[Dossier RE2020] #26 Comment intégrer les exigences bas carbone et RE2020 dans les marchés publics de travaux des bâtiments?

Rédigé par

louis bourru

8978 Dernière modification le 01/07/2020 - 12:30
[Dossier RE2020] #26 Comment intégrer les exigences bas carbone et RE2020 dans les marchés publics de travaux des bâtiments?

Pour répondre au défi de la réglementation Environnementale 2020 (RE2020), les acteurs du bâtiment devront savoir passer d’un projet performant sur le papier à sa concrétisation par les entreprises choisies pour les travaux. A ce titre, les modalités de rédaction du dossier de consultation des entreprises vont être amenées à évoluer, en particulier pour les marchés publics que nous explorerons dans cet article.

Une démarche globale pour un objectif de faible impact carbone

La poursuite d’un objectif de faible impact carbone lors de la construction d’un bâtiment neuf ou d’une rénovation est un travail au long cours, qui commence au moment des études de faisabilité et se termine à la fin de vie du bâtiment (ou sa deuxième vie). Cette démarche globale pour le maître d’ouvrage est décrite dans le guide de conduite d’opération à faible impact carbone créé en 2018 par le Cerema et Tribu Energie dans le cadre de l’expérimentation E+C . Cependant, pour cet article, nous nous concentrerons sur la réussite de l’étape « consultation et choix des entreprises de travaux », car beaucoup d’acteurs se posent des questions à ce sujet, en particulier pour les marchés publics.

Conserver la performance environnementale des projets lors du choix des entreprises et des produits

Une fois la phase projet (PRO) d’une opération de construction validée, le maître d’ouvrage et l’équipe de maîtrise d’œuvre doivent traduire dans le dossier de consultation des entreprises (DCE) les exigences de performance environnementale sur lesquelles ils ont travaillé depuis le début du projet. A l’entrée en vigueur de la RE2020, tout projet de bâtiment neuf devra prouver par la réalisation d’un calcul d’analyse du cycle de vie (ACV), que le choix des produits de construction et équipements du bâtiment, associés à leurs quantités et leurs renouvellements, permettent de respecter un seuil maximal d’émissions de gaz à effet de serre (GES) fixé par la loi.

Le résultat de ce calcul ACV dépend grandement des valeurs d’émissions de GES issues des déclarations environnementales[1] des produits choisis pour construire le bâtiment : ainsi, pour une même performance thermique, un isolant pourra avoir des émissions de GES bien inférieures s’il dispose d’une FDES individuelle (associée à une marque donnée) plutôt que d’une DED (Donnée Environnementale par Défaut). Les infimes variations de ces émissions au sein de chaque lot peuvent, mises bout à bout, compromettre le respect du seuil réglementaire à l’échelle du projet. Ainsi, dans sa rédaction du DCE, le maître d’œuvre va-t-il chercher à maintenir cette performance carbone en ciblant les produits disposant de performances équivalentes à celles utilisées dans son calcul ACV au stade PRO (au moins pour les 20% de produits les plus impactants). Pour cela, il va orienter les réponses des entreprises vers des produits disposant des déclarations environnementales escomptées.

Introduire l’analyse du cycle de vie dans les marchés publics 

Pour pouvoir inclure des exigences de performance environnementale dans un marché public, 2 leviers complémentaires peuvent être activés (et utilement combinés)[2] :

  • Le choix des critères de sélection des offres (et leur pondération éventuelle) ;
  • La formalisation des spécifications techniques dans les cahiers des charges.

A ce titre, la modification récente de l’article 228-4 du code de l’environnement[3] rend légitime l’action du maître d’ouvrage public à ce sujet :

« La commande publique tient compte notamment de la performance environnementale des produits, en particulier de leur caractère biosourcé. Dans le domaine de la construction ou de la rénovation de bâtiments, elle prend en compte les exigences de lutte contre les émissions de gaz à effet de serre et de stockage du carbone et veille au recours à des matériaux de réemploi ou issus des ressources renouvelables. »

Mettre en avant la recherche d’un label ou d’une performance globale sur l’opération

Il est utile pour montrer l’importance de la performance environnementale dans un DCE de marché public, d’annoncer de manière claire dans le préambule « objet du marché » du CCAP et du règlement de consultation (RC) que le projet fait l’objet d’une labellisation ou s’inscrit dans le cadre de l’exemplarité de la commande publique. On peut par exemple écrire dans cette rubrique « objet du marché »:

« Le projet de construction répond à des exigences environnementales ambitieuses fixées par le maître d'ouvrage, et, conformément à l'arrêté du 10 avril 2017 relatif "aux constructions à énergie positive et haute performance environnementale sous maîtrise d’ouvrage de l’Etat et des collectivités territoriales" le projet devra respecter à minima le niveau E3C1 du référentiel énergie carbone de juillet 2017. »

Cette référence à la performance environnementale globale du projet, placée en préambule du marché, permet d’informer tous les acteurs qui souhaitent s’engager dans le projet (entreprises), que cet objectif est important et devra être rempli par un effort collectif et sur chacun des lots.

Figure 1: source: Guide ADEME,  Des produits biosourcés durables pour les acheteurs publics et privés (clés pour agir).

En complément, le maître d’ouvrage peut exiger dans le RC que le candidat explique dans son mémoire technique les modalités d’atteinte de cette performance environnementale globale. Par exemple: « Les candidats devront préciser les dispositions prises pour atteindre les objectifs environnementaux de l’opération liées à la performance HQE, au niveau E3C1... »

Adapter les critères de choix des offres, et leur pondération le cas échéant

Pour juger de l’offre économiquement la plus avantageuse, les articles R.2152-7 à R.2152-10 du code de la commande publique autorisent l’utilisation d’un critère de choix des offres basé sur le coût « déterminé selon une approche globale qui peut être fondée sur le coût du cycle de vie (défini à l'article R. 2152-9) », que ce soit comme critère unique ou combiné à d’autres critères :

Figure 2:Source: DAJ/OECP Guide de l’achat public innovant V1, 29/05/19

Ainsi, le fait d’utiliser les émissions de gaz à effet de serre d’un produit comme l’un des critères de choix des offres et d’exiger par les entreprises la fourniture des déclarations environnementales des produits proposés est tout à fait légitime, en veillant bien à respecter les modalités d’accès égalitaire à la commande publique détaillées dans l’article R. 2152-10 du code de la commande publique (cases grises du schéma ci-dessus).

Ainsi, si le maître d’ouvrage choisit de se baser sur une pluralité de critères pour juger les offres des entreprises, il pourra créer un critère ou sous-critère « qualité environnementale » ou « émissions de gaz à effet de serre ». Un exemple de notation possible à inclure dans le règlement de consultation est proposé ci-dessous :

 

Formuler les spécifications techniques

Après avoir fixé les critères de sélection des offres, il convient de rédiger les spécifications techniques en incluant les exigences en termes d’émissions de gaz à effet de serre. L’article R. 2111-10 du Code de la Commande Publique indique que :

« Les spécifications techniques formulées en termes de performances ou d’exigences fonctionnelles sont suffisamment précises pour permettre aux candidats de connaître exactement l’objet du marché et à l’acheteur d’attribuer le marché. Elles peuvent inclure des caractéristiques environnementales ou sociales. »

 Chaque produit doit répondre à une multitude de propriétés toutes aussi importantes les unes que les autres (acoustique, sécurité incendie, structure…), à traduire dans les spécifications techniques. Nous allons nous focaliser ici sur la propriété « émissions de GES », tout en gardant en tête que ce n’est pas la seule à guider le choix d’un produit.

Lors de la validation du stade PRO, l’équipe de maîtrise d’œuvre s’est engagée sur un niveau de performance global énergie carbone sur la base d’une étude ACV PRO. Elle va chercher à obtenir lors du choix des entreprises et pour chacun des lots, des produits de construction dont les émissions de GES seront équivalentes ou inférieures à celles du produit utilisé dans le calcul ACV. Pour rédiger son CCTP, 2 solutions s’offrent à l’équipe de maîtrise d’œuvre, pour tous les produits pour lesquels elle a utilisé une FDES individuelle ou collective dans son étude ACV:

La seconde solution est plus complexe à mettre en œuvre, puisque, pour la rédaction du CCTP, le maître d’œuvre va devoir au préalable rechercher dans la base INIES les émissions de GES de chaque produit, et les convertir sur 50 ans de vie du bâtiment pour prendre en compte le renouvellement. Et, à l’inverse, l’entreprise va devoir elle aussi effectuer un travail conséquent de recherche pour remonter d’une émission de GES à un produit, ce qui paraît peu compatible avec l’article R 2152-10 du CCP qui demande « que les données requises puissent être fournies moyennant un effort raisonnable consenti par des opérateurs économiques normalement diligents. »

Une solution raisonnable pour obtenir des produits disposant des FDES visées semble donc de citer dans le CCTP les gammes et marques correspondant à la FDES et de laisser la possibilité à l’entreprise de proposer éventuellement un autre produit, à condition qu’elle prouve que ses performances en émissions de GES sur 50 ans de vie du bâtiment sont équivalentes.

Il est également intéressant pour les projets d’envergure, de fournir aux entreprises des DPGF types à remplir par lot, ce qui permet de simplifier l’analyse des offres mais aussi la saisie ultérieure des quantités de produits avec les bonnes unités pour la mise à jour de l’ACV à réception par le bureau d’étude.

Conclusion

Bien que testée par certains maîtres d’ouvrage lors de l’expérimentation E+C-, la rédaction des documents des marchés publics de travaux à l’heure du bas carbone n’en est qu’à ses balbutiements. Dans la perspective de la RE2020, un grand défi est ainsi lancé à l’ensemble des acteurs, et il pourra être relevé par le partage des bonnes pratiques, les retours d’expériences et le dialogue permanent entre maîtres d’ouvrage, maîtres d’œuvre, juristes et bien sûr entreprises.

Références bibliographiques :

Un article signé Louis Bourru, chef de projet en Qualité Environnementale des Bâtiments au Cerema

Crédit photo : Collège Simone Veil à Nantes, Conseil Départemental de Loire Atlantique. Ce collège, ouvert en septembre 2017, a été modélisé par le Cerema dans le cadre de l'expérimentation E+C- en Pays de Loire (Programme OBEC)


[1] Déclarations environnementales : fiches issues de la base INIES indiquant les performances environnementales des produits sur leur cycle de vie : www.inies.fr  

[2] http://www.achatsresponsables-aquitaine.fr/actions/ressources-documentaires/191-guide-les-clauses-environnementales-dans-les-operations-de-travaux-de-batiments-ou-comment-agir-autrement

[3] Modification apportée par l’article 59 de la loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire.

 

Consulter l'article précédent :  #24- La place des équipements dans le calcul ACV


           

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Ce dossier est composé de contributions des membres de la Fédération CINOV, des adhérents Construction21 et de leurs partenaires. En animant ce dossier, la Fédération CINOV concoure ainsi aux échanges et à la réflexion sur la future réglementation environnementale. Le contenu des articles sont néanmoins publiés sous la seule responsabilité de leurs auteurs.

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