[Dossier RE2020] #22 Mesurer l’empreinte carbone dans l’acte de construire

Rédigé par

Nathalie MEHU

5758 Dernière modification le 30/06/2020 - 12:00
[Dossier RE2020] #22 Mesurer l’empreinte carbone dans l’acte de construire

Le secteur du bâtiment est à l’origine de l’émission de 25 % des gaz à effet de serre. Pour réduire l’impact sur le changement climatique, le gouvernement a affiché ses nouvelles ambitions, il s’apprête à accroître encore le niveau d’exigence avec une réglementation qui ne sera plus seulement thermique, mais bien énergétique et surtout environnementale. Comme cela a été fait avec la maîtrise des consommations d’énergie, il nous faut désormais apprendre à maîtriser l’empreinte carbone en intégrant des nouvelles données, grâce à des outils nouveaux. C’est une mutation profonde dans l’acte de construire.

Vers la projection carbone

En effet, si jusqu’à présent, nous réalisions parfois des Analyses de Cycle de Vie en fin de chantier, ce travail doit désormais être projeté dès la conception du bâtiment, puis au démarrage du chantier, à la fin du gros œuvre, et enfin à la fin du chantier tout en faisant l’objet d’un suivi régulier. Il s’agit de suivre la performance énergétique et carbone tout au long du projet, chaque choix ayant une conséquence. Pour atteindre cet objectif, VINCI Construction France a développé ses propres outils, dont un outil de projection de l’impact carbone lié directement à la base INIES permettant, très tôt, de cibler le budget carbone alloué à chaque lot du projet.

Le poids de la superstructure

Sur le plan de la méthode, la performance environnementale passe par l’allègement autant que possible de la structure du bâtiment, afin de limiter les volumes de matériaux mis en œuvre. Mais nous avons été surpris par nos premières projections. En tant que constructeurs, nous nous attendions en effet à ce que la structure - c’est-à-dire le gros œuvre qui représente une part plus qu’importante en termes de poids et de budget, ait une part élevée en poids carbone. Nos premiers retours nous permettent de penser que la structure ne représente finalement en moyenne qu’entre 10 et 20% du total. La comptabilité carbone bouscule ainsi nos réflexes et nous amène à être plus attentifs et innovants sur d’autres lots, ouvrant par exemple la perspective du réemploi.

Le gros œuvre étant tout de même un des lots les plus importants, notre ingénierie est fortement engagée dans la réalisation de bétons bas et très bas carbone.

© Woodeum - Laisné Roussel. Depuis janvier 2019, les experts du pôle Performance durable de VINCI Construction France accompagnent Arbonis et Sogea Picardie, toutes deux filiales de VINCI Construction France, qui construisent Woodwork à Saint-Denis, développé par Woodeum, et s’engageant sur l’atteinte du label E+C– niveau Énergie 2 & Carbone 1.

Le management carbone d’un projet

La prise en compte de l’impact carbone influence donc profondément la façon de construire, ou plutôt la façon de manager un projet. Quand seule la performance thermique était recherchée, il était courant de remplacer un procédé ou un matériau par un autre, équivalent sur le plan technique. Nous pouvions par exemple, choisir un isolant avec la même résistance thermique qu’un autre, mais plus simple à poser ou moins coûteux. Dans la nouvelle configuration, c’est désormais beaucoup plus difficile. La performance environnementale de chaque composant est en effet inscrite dans l’équation carbone globale définie dès l’origine du projet, et qui doit être respectée jusqu’à la livraison.

Les interactions entre les différents intervenants d’un projet en sont donc plus que jamais impactées. Pendant la phase durant laquelle les procédures se mettent encore en place, un des défis consiste à sensibiliser toute la chaîne de réalisation des projets, depuis la conception et le chiffrage jusqu'aux travaux, afin que tout le monde travaille de concert pour atteindre l’objectif carbone visé et non plus que les spécialistes. Aujourd’hui, le chiffrage d’environ un tiers du projet est figé au démarrage des travaux, le reste étant défini au fur et à mesure de l’avancement du chantier. Ce qui ne sera plus possible avec la RE 2020. Nous devons en effet désormais intégrer un nouveau risque, celui que l’un des acteurs du chantier, prenne l’initiative d’une variante vertueuse qui ferait gagner du temps ou de l’argent, mais mettrait en péril la labellisation E+C- du projet, et demain sa conformité réglementaire. Seules les variantes inférieures en empreinte carbone pourront être acceptées. Afin de fiabiliser mais aussi de fluidifier les échanges, cela a pour conséquence que non seulement les ingénieurs environnementaux devront savoir compter du carbone mais également, et de manière simplifiée, tous les intervenants d’un projet, allant du conducteur de travaux au fournisseur en passant par le maître d‘ouvrage et la maîtrise d’œuvre.

En effet, cela peut paraître plus simple en conception-réalisation, néanmoins l’apprentissage est collectif.  La notion « d’environnementalement équivalent » est encore peu appréhendée par les différents acteurs d’un projet. Quant aux appels d’offres travaux, il est encore rare de recevoir dans la consultation une évaluation carbone même pour les projets E+C-. Ce qui signifie que l’entreprise qualifie le risque de non atteinte du niveau carbone lors de sa réponse. La responsabilité entre le bureau d’études de la maîtrise d’œuvre et l’entreprise est souvent questionnée. Encore une fois, l’apprentissage est collectif. Un état des lieux de l’évaluation carbone en études et en préparation de chantier est plus que nécessaire.

La montée en compétence au plus proche des projets

Pour prendre en compte et mettre en œuvre cette nouvelle dimension,  VINCI Construction France peut s’appuyer sur l’expertise intégrée de ses Directions des Ressources Techniques Opérationnelles (DRTO), qui regroupent la plupart des ressources supports aux opérationnels – ingénierie du produit, ingénierie du process et services transverses – au sein de ses entités partout sur le territoire national.

Ces directions permettent ainsi d’accompagner chaque projet dans l’application de la nouvelle réglementation RE 2020. Cette montée en compétence de toutes les équipes s’organise également avec l’appui de l’expertise de notre pôle dédié à la Performance Durable. Ce pôle central développe et expérimente les outils de projection et de suivi de la performance ou budget carbone des projets, puis forme des référents en régions au sein de toutes les entités opérationnelles. Ces référents auront demain un rôle clé dans le management des projets, par exemple pour opérer les nécessaires arbitrages dans le choix d’équipements actifs qui peuvent être, d’un côté, très performants sur le plan énergétique, et de l’autre, pénalisants sur le plan de l’impact carbone. Mais encore une fois, la montée en compétence est bien plus large car les référents ne sont pas les seuls à devoir compter du carbone. Toutes filières de la conception à l’étude puis les travaux en passant par les achats sont concernées. Ces actions de sensibilisation et de formation sont le défi majeur de l’entreprise. Outre des actions régulières portées par les référents régionaux ou le pôle central, outre les interactions sur les opérations le nécessitant, l’entreprise organise deux fois par an des rencontres de la Performance durable où des opérationnels (conducteurs de travaux, ingénieurs études de prix, commerciaux) viennent partager leur expérience et les leçons qu’ils ont pu en tirer sur cette nouvelle compétence : compter du carbone !

Enfin, ces actions ont pour but d’augmenter le savoir-faire à la fois pour faire face à la nouvelle réglementation, mais au-delà pour créer de nouveaux réflexes et à terme (rapide) de nouvelles inspirations volontaristes au bénéfice des clients et de l’environnement.

Des moyens et des ressources ont été mobilisés, et nous montons en compétences dans ce domaine pour pouvoir répondre, au-delà des exigences réglementaires, aux nouvelles attentes des maîtres d’ouvrage. Tout en concrétisant les ambitions environnementales de l’entreprise.

Un article signé Nathalie Mehu, Cheffe de Service Performance durable, VINCI Construction France

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Ce dossier est composé de contributions des membres de la Fédération CINOV, des adhérents Construction21 et de leurs partenaires. En animant ce dossier, la Fédération CINOV concoure ainsi aux échanges et à la réflexion sur la future réglementation environnementale. Le contenu des articles sont néanmoins publiés sous la seule responsabilité de leurs auteurs.

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