#4 - Aide à la décision pour un optimum investissements / solutions de transition : mise en œuvre d’un outil de prospective financière

Rédigé par

Patrice Barbel

3001 Dernière modification le 28/03/2022 - 10:47
#4 - Aide à la décision pour un optimum investissements / solutions de transition : mise en œuvre d’un outil de prospective financière

Dans les circonstances exceptionnelles de crise sanitaire et sociale et d’urgence climatique, les universités, les collectivités locales ainsi que les Centres Hospitaliers Universitaires ont un devoir d’exemplarité. Ils doivent donc s’impliquer dans les travaux de recherche, d’accompagnement et de solidarité nécessaires à une transition climatique équilibrée et acceptable. Acteurs économiques de premier plan sur leurs territoires, les établissements d’enseignement supérieur détiennent un levier de développement de l’emploi et de l’innovation puisqu’ils ont le pouvoir de positionner les enjeux des transitions au coeur de leur démarche.


Dans ce contexte particulier, les universités souhaitent réaffirmer leur exemplarité. Elles font des propositions pour transformer leurs campus et répondre aux enjeux d’efficacité énergétique, d’attractivité et d’accueil des étudiants et des chercheurs, nationaux ou internationaux. Elles accélèrent les mutations pédagogiques et techniques, incluant le numérique, pour accompagner dans les meilleures conditions l’ensemble des acteurs universitaires et leurs partenaires vers une « ré-habitation » de campus soumis à des transitions multiples. Enfin, elles abordent ces mutations en assumant leur rôle stratégique face aux enjeux des défis sociétaux s’inscrivant dans une démarche de labellisation (Label DD&RS).

Le PEEC 2030 : une démarche systémique pour la rénovation des campus universitaires

En 2016 Un Groupe de travail de dix universités au sein du groupement France Universités s’est organisé pour proposer un cadre d’action en vue de constituer les conditions de mise en œuvre du déploiement d’une rénovation complète et ambitieuse des campus. En prenant appui sur le levier des transitions, notamment la transition énergétique, ils ont développé le Programme d’Efficacité Energétique des Campus : PEEC 2030

Ces travaux ont conduit à formaliser :

- une méthode avec des préconisations techniques en articulant six leviers d’innovation en définissant un premier pilote par établissement impliqué (10% du Patrimoine) ;

-  un outil de prospective financière pour construire des trajectoires de soutenabilité en définissant le niveau d’investissement, la performance globale à atteindre et les temporalités associées pour réussir l’atteinte des objectifs poursuivis.

Ces outils méthodologiques sont disponibles sur le site de France Universités, Conférence des Présidents des Universités (ex CPU).

Fort de l’intérêt porté par la démarche PEEC 2030, les acteurs de la filière de la construction (voir site AIMCC) en ont fait un axe stratégique de leur contrat de filière signé en février 2019. Impliquées dans le Plan de France Relance à hauteur de près de 800M€, les universités se sont mobilisées dans une démarche de « démonstrateurs » consolidant ainsi les conditions de déploiements de « Pilotes » de la transition énergétique, préfigurateurs des campus universitaires de 2030 inscrits dans leurs territoires.

Dans le cadre de l’avenant Plan de relance du CSF-IPC signé en novembre 2021, les universités, avec les acteurs de la filière des industries pour la construction, développent un programme de massification et de décarbonation de la rénovation. En mobilisant les laboratoires avec les pôles de compétitivité et les campus des métiers et de qualification pour la maturation des innovations et la formation des acteurs de la rénovation, ils constituent les conditions de l’atteinte des objectifs en adéquation avec une trajectoire de soutenabilité.
 

Mise en œuvre d’un outil de prospective financière pour réorienter les investissements pour la transition énergétique

A ce jour, les méthodes de contrôle des budgets sont trop focalisées sur les effets immédiats pour permettre d’apprécier le caractère durable des équilibres à moyen et à long termes. C’est sans doute la raison pour laquelle les gestionnaires manifestent un grand intérêt pour les méthodes d’analyse financière prospective du budget principal et de la fonction immobilière. Elles leur permettent de mieux anticiper les marges de manœuvre pluriannuelles d’un établissement.

L’exercice de prospective financière, très largement exploité dans le secteur public local, n’a pas pour ambition de prédire avec certitude l’avenir, mais seulement d’éclairer la ligne d’horizon pour conduire une réflexion stratégique à moyen terme et proposer une aide à la décision dans une démarche partenariale et systémique.

Dans la simulation prospective exploratoire réalisée en 2016 (figure 3), l’étude des charges immobilières, normalisée à 10M€, illustre les interactions d’un scénario d’investissement, correspondant à un niveau de performance visé, avec les évolutions des charges d’exploitation.

La simulation présentée montre le double intérêt économique d’une stratégie de transition énergétique ambitieuse. Elle a pour effet une réduction des coûts énergétiques ainsi qu’une une baisse des consommations. L’intérêt pour les universités de dégager une capacité d’autofinancement, se double d’un intérêt pour l’état en mobilisant une SCSP au service des missions des universités.

Depuis février 2019 une version en ligne du simulateur est accessible à l’ensemble des universités pour permettre d’explorer et d’évaluer divers scénarios à partir des données financières qui sont propres à chacune des universités , en accord avec les projets inscrits dans leurs stratégies patrimoniales (SPSI).

L’outil permet d’évaluer la pertinence économique et socio-économique des investissements en complétant les données disponibles par une évaluation fine des impacts sur les externalités. Il permet ainsi d’explorer et de comparer les multiples solutions capables d’assurer un équilibre entre les ambitions de rénovation et la soutenabilité budgétaire durable.
 

Mise en évidence du coût de l’inaction, dette technique

Une érosion progressive des marges de manœuvre est induite par l’effet d’entrainement de l’investissement sur le fonctionnement qui mène à une impasse budgétaire dont voici quelques éléments.

Les différentes analyses réalisées par le PEEC 2030 démontrent que les résultats de la simulation systémique « fil de l’eau » font ressortir, avec le vieillissement progressif du patrimoine, des risques de déséquilibre du budget. Ils sont provoqués notamment par l’effet d’entrainement et d’accélérateur des dépenses de consommations de fluides, l’augmentation du prix de l’énergie et l’accroissement des dépenses de maintenance. Ces éléments sont constitutifs de la « dette technique », parce que liée au modèle constructif des bâtiments, principalement issus des années 60 et 90. Ce phénomène est d’autant plus sensible que la dynamique d’indexation des ressources propres et de la SCSP est en règle générale insuffisante pour absorber les charges rigides de la dette technique et fonctionnelle. L’absence de maîtrise des charges, associée ou résultante du « coût de l’inaction », conduit à une réelle impasse budgétaire des établissements. Les investissements passés ont conduit à des augmentations de surface qui de fait ont augmenté les coûts de fonctionnement (effet prix, effet quantité).

Quand on simule avec un scénario de taux d’évolution à 5%, il est pris en compte une augmentation cumulée de l’énergie, tant celle liée à l’augmentation des surfaces et des équipements énergivores que celle du fait de l’augmentation du coût d’une énergie aujourd’hui carbonée.

Dans ce scénario de simulation, (voir résultats courbe « fil de l’eau » de la figue 4), on constate une dégradation de la Capacité d’Auto-Financement en ne prenant en compte qu’une évolution du coût des fluides et de la maintenance, toutes choses étant égales par ailleurs.
 

Trajectoire de transition temporalité, performance, massification de l’investissement et industrialisation

Une prospective financière qui repose sur une approche volontariste et qui exploite tous les leviers de la rénovation tout en ré-orientant les investissements est nécessaire pour couvrir la maîtrise de l’ensemble des consommations, à la fois sur les bâtiments existants et les activités. Le seul domaine immobilier n’est pas suffisant pour traiter la dette technique dans son ensemble car la spécificité de l’activité des Universités, qui combinent enseignement et recherche, montre que les « process » associés à cette recherche sont de plus en plus énergivores. Il y a donc un réel risque de « siphonage » des économies réalisées sur les bâtiments par les usages liés aux typologies des activités qui s’y déroulent. Les résultats des simulations de cette approche volontariste illustrent la consolidation de cette profitabilité de l’exploitation sur le long terme, qui répond à des objectifs d’investissement tant en matière de développement que de renouvellement.

La figure 4 rassemble l’ensemble des solutions activables pour élaborer une stratégie de rénovation en fonction des effets recherchés et des ressources associées, disponibles, nécessaires à leur mise en œuvre. A chaque stratégie retenue est associé un modèle de prospective financière en vue d’en étudier la soutenabilité, ou en retour de définir les caractéristiques techniques de ces solutions pour obtenir cette soutenabilité.
 

Une dynamique investissements - fonctionnement, mobilisation de l’ensemble des leviers

Les simulations démontrent que les leviers de la rénovation des campus sont multiples : réduction de charges induites par le patrimoine et les activités, mais aussi capacité à générer des nouvelles ressources. (Par exemple les valorisations rendues possibles par la rénovation en opposition à la valorisation qui rend possible la rénovation). Tout l’enjeu de ce scénario volontariste réside dans l’ajustement entre un objectif de minoration des charges de fonctionnement et l’adaptation d’un niveau d’investissement permettant d’inverser la spirale de la dette technique. Il est ainsi permis de tendre vers une décroissance des coûts d’exploitation plutôt qu’une augmentation des ressources propres.

À la première séquence d’investissement engagée en 2022 dont on perçoit les effets 3 ans plus tard, est ajoutée une deuxième séquence avec effet trois ans plus tard, puis rapidement une troisième séquence (2ans) et ce, jusqu’à une septième séquence. Les gains constatés pourront alimenter la CAF. Si la troisième séquence n’était pas mise en œuvre, le cycle d’exploitation continuerait de décroitre. Cette simulation met en évidence les effets de la temporalité des investissements associée au niveau de performance recherché dégageant les marges budgétaires (ensemble des leviers figure 4). Elle montre l’urgence d’agir en contexte d’augmentation des coûts de l’énergie pour un scénario sur 10 à 15 ans.
 

Ingénierie financière prenant en compte l’évaluation socio-économique

L’exercice de simulation, par l’exploration des études des paramétrages des différentes variables influençant les performances budgétaires impactées par les différents travaux associés, au regard des résultats de simulation de comprendre les interactions investissement / fonctionnement, est une aide à la décision pour le positionnement des choix stratégiques budgétaires de l’établissement associant équipe présidentielle politique et équipe de direction des services.

L’évaluation socio-économique prend toute son importance dans une démarche d’investissement volontariste. Elle se distingue d’une approche strictement financière centrée exclusivement sur l’étude des coûts et bénéfices marchands. Le calcul socio-économique illustre l’effet de renversement du rôle des acteurs bénéficiaires de la nouvelle structure financière : Bilan carbone, mobilité, développement économique, qualité de vie au travail, réussite étudiante, diplomation, brevets, etc .

A chaque scénario de solutions techniques de rénovation correspond une trajectoire de décroissance carbone, plus généralement une trajectoire d’impacts socio-économiques. Le simulateur calcule les valeurs actualisées nettes (VAN) au regard de chacun des partenaires institutionnels. Les valeurs tutélaires associées peuvent être renseignées. Des valeurs à impacts spécifiques peuvent être explorées.

Le graphe d’une modélisation socioéconomique montre qu’il faut jouer sur l’ensemble des leviers pour avoir une efficacité économique sur le territoire acceptable par tous, et ceci dès le début du projet : L’impact sur les temps de mobilité peut être plus significatif que celui des enjeux à effet de serre. Un dispositif de suivi dans la durée est nécessaire pour suivre les effets rebonds.
 

Un modèle en réplication pour les collectivités, les bailleurs sociaux, les hôpitaux…

Un changement de paradigme est aujourd’hui nécessaire pour rompre la spirale irréversible dans laquelle la dette technique issue des choix technologiques postérieurs aux années 50 nous a inéluctablement enfermé. Sans ce sursaut, le coût de l’inaction se matérialisera par l’explosion d’un poste carbone dans les budgets conduisant progressivement à une situation d’insoutenabilité, et de fait à d’inévitables réajustements budgétaires au détriment des missions fondamentales des établissements d’enseignement supérieur. L’augmentation en cours des coûts de l’énergie valide les anticipations décrites.

Alors que le Décret Tertiaire fixe à 2050 des objectifs qui pourraient être non seulement accessibles, mais surtout indispensables dès 2030, les universités jouent pleinement leur rôle d’éclaireur pour la société en proposant le modèle PEEC 2030. Ce modèle économique de la rénovation énergétique est transposable au secteur public local (dont on sait que les collectivités dépensent en 7 ans l’équivalent de leurs dépenses d’investissement), mais également au secteur de la santé (hôpitaux, établissements médicaux sociaux, …) très largement concerné, là aussi, par une dette technique qui érode mécaniquement chaque année les marges budgétaires.

Une version du simulateur est disponible et une expérimentation est en cours avec des collectivités pour une transposition de la démarche vers un PEEC Collectivités 2030. Avec un parc bâtimentaire de 150Mm2, une Epargne de Gestion de 21Md€, une dépense énergétique de près de 4Md€ par an, une trajectoire de réorientation des investissements vers la transition énergétique volontariste est possible à un horizon 2030-35.

La synergie que créerait la mobilisation conjointe de l’ensemble de ces acteurs publics sur une démarche PEEC 2030 constituerait un levier puissant pour la mise en œuvre des plans climat territoriaux (PCAET) et pour inscrire enfin les politiques locales et nationales dans une dynamique de transition à la hauteur des enjeux financiers et extra-financiers, environnementaux, économiques et sociaux exemplaires.

Pour aller plus loin

Contrat de filière des industries pour la construction :

Rapport du sénat : Optimisation de la gestion de l'immobilier universitaire à l'heure de la nécessaire transition écologique et du déploiement de l'enseignement à distance, septembre 2021

Rapport ADEME sur les dééenses énergétiques des collectivités locales

Un exemple de réalisation dans le cadre du Plan de France relance

France Stratégie : L’évaluation socioéconomique des projets immobiliers de l’enseignement supérieur et de la recherche

Un article signé Patrice Barbel, Conseiller Patrimoine chez France Universités, aini que Hugues Vérité, Délégué Général à l'AIMCC et Délégué Permanent du Comité Stratégique de Filière Industries pour la construction

Crédits photo d'en-tête : CC Ludovic Godard – UFC – Université de Franche-Comté


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