Agriculture urbaine, productions vivrières ou lien social ?

Rédigé par

Guillaume Lemoine

5679 Dernière modification le 01/02/2019 - 14:00
Agriculture urbaine, productions vivrières ou lien social ?

Vouloir traiter de l’agriculture urbaine dans un article court n’est pas simple. 

Je dirais en introduction que le sujet est un sujet à la mode, tout comme celui de la permaculture, On observe également que pas un seul promoteur privé comme public ne proposerait aux élus et aux parties prenantes un projet qui n’intégrerait pas un volet « agriculture urbaine » dans les propositions soumises à la concertation publique pour de nouveaux projets de construction.

Les types d’agriculture urbaine proposés se déclinent sous différentes formes, qu’il s’agissent d’investir les toits (en hors-sol ou dans le cadre de toitures terrasses), de créer des espaces de potagers partagés ou collectifs au pied des immeubles (petite partie des espaces verts dédiés) ou simplement de réserver un plus vaste espace (de plusieurs milliers de mètres carrés, voire de plus d’un hectare) de l’espace urbain à cette thématique pour y développer un espace de production.

 

La première question qu’il convient de se poser est : est-ce bien de l’agriculture ?

Pour y répondre, examinons ce qu’est que l’agriculture et qui sont les agriculteurs ?

Le Larousse nous apprend qu’un agriculteur est une personne qui cultive la terre, une personne dont l’activité professionnelle a pour objet de mettre en valeur une exploitation agricole. On parle ainsi d’un rapport avec un support, le sol, et d’une démarche professionnelle. L’agriculture est, quant à elle, une activité économique ayant pour objet la transformation et la mise en valeur du milieu naturel afin d’obtenir les produits végétaux et animaux utiles à l’homme, en particulier ceux destinés à son alimentation. Peut-on au vu de ces définitions parler d’agriculture urbaine ?

 

Nous avons certes des « producteurs » habitants, résidents ou riverains, plus amateurs que professionnels, et cultivant souvent sur un support « peu naturel ». Quelle différence ici y a-t-il avec la production potagère, vivrière (production qui fournit des produits alimentaires destinés principalement à la population locale) mise en œuvre depuis des décennies dans les jardins urbains privés comme publics mis à disposition ? Ces derniers, les jardins ouvriers, que l’on rencontre au cœur des villes ne sont en effet pas récents et sont le fruit d’une longue tradition dans les départements du nord de la France (Île-de-France comprise). Les jardins ouvriers si chers à l’abbé Lemire ont été imaginés initialement par Félicie Hervieu à Sedan. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, ils ont été rebaptisés jardins familiaux et sont des parcelles affectées le plus souvent à la production de légumes. Ils furent initialement destinés à améliorer les conditions de vie des ouvriers en leur procurant un équilibre social et une auto-subsistance alimentaire. Les compagnies minières proposaient également aux mineurs des parcelles potagères attenantes aux maisons de coron.

La production potagère en espace urbain n’est donc pas un fait nouveau, et les ouvriers la pratiquant ne sont pas pour autant des agriculteurs.

 Le terme d’« agriculture urbaine » sous-entendrait donc une production massifiée sur des surfaces conséquentes. À mes yeux, il n’y a pas de d’agriculture urbaine, sauf dans de rares cas où, enclavées dans des villes qui ne cessent de grandir, il reste encore quelques rares parcelles de productions maraîchères ou horticoles (comme à Rosendaël) qui permettent à un exploitant de vivre de sa production destinée le plus souvent ai marché local..

Les parcelles cultivées, que l’on voit à proximité des villes, correspondent quant à elles à des espaces d’agriculture périurbaine, où les exploitants agricoles tentent de survive face à l’urbanisation qui consomme sans cesse, et rarement de façon vertueuse les terres agricoles qu’ils exploitent. La seule vraie forme d’agriculture urbaine en plus des maraîchers « enclavés » serait peut-être celle des productions spécialisées (champignonnières, barbes de capucin …) présentes dans les carrières souterraines sous la ville. Le développement des espaces de production hors-sol (culture hydroponique) dans des bâtiments ad hoc correspond également à une forme d’agriculture mais cette fois « plus industrielle » dans sa conception et complètement déconnectée de la dimension « sol ». Le hors-sol existe également pour la production animale, mais les contraintes d’odeurs, voire de bruits, rendent ce type d’activité souvent peu compatible avec la présence d’un habitat dense.

 

Un retour à la nature  

Lorsque l’on parle d’agriculture urbaine, on imagine le développement de nouvelles activités « de reconquête » sur un foncier urbain temporairement ou plus longuement disponible. Ici la situation tend au paradoxe. La ville consomme toujours plus d’espaces agricoles en périphérie et souhaite développer en parallèle des espaces de production au sein de son tissu urbain. On estime que la consommation des terres agricoles pour un pas de temps de 7 à 10 ans correspond à celle de la surface moyenne d’un département français. 5,1 millions d’hectares étaient déjà artificialisés en 2015, soit 9,3% de la surface de la France métropolitaine. Ici on « troque » de bonnes terres (initialement agricoles) contre des « terres » urbaines.

Dans le nord des Hauts-de-France, ces terres sont majoritairement des espaces en friches, dont les activités passées licites ou illicites ont possiblement généré des pollutions. Il s’agit souvent de sols bouleversés avec plus ou moins de briquaillons et déchets de démolition (béton concassé). Les remettre en état correspond à un vrai parcours de combattant. Il faut y extraire la partie pierreuse (remblais), dépolluer les sols (excavation et/ou phytoremédiation) et restaurer leur fonctionnalité. Les sols ont souvent été fortement tassés et décapés de leur couche humifère. L’apport de matières organiques et de « vie » (vers de terre, mésofaune du sol, micro-organismes) est souvent un préalable nécessaire avant de se lancer dans une production agricole qu’elle soit citoyenne (collectif d’habitants) ou professionnelle. Les coûts de dépollution (et de suivi et d’évaluation de cette dépollution) et de remise en état physique et biologique des terrains sont souvent exorbitants. À ces coûts, il convient d’y ajouter les coûts du foncier du terrain urbain que l’on souhaite consacrer à l’« agriculture urbaine ». Transformer un terrain classé au PLU(i) comme constructible (logement, industriel ou de services) en espace agricole n’est pas non plus sans conséquence sur la rentabilité de l’opération. Consacrer ces espaces à de l’agriculture, c’est perdre inévitablement un terrain constructible en ville qui a une certaine valeur et reporter ce « besoin » de construction en périphérie de la ville, donc consommer de la terre agricole. Le déclassement (minoration foncière) du terrain urbain pour y faire de l’agriculture entrainera une perte financière qui sera probablement supportée par le propriétaire foncier, qui est dans la majorité des cas un propriétaire public (ville, intercommunalité, SEM, SPL, EPF …), les propriétaires privés n’étant pas forcément les plus motivés pour perdre de l’argent dans des moins-values immobilières. 

 

Les productions agricoles dans le cadre d’une évaluation financière globale devront donc intégrer les coûts de remise en état des sols et le prix du foncier immobilisé. Il est probable que le prix de revient des légumes produits les rendent très peu concurrentiels face à ceux produits hors de la ville. Il convient également de rappeler que dans le contexte urbain, l’agriculture urbaine sur les friches, toits, délaissés et trottoirs ne sera probablement moins « efficace » que celle réalisée dans un contexte plus habituel (bonne terre agricole en contexte agricole, bonne lumière, absence de vol) et qu’en aucun cas elle arrivera à nourrir les populations des villes concernées malgré la multitudes des micro-initiatives réalisées.

 

L’agriculture urbaine en concurrence avec les usages de la ville

Le dernier point à aborder est probablement la concurrence que l ‘«agriculture urbaine »  aura avec d’autres usages ou non usages. Reconquérir les friches urbaines pour y développer des espaces de production et convertir les toitures terrasses en potagers se fera probablement au détriment d’une certaine forme de nature. Les espèces sauvages (même de nature ordinaire), notamment les insectes ont de plus en plus de mal à se maintenir dans les espaces agricoles et principalement dans les régions de grandes cultures. Les villes et leurs friches, moins soumises aux traitements herbicides et insecticides, forment des espaces refuges pour nombreuses espèces animales et végétales. Développer des productions sur ces espaces marginaux urbains, « assagir » et convertir les friches, c’est donc moins de nature en ville. Transformer des toitures terrasses qui pourraient offrir des habitats de substitution à de nombreuses espèces sauvages c’est également moins de biodiversité. La nature, c’est ce qui échappe à l’homme et c’est ce qui est spontané dans l’expression de ses dynamiques.., et un espace cultivé n’est pas un espace de nature !. Rappelons également que les jardiniers amateurs sont souvent généreux dans l’usage des intrants (engrais et biocides) dans leurs pratiques et que la quantité des pesticides utilisés par mettre carré en jardin potager est nettement supérieure que celle utilisée par les exploitants agricoles pour une surface et une culture équivalentes.

 

Développer des pratiques de production, proches de l’agriculture, en milieu urbain n’est donc pas sans conséquences sur nos choix de planification (périurbanisation), la place que l’on souhaite réserver à  la nature en ville et le prix des productions. L’analyse purement économique n’est pas favorable et les opérations novatrices ne sont pas forcément réplicables.

Seule l’intégration des aménités difficilement monétisables permettrait de justifier le développement de ce type d’ « agriculture », car elle vise à mes yeux d’abord à favoriser l’action citoyenne, le lien social et l’aide aux populations les plus défavorisées (vers une autosuffisance alimentaire)… Elle permet également de retrouver un contact avec la terre (certains diront avec la nature, ce qui n’est pas le cas, voir plus haut), et avoir, par contre, une relation réelle avec le végétal (sa croissance, ses besoins). La production alimentaire urbaine c’est également avoir le plaisir de produire, de partager et de consommer ses productions. Cela participe également à la résilience des sociétés face aux changements qui se préparent et à la résilience de l’écosystème urbain, en participant à la lutte contre les îlots de chaleur urbains. Développer des espaces de production, c’est également préserver les sols et leurs fonctions, et attirer l’attention sur leur valeur et la difficulté de reproduire/recréer cette ressource.

 

En conclusion, développer l’agriculture urbaine, en dehors d’avoir des arguments de vente pour des projets immobiliers pour bobos, correspond à un vrai choix sociétal, où les opérations de densification urbaine s’opposent à la production de lien social et à la consommation de terres agricoles en périphérie. La reconquête des friches urbaines (riches en technosols et souvent polluées) pour en faire des espaces de production sont des opérations coûteuses et peuvent également se faire au détriment de la biodiversité urbaine, menacée par la multitude de projets qui existent dans l’espace urbain, bien qu’il existe probablement suffisamment de friches (en de nombreux lieux) pour que l’ensemble des approches et projets puisse coexister. Il semblerait également plus judicieux de développer en parallèle une autre forme d’agriculture en périphérie des villes : une agriculture légumière/maraichère, à forte valeur ajoutée et créatrice d’emplois locaux, pour nourrir les villes situées à proximité. Les circuits courts seront au cœur du dispositif au détriment d’une agriculture céréalière, industrielle et souvent destinée à l’exportation.

Article signé Guillaume Lemoine, Référent biodiversité et ingénierie écologique chez Etablissement Public Foncier du Nord – Pas de Calais

crédit photo: Guillaume Lemoine

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