plan général fait écho au hameau voisin de Léry. L’objectif initial de « 100 000 habitants en 2000 » ne résiste pas à la fin des Trente Glorieuses et la ville tombe en dépression jusqu’au début des années 2000. L’arrivée d’une nouvelle municipalité emmenée par le maire Marc-Antoine Jamet et l’installation d’activités porteuses comme l’industrie pharmaceutique relancent le projet de ville ; appuyé par un ambitieux renouvellement urbain soutenu par l’ANRU (Agence Nationale de Renouvellement Urbain).
Quelles sont les caractéristiques principales de l’Ecovillage des Noés ?
Porté par le bailleur social Siloge d’Evreux, la municipalité et des partenaires engagés, le projet de l’éco-village des Noés relève d’une consultation CREM « Conception Réalisation Exploitation Maintenance » : l’ensemble est le fait d’une seule et même équipe maître d’ouvrage/maître d’œuvre/constructeur.
Ce projet est né de la volonté de proposer aux habitants un nouveau mode d'habiter plus respectueux de la planète et plus en accord avec leurs aspirations. L'éco-village est une forme particulière d'éco-quartier ; l'idée est bien de se fonder sur l'expérience ancestrale de la vie sociale villageoise, plus que sur sa forme urbaine, ainsi que sur son fondement économique : l'agriculture. L'Eure est en effet un département à vocation agricole.
Le concept d'éco-village a été élaboré avec la volonté de faire du quartier un lieu porté par ses habitants. Le projet s'attache à promouvoir le lien entre la population et la berge semi naturelle : voie verte, vues, cultures maraîchères, jardins familiaux et verger, reconstitution de zones d'expansion de crue. L'intégration poussée entre les activités économiques présentes sur le site de l'Eco-village : crèche, jardins familiaux, maraîchage… au travers des expériences partagées, permet une meilleure appropriation des usages solidaires et responsables. Par l'expérience quotidienne, les habitants de l'Eco-village pourront mesurer concrètement les valeurs de vie solidaires.
Quelles ont été les lignes directrices de votre démarche ?
Pour Thurnauer, une « raison de faire de Val-de-Reuil un sujet d’observation hors du commun serait de lui restituer, en fait de fiche identitaire, son statut d’origine de ville-pilote en matière de qualité environnementale, d’économie d’énergie, de gestion parcimonieuse des sols, d’innovation dans les procédés de construction et de lutte contre les nuisances, sans oublier l’hydraulique » (Le Moniteur du 26 mars 2004).
Le projet rejoue la relation fertile de Val-de-Reuil à l’Eure fondatrice. Tous les aspects du vivant y sont conviés, assemblés sur un site inondable : une production horticole, des pratiques sociales, un accueil attentif de la faune et de la flore et des architectures écoresponsables performantes et lumineuses.
Quelles solutions avez-vous mises en place pour atteindre vos objectifs ?
Le dialogue a été le fil directeur du projet. L’ensemble des acteurs a concouru à l’aboutissement de ce projet : l’horticulture et les jardins familiaux bio sont portés par une coopérative de réinsertion sociale ; l’enclos de pâture des ânes et leur abri par le bailleur ; en coopération avec le WWF (World Wide Foundation) au titre du programme One Planet Living (programme qui utilise l’empreinte écologique comme un outil de mesure de la durabilité).
Les objectifs environnementaux sont très ambitieuses et se réalisent à tous les étages. En écho au positionnement héliotropé (tourné vers le soleil) et bioclimatique du hameau de Léry, le tissu urbain de ce quartier piétonnier se protège des vents forts de la vallée de la Seine, aspire le soleil et la lumière pour tous. Comme la crèche, les logements répondent aux objectifs de la qualité environnementale ; du point de vue énergétique ils sont passifs pour le chauffage, BBC tous usages. Ils sont traversants, ouverts à leur environnement, des persiennes bois repliables protègent les menuiseries en bois, l’isolation par l’extérieur est protégée par des bardages bois, zinc, ardoise et enduit, toutes les salles de bains ont des fenêtres ouvrantes, etc.
Ces logements en location, accession et réinsertion sociale accueillent également une crèche, une cuisine centrale municipale et une halle ouverte sur une place propice au marché. L’ensemble du programme de l’écovillage des Noés atteint un niveau de performance zéro énergie passive, avec une chaufferie urbaine au bois.
En termes de biodiversité, la végétation tout comme l’eau est comme chez elle. Un bras de dérivation a été créé pour gérer les crues et est destiné à devenir une frayère à brochets : il ne reste plus qu’aux brochets à s’investir !
Quels avantages avez-vous retirés de votre participation aux Green Solutions Awards ?
Notre participation aux Green Solutions Awards a permis de faire connaître le projet au niveau national et international. A l’inverse, j’ai également pu découvrir d’autres démarches en observant les autres candidats. Au final, les Green Solutions Awards participent à la compréhension de l’état de l’art au niveau national et international.
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