[Dossier Afrique - Ville(s) Durable(s)] #9 - Développer la filière solaire en Afrique grâce aux centres de ressources

Rédigé par

Bérengère PIERRE

Communciation - Commercialisation

6169 Dernière modification le 27/07/2020 - 12:00
[Dossier Afrique - Ville(s) Durable(s)] #9 - Développer la filière solaire en Afrique grâce aux centres de ressources

Face aux enjeux de développement d’énergies durables en Afrique, le renforcement des capacités humaines et matérielles est indispensable pour former, tester et innover et ainsi faire des villes et territoires africains des modèles de développement écologique. La filière de l’énergie solaire se mobilise déjà grâce au développement de nombreux centres de ressources solaires sur l’ensemble du continent, permettant la diffusion de compétences et d’outils et la montée en puissance de la filière.

Une accélération massive du développement solaire en Afrique…

Les opportunités et le développement d’installations solaires en Afrique se démultiplient. Grâce à son fort et constant taux d’ensoleillement avoisinant les 4 à 6 kWh/m2/jour, l’énergie solaire présente sur le continent africain un extraordinaire potentiel d‘alimenter les villes et territoires avec une énergie durable.

Grand champion des luttes contre le changement climatique et pour l’accès universel à l’énergie, le secteur renouvelable voit fleurir un nombre croissant d’installations photovoltaïques.  Des infrastructures centralisées traditionnelles alimentent le réseau électrique, comme la grande centrale photovoltaïque de 1,6 GWc à Benban en Egypte, ou la centrale CSP Noor au Maroc (IEA, 2019, p.21)[1].  Mais l’essaimage des petits systèmes décentralisés forment également le fer de lance des politiques d’électrification rurale. Ce n’est pas seulement la source énergétique, mais bien toute la politique énergétique d’un continent qui s’en trouve bouleversée.

Au-delà de son atout environnemental, le photovoltaïque présente des coûts abordables et compétitifs face aux énergies fossiles, grâce aux innovations technologiques à effet d’échelle. Si bien que l’Agence Internationale de l’Energie, qui lui dédie son « Africa Energy Outlook 2019 », projette un développement radieux sur le secteur qui devrait devenir la 2ème source d’électricité sur le continent avec 15 GWc supplémentaires chaque année jusqu’à 2040 (p.15).  L’enjeu de l’innovation technologique est presque acquis.

Un cimetière d’installations photovoltaïques tout aussi grandissant

Ce développement massif est cependant compromis par le manque de structuration de la filière, accompagné d’un défaut récurrent de qualité. Evaluation des besoins défaillante, mauvais dimensionnements, composants peu fiables ou à courte durée de vie, voire contrefaçons, absence de normes d’installations ou encore maintenance inexistante... l’absence de pérennité est criante. Ces contre-références provoquent la déception et la perte de confiance des usagers envers cette énergie pourtant si prometteuse.

En Afrique, les pays sont particulièrement mal outillés pour piloter et contrôler le développement de leur filière solaire. Comme en témoigne le représentant de l’Agence Sénégalaise d’Electrification Rurale Malick GAYE qui, lors d’une conférence « Les impacts de l’électrification rurale » co-organisée par le Club-ER la FERDI en novembre 2019, rappelle que, si le Sénégal a une politique ambitieuse d’accès universelle à l’énergie en 2025 grâce aux mini-réseaux solaires, son histoire « avec l’énergie solaire n’est pas reluisante. On a installé des systèmes mais qui n’ont pas été efficaces. Ce qui a amené cet échec était un problème de gouvernance ». Ce besoin de gouvernance nécessaire pour orchestrer le déploiement pour l’instant erratique, et de centres de ressources habilités à accompagner la montée en puissance de la filière solaire. 

Au-delà du MWc, des compétences humaines et des outils au service de la qualité

Le développement du solaire n’est dès lors plus seulement une problématique de mise en place de nouvelles centrales de production d’énergie, mais également de garantie de leur qualité. Il s’agit avant tout de renforcer les capacités des acteurs et la filière pour tester, opérer, piloter et pérenniser ces nouveaux moyens d’électrification. La montée en compétences et le co-développement d’outils constituent deux volets majeurs – au même titre que la planification et le de-risking - pour créer un environnement favorable à l’investissement dans des infrastructures solaires.

D’une part, il s’agit d’accompagner l’émergence de ces nouveaux métiers du solaire. Alors que la transition énergétique nécessite d’associer les opérateurs, les collectivités et l’administration, les profils de compétences sont très divers. Les formations doivent composer avec des profils techniciens et ingénieurs tout au long de la chaîne de concept d’un projet, mais également des décisionnaires politiques dédiés à la planification, entrepreneur.ses, responsables de projets. La dissémination des compétences opère à différentes échelles. La formation des équipes techniques de compagnie d’électricité et des gestionnaires du ministère de l’énergie est tout aussi cruciale que la formation des comités de gestion de centrales villageoises et des populations. Cet essaimage massif ne saurait se passer de la formation de formateurs et formatrices dans le milieu professionnel ou académique.

Figure 3. Diagnostic d'un candélabre solaire hors-service - Mission INES-ESF-PSs – Sénégal 2019

D’autre part, les outils de pilotage nécessitent d’être développés, en favorisant les technologies frugales et collaboratives. Des plateformes pédagogiques doivent être dédiées à la formation pratique des métiers solaires et à la démonstration. Les outils de tests et de contrôle, en laboratoire et sur le terrain sont également essentiels pour qualifier la qualité des équipements solaires à réception, et pouvoir garantir la conformité des infrastructures. A ce titre, la formalisation de normes et de référentiels techniques entamée par l’ECREEE ou les outils organisationnels pour la gouvernance des comités de gestion mis en place par l’ASER au Sénégal sont exemplaires.  Enfin, des outils de suivi de performance et de diagnostic permettent de rendre accessibles la gestion et la maintenance d’installations dispersées, par exemple TéléSuiWeb pour les chauffe-eaux solaires thermiques.

Un tissu foisonnant d’initiatives à différentes échelles de gouvernance

Les initiatives de renforcement de capacités existent déjà en Afrique, et, si la France ne se distingue pas par son industrie, du fait d’une faible présence de fabricants exportateurs dans l’électrification photovoltaïque, elle brille par contre par son ingénierie technique, sociale et pédagogique œuvrant depuis plus de 30 ans dans de nombreux pays africains. Cette expertise française se traduit d’ailleurs dans des ouvrages de référence, de L’Electrification solaire photovoltaïque de Gérard Moine [2], jusqu’au récent Electrifier l’Afrique rurale de la Fondem[3]. Ces nombreuses actions de formation nécessitent désormais d’être coordonnées à travers un référentiel de formation reconnu.

Des organisations ont entamé le travail d’orchestration de ces différentes ressources. C’est le cas de l’Alliance Solaire Internationale (ISA) et son programme STAR-C qui vise la mise en réseau des centres de ressources solaires pour leur montée en compétences coordonnée. C’est aussi le cas du réseau GN-SEC de l’UNIDO qui accompagnent les centres régionaux de promotion des énergies renouvelables à travers le continent. La mission de l’INES auprès de ces réseaux s’attache à l’élaboration d’une feuille de route commune et au renforcement des capacités des centres à toutes les échelles.  L’enjeu est bien de développer une gouvernance polycentrique de la filière solaire, selon le concept développé par Elinor Ostrom (2010) : jongler avec plusieurs niveaux de gouvernance pour amener les compétences solaires à toutes les échelles régionale, nationale et locale[4].

Zoom sur le déploiement est-africain de l’Académie Solaire de l’EACREEE.

L’essaimage de compétences et d’outils solaires dans la Communauté Est-Africaine est précisément la mission que s’est fixé l’East African Centre of Excellence for Renewable Energy and Efficiency (EACREEE). Sa filière solaire est en pleine expansion, avec de nombreuses initiatives entrepreneuriales ou académiques. Pour structurer ces multiples initiatives, EACREEE a le mandat inter-étatique de créer une académie solaire harmonisée.

Figure 4. Première formation de l'Académie Solaire EACREEE - INES – Kenya 2019

Partenaire de l’ISA et de l’INES pour mener à bien ce projet, ses missions sont ambitieuses :
  • Formation de formateur.rices dans les centres de formations des 6 pays : Burundi, Kenya, Ouganda, Rwanda, Sud-Soudan, Tanzanie. 
  • Harmonisation des déroulés pédagogiques photovoltaïques (raccordé-réseau, site isolé et systèmes hybrides)
  • Développement de la plateforme e-learning 
  • Mise en place de certification pour les différentes professions formées au solaire
  • Equipement d’une plateforme technique pour la pédagogie et le contrôle-qualité d’équipements

Figure 5. Expert-Formateur INES et un groupe de stagiaires - Académie solaire EACREEE - Kenya 2019

L’Académie solaire a été lancée en Septembre 2019 à Kenyatta University, sous l’égide des Ministères français de la Transition Ecologique et Solidaire et de l’Europe et des Affaires Etrangères, avec une première formation co-pilotée par l’INES.

Bignona – un centre de ressources solaires local, au plus proche des problématiques d’électrification rurale

Le territoire de la Casamance, au Sénégal, se dote lui d’un centre de ressources solaires pour le conseil, le soutien pédagogique et le test d’équipements décentralisés. A l’origine de ce centre, un Diagnostic Energie commandité par le Conseil Départemental de Bignona avait été réalisé en Juillet 2019 par les équipes de l’INES, Electriciens Sans Frontières et Pays de Savoie Solidaires pour proposer des solutions aux verrous énergétiques constatés.

Figure 6. Formation INES de techniciens - Bignona - Sénégal 2019

Manifestation par excellence de la gouvernance polycentrique et de la décentralisation de l’énergie solaire, ce nouveau centre autogéré est utilisé par les acteurs locaux – villages, entreprises, enseignement – pour la montée en puissance de leurs activités solaires. 

Les réseaux nationaux – CT2S, ASER-, régionaux – ECREEE-  ou internationaux – ISA - l’utilisent comme laboratoire d’expérimentation pour faire émerger un référentiel solaire décentralisé. A terme, le centre a vocation à s’inscrire dans des projets nationaux ou régionaux pour partager son expérience et faire rayonner son expertise. Les acteurs de la transition énergétique capitalisent sur ce centre rural pilote pour répliquer le concept dans d’autres zones décentralisées.

Figure 7. Diagnostic de panne chez un maraîcher - INES-ESF-PSs - Sénégal 2019

Power to the people !

Bien plus qu’une source nouvelle et inépuisable d’énergie, l’énergie solaire suscite une transformation sociétale profonde du secteur énergétique : la réappropriation par les communautés d’usagers de leurs modes de production énergétiques. Ainsi cette large démocratisation des compétences et des outils permet non seulement d’électrifier (« power » au sens d’électricité) mais aussi d’empuissanter (« power » au sens de pouvoir) les communautés énergétiques.

Figure 8. Village réuni autour de l'arbre à palabre - INES - ESF - PSs - Sénégal 2019

Ce système énergétique décentralisé émergent, coopératif et distribué, représente chez Jérémy Rifkin la troisième révolution industrielle[5], une opportunité unique pour les populations africaines de dessiner leurs propres futurs énergétiques et de montrer la voie aux peuples à travers le monde.  

 

Un article signé Solenn Anquetin, Chargée des programmes internationaux à l'Institut National de l'Energie Solaire (INES)

Contact : [email protected]

 

Consulter l'article précédent :  #8 - Gouvernance territoriale de la transition énergétique en Afrique


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[1] International Energy Agency (2019) Africa Energy Outlook 2019. Editions World Energy Outlook Special Report. www.iea.org/africa2019

[2] Moine, G. (2016) L’électrification solaire photovoltaïque. Editions Observ’ER.

[3] Maigne, Y. , Sauvage, E., Madon, G., Vignoles, S. (2019) Electrifier l’Afrique rurale. Editions Observ’ER. Sous la direction de la FONDEM.  Téléchargeable gratuitement: http://www.fondem.ong/electrifier-lafrique-rurale/

[4] Ostrom, E. (2010) Beyond Markets and States : Polycentric Governance of Complex Economic System. The American Economic Review, Vol. 100, N. 3, pp. 641-672. American Economic Association. https://www.jstor.org/stable/27871226?seq=1

[5] Rifkin, J. (2012) La troisième révolution industrielle. Editions Babel.

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