[Dossier biosourcés #9] Le Québec à l'heure du biosourcé : la route d'une certaine audace ou d'une audace certaine ?

Rédigé par

Andre Bourassa

Architecte patron

4201 Dernière modification le 20/03/2020 - 12:00
[Dossier biosourcés #9] Le Québec à l'heure du biosourcé : la route d'une certaine audace ou d'une audace certaine ?

Répartie sur quelques décennies, l’expérience pratique de l’architecte André Bourassa en matière de matériaux biosourcés constitue un témoignage instructif. Le contexte nord- américain possède des particularités différentes de l’Europe en terme règlementaire et de ressources. 

Le début

Dans les lignes qui suivent, je partage avec vous le cheminement qui m’a mené, au Québec, à m’intéresser et à utiliser de plus en plus de matériaux biosourcés. Notre cabinet d’architecture a débuté dans une petite ville d’environ 40,000 habitants, au début des années 80. L’ambiance économique était alors dans une profonde déprime, plombée par un taux d’intérêt de 21 %.

Les commandes étaient rarissimes, les seuls appels que nous recevions étant pour annuler ou reporter les projets. Il fallait donc faire plus avec moins, toujours. Et le plus souvent avec le secteur privé, les institutions publiques étant peu enclines à confier des missions à une toute nouvelle agence.

Faire plus avec moins, dans le contexte de cette époque, cela voulait dire construire en bois. Pour donner un peu de prestance aux réalisations, nous avons donc eu recours aux scieries locales pour nous approvisionner en bois de sciage, de façon à laisser du bois apparent en tout ou en partie à l’intérieur du bâtiment. L’habitude bien ancrée étant du tout placo dans les intérieurs de bâtiments, qu’ils soient d’une facture contemporaine ou plus « traditionnelle ». On parle ici de petites constructions, de 600 mètres carrés et moins.

Le bois de ces scieries était disponible et à proximité. Dans certains cas, le bois d’ingénierie était ajouté en complément. Les fermettes constituaient le complément toiture la plupart du temps. Dans l’ensemble, la clientèle de cette époque a apprécié les ambiances plus chaleureuses et moins aseptisées que celles toutes de placo revêtues.

Peu à peu, une certaine main-d’oeuvre s’est familiarisée avec les techniques d’assemblage de ces structures destinées à demeurer apparentes à l’intérieur, un constructeur à la fois.

Le bois mais pas seulement du bois

À la fin des années 70 et encore aujourd’hui, les murs au Québec sont très généralement construits avec une ossature de bois, certes, mais le reste de l’assemblage est constitué de polyéthylène, de fibre de verre, de polystyrène, de vinyle ou d’autres matières synthétiques. À l’époque, la compréhension de l’hygroscopie du mur et des matériaux était plus que sommaire. Le programme gouvernemental fait encore la promotion d’un assemblage « efficace » de matériaux synthétiques. Le terme biosourcé ne fait pas partie du vocabulaire, loin de là.

Inspirés des principes de la « bau biologie », nous avons alors développé des murs diffusants ou perspirants, et évité le plus possible l’utilisation des matériaux synthétiques. Ces murs qui diffusent étaient constitués d’un pare-vapeur de papier homologué par notre Code du bâtiment, d’isolant en nattes de laine de roche et de panneaux de « carton-fibre » (fibre de bois).

Exemple des premières réalisations économiques à structure de bois apparente

Le passage à l’Ordre des architectes

Au fils du temps, mon implication à l’Ordre des architectes du Québec (20 ans au total, dont huit années à titre de président) m’ont permis d’avoir maints échanges avec des collègues, sur les questions environnementales et notamment de prendre part aux travaux de la nouvelle Coalition bois.

La mission de cette coalition consistait à promouvoir l‘utilisation du bois dans la construction non résidentielle. Ce sujet était loin de faire l’unanimité. Conscient de l’importance d’une saine gestion de la ressource, nous avons organisé un premier colloque avec l’Ordre des ingénieurs forestiers du Québec, dont la mission est précisément orientée vers la protection du public.

Le premier ministre du Québec de l’époque, Monsieur Jean Charest, souhaitait des échanges accrus avec la France, notamment à travers des accords de mobilité professionnelle. C’est lors d’une visite à Monsieur Lionel Dunet, alors président du Conseil national de l’ordre des architectes (CNOA) en France, que se sont intensifiées les discussions sur le sujet du bois et des autres matériaux biosourcés alors en émergence. Le mot même, « biosourcé », était peu connu.

L’audace

Nous aimerions nous targuer d’être audacieux, cependant l’audace porte sa part de risque. Au moment où la « bonne gestion » devient le prétexte au confort sans la différence, il nous faut choisir.

Pour un futur meilleur, pour qu’il y ait un futur, les décisions à prendre seront empreintes d’audace. Le temps presse.

Dans les secteurs du bâtiment, les erreurs sont couteuses, en dommages matériels et pire, en vies humaines. Ce sont des catastrophes qui sont à l’origine de la réglementation nord-américaine sur le bâtiment, notamment l’incendie de Triangle Shirtwaist à New-York, en 1911, qui a fait 146 victimes.

De ces tragiques événements sont nés nos codes du bâtiment, très différents en Amérique du Nord de ce qui régit la sécurité des bâtiments en Europe.

« Combustible » ou « incombustible » constitue un critère important de l’analyse du bâtiment aux vues des autorités règlementaires. Dans ce contexte, le développement de la filière biosourcée est ralenti, en ce qu’il faudrait rendre les matériaux biosourcés incombustibles pour en permettre l’emploi et le développement dans les plus grands immeubles.

La règlementation thermique est aussi très différente. Prescriptive, elle impose des valeurs isolantes pour les différentes parties de l’enveloppe des bâtiments, tout en autorisant les parois de verre peu énergétiques en quantités importantes.

Les modes associées à l’architecture contemporaine toute de verre et d’acier, par exemple le nouveau bâtiment de la Société Radio-Canada à Montréal et le nouveau pavillon des Sciences de l’Université de Montréal, illustrent l’académisme qui s’est sournoisement installé. Sous prétexte de transparence de légèreté, exit la réduction des GES, soudainement passée au second plan.

Plus récemment, le gouvernement du Québec a laissé diffuser des images d’écoles nouvelle mouture. Si le souci de créer de la beauté et de la lumière est louable, l’efficacité énergétique et le confort seront aussi dépendants de systèmes mécaniques couteux et souvent complexes.

La disponibilité des produits biosourcés

Autre aspect non négligeable : l’étendue du territoire québécois et la disponibilité des ressources sur ce territoire font parfois l’objet de peu ou pas d’analyse quant au choix des matériaux.

On a beau mentionner que le fer servant à fabriquer l’acier est une ressource non renouvelable, que plusieurs exploitants ont laissé des quantités importantes de produits polluants non traités après la fermeture des sites miniers, tout ça se produit très loin des zones habitées puisque la moitié de la population du Québec habite dans la zone métropolitaine de Montréal. Somme toute, la sécurité attendue liée à l’incombustible, la disponibilité des matériaux, son uniformité et leur réseau de distribution établi font encore que l’acier demeure un matériau très utilisé.

L’aluminium dont le Québec est un important producteur, devrait continuer une intéressante progression. Suivant le principe d’utiliser le bon matériau au bon endroit, pourquoi trouve-t-on encore autant de bois, et même du bois structural exposé aux intempéries, alors que l’aluminium peut servir de matériau pare-intempéries de choix? Faut-il rappeler que l’aluminium primaire produit au Québec génère 67% moins de GES que celui produit au Moyen-Orient, et 76% de moins que celui produit en Chine, grâce à la production hydro-électrique.

La proportion de terres agricoles occupant le territoire québécois est actuellement d’un peu moins de 2 % et rétrécit toujours davantage sous la pression de l’urbanisation. En comparaison, l’espace agricole français représente plus de 50 % du territoire de l’hexagone.

La matière biosourcée résiduelle se trouve donc en quantité limitée au Québec. Par exemple, il n’y a pas de paille excédentaire dans les zones habitées au Québec, celle-ci étant entièrement utilisée par les agriculteurs. La paille excédentaire pourrait se retrouver dans des provinces dites des prairies, (Alberta, Manitoba, Saskatchewan) mais à plus de trois mille kilomètres des zones d’utilisation dans l’est.

Le projet de réhabilitation d’une ruine d’église et de son presbytère à St-Jean sur Richelieu constitue première : l’utilisation du béton de chanvre comme isolation des murs de pierre. 

Ces terres agricoles de moindre rendement, dans des zones plus froides, seraient disponibles pour des cultures dédiées tel le chanvre, le lin ou le panic érigé. L’intérêt pour ces cultures ira de pair avec l’accueil fait aux matériaux biosourcés tirés de ces cultures. La volonté politique pour favoriser l’utilisation des matériaux biosourcés doit être manifeste, de façon aussi claire qu’elle l’a été pour le bois. Évidemment, les entreprises pouvant produire des matériaux biosourcés sont peu nombreuses, tout ou presque est à faire. Les entreprises dans le domaine du bois sont plus établies, plus importantes.

Pour accélérer le développement de la filière, les entreprises émergentes ou les entreprises européennes qui voudraient s’établir ici auraient besoin d’une aide financière pour faire faire les couteux tests qui permettent aux matériaux de construction d’obtenir les homologations requises par les codes et normes canadiennes et américaines. Ceux-ci sont différents des tests effectués pour obtenir les homologations européennes et doivent être entièrement refaits ici, à moins d’un changement dans nos codes et normes.

Malgré les aspects qui ralentissent le développement de la filière des matériaux biosourcés chez nous, les impératifs environnementaux feront que tôt ou tard son développement aura lieu. Sera-ce dans la joie ou la douleur, serons-nous meneur ou « suiveux »? L’avenir le dira.

Un article signé André Bourassa, BGA Architectes

 

Consulter l'article précédent :  #8 - Les roseaux du fleuve Sénégal ou comment transformer une nuisance en opportunité - Denis Dangaix et Bernard Boyeux (BioBuild Concept)


           

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