Agriculture Urbaine en symbiose avec le bâtiment

Rédigé par

Paola Mugnier

Consultante biodiversité et agriculture urbaine

15383 Dernière modification le 30/01/2019 - 14:14
Agriculture Urbaine en symbiose avec le bâtiment

L’agriculture urbaine est une pratique résolument multiforme, qui étonne par sa capacité à se transformer, à s’adapter aux différents contextes urbains pour s’implanter dans de nouveaux espaces.

Les toits sont des zones de prédilection pour des projets d’agriculture urbaine en milieu urbain dense, comme le montre notamment l’appel à projet Parisculteurs de la Mairie de Paris, participant à l’objectif de 100 hectares de toits et de murs végétalisés supplémentaires d’ici 2020. Représentant jusqu’à 32% de la surface horizontale d’une ville (Frazer, 2005), les toitures-terrasses sont autant d’opportunités pour offrir des aires de respiration, des zones de production, des lieux de partage au cœur des centres urbains.

Les opportunités de l’agriculture urbaine en toiture-terrasses - Chaire Ecoconception

 

 Cependant un certain nombre de critères (techniques, réglementaires, d’accessibilité, de gestion des flux etc.) sont à considérer pour la concrétisation et la durabilité du projet. Ces éléments sont notamment développés dans le travail de la Chaire éco-conception, en partenariat avec AgroParisTech, dont les résultats seront publiés au premier trimestre 2019. Les recommandations techniques de l’agriculture urbaine en toiture ont été publié par l’ADIVET en Novembre 2018.

Mais l’agriculture urbaine se développe également au sein même des bâtiments, que ce soit en façades, sur les balcons, dans le bâti ou encore dans les sous-sols abandonnés.

 Quelles interactions fonctionnelles peut développer l’agriculture urbaine à l’échelle du bâtiment?

 

L’agriculture urbaine en symbiose avec le bâtiment
Source Urbalia

 

L’eau, une ressource à préserver

L’eau nécessaire pour l’irrigation des cultures provient bien trop souvent du réseau d’eau potable. Pour minimiser la quantité utilisée de cette ressource épuisable et relativement chère, des systèmes d’irrigation par goutte à goutte ou par aspersion sont le plus souvent utilisés. Des récupérateurs d’eaux pluviales sont également privilégiés. Le premier système de biofiltration des eaux usées des lavabos a été conçu pour leur réutilisation dans l’arrosage d’un espace d’agriculture de la toiture-terrasse d’un bâtiment d’Invesco.

Récupération des eaux usées et pluviales dans le cadre d’un projet d’agriculture urbaine avec Sous Les Fraises

Source:  Dumez Ile-de-France, VINCI Construction France

Quand les déchets des uns deviennent la ressource des autres

Bien souvent un composteur est installé pour amender les cultures et réduire au passage les déchets des usagers des bâtiments. Même les procédés de culture plus technologiques comme l’hydroponie étudient comment intégrer des fertilisants naturels issus des déchets de la ville : c’est ce qu’on appelle la bioponie. Les déchets organiques ne sont pas les seuls à pouvoir être utilisés par l’agriculture urbaine. Baptiste Grard a montré au cours de sa thèse qu’on pouvait recréer des “technosols” à partir de déchets urbains : compost de biodéchets, compost de déchets verts, déchets de la construction (briques, tuiles et béton concassés), marc de café, broyat de bois.

Mais des projets souhaitent aller bien plus loin, en allant jusqu’à utiliser nos urines ! En imaginant une séparation à la source des urines, le projet de recherche Agrocapi souhaite étudier la valorisation de l’urine comme fertilisant de culture. Les urines, ce nouvel or jaune, sont riches en azote, phosphore et potassium, éléments indispensables à la croissance des plantes. Elles sont une alternative aux engrais de synthèse issus des ressources fossiles dont les gisements sont souvent loin de notre pays et dont le traitement entraîne des pollutions.

 

Vers une mutualisation des flux grâce à l’installation de serres

72% des fermes urbaines productives installées en toitures sont sous serres (issu d’un benchmark réalisé sur 150 sites d’agriculture urbaine en toitures-terrasses dans le monde). Cette catégorie, forme spécifique d’agriculture urbaine, vise en effet une rentabilité commerciale obtenue par la production d’essences à haute valeur ajoutée. Ainsi les serres leur permettent de créer un microclimat spécifique à certaines cultures et d’étendre leur production sur une plus grande période de l’année. Majoritairement présentes en Asie et en Amérique du Nord, elles se développent de plus en plus en France (Chapelle International à Paris ou encore le projet des 5 ponts à Nantes).

Mais plutôt que de simplement “poser” une serre sur la toiture, l’intégrer pleinement au fonctionnement du bâtiment apporte plus de résilience au projet. Ainsi, la chaleur fatale du bâtiment est utilisée pour chauffer la serre, et l’air vicié du bâtiment chargé en CO2 permet de booster la croissance des plantes. C’est ce qu’a étudié Sanyé-Mengual dans sa thèse et ce à quoi s’intéresse le projet européen GROOF  ou encore ce que met en place BIGH .

 

Serres et échanges d’eau, de chaleur fatale et de CO2 avec le bâtiment
Source Sanyé-Mengual

 

Des îlots de chaleur humaine en cœur de ville dense

Créer un îlot vert en hauteur permet aux habitants et usagers d’un site de disposer d’un lieu de rencontre, d’échange et de partage.

Le bâtiment offre, dans certains cas, la possibilité d’aménager un espace de stockage de la production, voire de petite transformation, et de vente permettant de diversifier et de stabiliser les activités d’un projet agriurbain à visée commerciale. C’est le pari qu’a souhaité relever Tours Habitat, avec le projet Les Jardins Perchés.

 

 L’agriculture urbaine nous invite donc à repenser notre métabolisme urbain pour être circulaire, c’est-à-dire pour rediriger nos flux (consommation de matières ou de produits, production de déchets ou émission de pollutions), actuellement exportés, vers une gestion au sein même du territoire. Un projet d’agriculture urbaine peut créer et entretenir de nombreux liens directs avec le bâtiment sur ou dans lequel il s’installe, pour offrir plus de résilience (échanges thermiques, d’eau, de CO2), plus de durabilité (serres, zone de transformation et stockage de la production) et surtout plus de solidarités humaines.

Elle nous invite également à penser notre lien à l’alimentation, à l’environnement, à créer plus d’échanges entre les urbains, à repenser le lien ville-campagne. Cependant, au-delà d’une opportunité pour le bâtiment et la ville, l’agriculture urbaine doit créer un dialogue vertueux avec le monde agricole traditionnel pour pleinement s’inscrire dans son territoire.

 

Un article signé Paola Mugnier - Ingénieure Agronome au sein d’Urbalia et Fanny Provent - Coordinatrice de la Chaire partenariale Agricultures Urbaines à AgroParisTech

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