#9 - La simulation numérique du climat urbain, outil d’aide à la conception de quartiers résilients face aux vagues de chaleur

Rédigé par

Benjamin MORILLE

Président Fondateur - Chercheur en climatologie urbaine

7846 Dernière modification le 03/12/2021 - 12:00

            Les effets du changement climatique sont déjà perceptibles et imposent de traiter les problèmes d’inconfort thermique dans les projets d’aménagement. Les outils de simulation du climat urbain à l’échelle du quartier se révèlent très utiles pour évaluer l’influence des choix d’aménagement. Pourquoi vont-ils rapidement devenir incontournables ?

 

L’aménagement des villes face aux îlots de chaleur urbains et à l’inconfort d’été

            Le changement climatique est d’ores et déjà en cours et nos villes devront, à l’avenir, faire face à des vagues de chaleur de plus en plus longues fréquentes et intenses. Ces vagues de chaleur sont exacerbées par le phénomène d’îlot de chaleur urbain (ICU) qui atteint 6°C à 10°C, dans certaines villes françaises. L’inconfort thermique qui résulte de telles situations oblige à ce qu’on intègre ces enjeux dans les projets d’aménagement et de conception des bâtiments.

 

Les solutions pour lutter contre les ICU connues mais….

            Le sujet des solutions de rafraîchissement urbain est une préoccupation nouvelle dans le monde opérationnel ces dernières années : il s’agit donc d’un domaine de recherche qui est encore récent.

            Les diverses solutions de rafraîchissement urbain sont globalement connues : les solutions vertes et bleues fondées sur la nature, les solutions grises regroupant les solutions techniques et les solutions douces concernant les comportements et les usages. Un nombre important d’études académiques ont permis de les étudier (cf. rafraîchir les villes, ADEME) mais la complexité des phénomènes physiques interagissant entre eux fait qu’il est délicat de disposer de résultats reproductibles. Et pour cause, l’efficacité de ces solutions est fortement liée aux conditions urbaines dans lesquelles elles sont mises en œuvre.

            Le besoin d’analyser finement le comportement thermique du quartier faisant l’objet de l’opération d’aménagement afin d’adapter les solutions à adopter et de quantifier leur influence est indéniable. La simulation numérique du climat urbain est un puissant outil permettant de répondre à ce besoin !

Des outils pour quantifier l’influence de l’aménagement urbain sur l’effet d’ICU et le confort

            La quantification de l’influence des choix d’aménagement sur la température en ville requiert de représenter les phénomènes physiques qui régissent le climat urbain. Les outils de simulation réalisent donc le couplage entre :

  • des calculs d’ensoleillement : une évaluation de l’ensoleillement direct et diffus, dépassant les classiques - limités et erronés - calculs d’ombre portée et de durée d’ensoleillement, qui permettent de savoir quelle est la quantité d’énergie reçue par chaque surface.
  • le stockage et déstockage de la chaleur par les différents composants urbains : cause principale de l’effet d’îlot de chaleur urbain, sa prise en compte est indispensable et passe par un calcul dynamique considérant notamment les échanges radiatifs infrarouges et l’inertie des matériaux. Il serait aujourd’hui inconcevable de réaliser une simulation thermique dynamique (STD), sans prendre en compte l’inertie des matériaux, pourquoi en serait-il autrement pour les outils de thermique à l’échelle du quartier ?
  • des calculs d’écoulement du vent au sein du quartier : le couplage avec les calculs d’écoulement du vent donne accès à la distribution des températures d’air, permettant de ne pas se limiter à une évaluation de température de surfaces. Ces informations sur la manière dont se disperse la chaleur/la fraîcheur permettent de prendre en compte l’influence du vent qui dissipe plus ou moins rapidement l’effet produit et donc de savoir dans quelle dimension spatiale une solution est efficace. La prise en compte du vent permet au passage une considération plus fine des transferts convectifs entre les parois et l’air.
  • Les apports de chaleur anthropiques tels que les rejets de climatisation ou les émissions de chaleur liée à la circulation automobile par exemple.

 

Distribution des vitesses de vent (m/s) et vecteurs vitesse du vent dans le quartier de Noailles à Marseille (SOLENEOS). Identification des zones d’accélération du vent et des zones de recirculation du vent (faible renouvellement d’air).

 

La modélisation des solutions de rafraîchissement

A la prise en compte de ces phénomènes physiques s’ajoutent des briques de modélisation qui sont indispensables à la quantification de l’efficacité des solutions de rafraîchissement :

  • La modification de l’albédo des surfaces, induite par les solutions mises en œuvre, exige la prise en compte des inter-réflexions solaires permettant d’évaluer où se répartit l’énergie solaire réfléchie. Peu d’outils sont capables de prendre en compte cette dimension devenue incontournable.
  • La modélisation des solutions utilisant l’eau (miroirs d’eau, fontaines, brumisateurs) pour rafraîchir nécessite notamment de prendre en compte les phénomènes évaporatifs et leurs répercussions sur les échanges de chaleur.
  • La considération des effets de la végétation doit quant à elle inclure l’évapotranspiration qui est variable selon le type de végétation et les conditions météorologiques auxquelles elle est soumise. La présence d’arbres a aussi pour conséquence de ralentir l’écoulement du vent.

 

 

L’évaluation du confort thermique

            La restitution de l’ensemble des phénomènes physiques décrits précédemment donne accès aux variables météorologiques : ensoleillement, température de surface, température d’air, humidité, vitesse du vent. Le confort thermique extérieur est évalué au travers de l’indicateur UTCI (Universal Thermal Climate Index) qui agrège l’ensemble de ces grandeurs exerçant une influence sur la température ressentie. Cela requiert de calculer la température moyenne radiante, composante essentielle du confort thermique ressenti. Cette grandeur reflète les échanges radiatifs entre un piéton et les surfaces urbaines et peut s’apparenter, de manière simplifiée, à la moyenne des températures de surface qui environnent le piéton.

 

 

Aide à la conception d’un projet d’aménagement

            Ces outils de simulation sont mis en œuvre à différentes étapes du projet d’aménagement. De l’élaboration du plan masse à l’évaluation d’un projet en fin de conception, la mise en œuvre de simulations visant à réduire la contribution à l’îlot de chaleur ou à améliorer le confort thermique s’effectue de différentes manières.

 

Agir sur la forme urbaine

            Évaluer le choix de la forme urbaine est la phase préliminaire indispensable afin d’éviter d’avoir à traiter par la suite des problématiques évitables. A cette étape où peu de choix de conception sont définis, les approches consistent à limiter :

  • les zones de vent faible où la dissipation de chaleur sera insuffisante et où le confort sera dégradé en période estivale.
  • les zones recevant un fort cumul d’ensoleillement où le stockage de chaleur sera important.

            La réflexion doit s’articuler conjointement avec l’optimisation – déjà régulièrement mise en œuvre - des apports solaires dans les bâtiments que ce soit pour la période de chauffage pour laquelle il faut les maximiser ou pour la période estivale durant laquelle il faut éviter les risques de surchauffe. 

            Ces approches doivent être l’occasion pour les aménageurs de traiter d’autres sujets tels que l’optimisation de l’utilisation du potentiel solaire en toiture celui de la maximisation de la ventilation naturelle ou encore la réduction du risque d’inconfort aux vents forts en période hivernale.

 

Définir l’occupation de l’espace urbain et choisir où planter les arbres

            Une fois la forme urbaine arrêtée, il s’agit de définir l’occupation des espaces publics. Quels espaces doivent rester naturels, lesquels pourraient être minéralisés sans que cela pose problème d’un point de vue thermique, et le cas échéant quels matériaux utiliser ? Une analyse paramétrique sur les propriétés du sol et des façades de bâtiments permet de répondre à ces questions.

            Quant au choix de l’implantation des arbres, il faut, en premier lieu, identifier les espaces où ne surtout pas planter car la présence de végétation haute dégradera la situation thermique. Il s’agit alors de hiérarchiser les zones urbaines les unes par rapports aux autres, en fonction de l’usage envisagé, pour savoir où planter en priorité.

            Une fois toutes ces grandes lignes définies, des préconisations sont établies afin de donner des indications sur le type de végétation à privilégier selon les différentes zones. Un apport précieux pour les architectes-paysagistes du projet.

 

Choisir les matériaux de construction

            Une démarche spécifique est mise en œuvre pour émettre des préconisations sur les choix de matériaux à faire pour les bâtiments :

  • Quels toits sont à végétaliser en priorité ? Sur quels toits doit-on privilégier la mise œuvre de panneaux photovoltaïques ? Où faut-il choisir un albédo élevé ?
  • Quelles sont les façades sur lesquelles l’albédo exerce une influence ? Quelle est l’influence d’une isolation par l’intérieur ou par l’extérieur sur les températures de surface ?

Ces éléments ont notamment vocation à être intégrées aux fiches de lots. 

 

Optimiser les aménagements

            L’ensemble des choix arrêtés, un premier état des lieux complet permet d’évaluer le confort thermique des différents espaces. A ce moment, certains ajustements pourront être préconisés pour les zones n’assurant pas un confort suffisant. La simulation amènera d’autres contributions permettant d’agir sur les choix à faire en termes de gestion des eaux pluviales afin d’optimiser l’évapotranspiration du végétal. Des optimisations peuvent aussi être conseillées quant au pilotage des systèmes utilisant l’eau pour rafraîchir : les fontaines, miroirs d’eau ou brumisateurs, par exemple, peuvent voir leurs périodes d’utilisation restreintes aux périodes d’inconfort ou leur débit d’eau adapté pour optimiser le rafraichissement, le tout en préservant cette ressource naturelle dont la disponibilité sera amenée à se raréfier à l’avenir.

2017 2050

Augmentation de la température de l’air du square du palais de justice d'antan à Marseille au 21 juin entre 2017 et 2050 (SOLENEOS). Températures d’air à proximité des surfaces.

 

Impact environnemental et résilience de la conception

            Dans le cadre d’études d’impact environnemental, s’assurer de ne pas dégrader la situation thermique actuelle ou à minima s’assurer de moindre contribution du projet à la modification de son environnement est un primordial. La simulation numérique offre la possibilité de réaliser une comparaison avant/après projet avant même sa réalisation et donc de pouvoir l’amender si nécessaire.
            Il est enfin indispensable à la fin du projet de conception de s’assurer que le quartier restera confortable lorsqu’il subira les vagues de chaleur attendues à l’horizon 2050, 2070 ou 2100. Cette évaluation se réalise en utilisant des fichiers météorologiques intégrant les scénarios du changement climatique. La comparaison du comportement thermique d’un quartier soumis à ces différentes conditions climatiques permet ainsi de s’assurer de sa résilience dans des conditions futures dégradées.

 

La simulation numérique du climat urbain, outil d’aide à la décision et d’évaluation

            Le recours à la simulation numérique du climat urbain est donc un outil complet qui peut s’utiliser à différentes étapes du projet d’aménagement. Il permet d’explorer les diverses options d’aménagement et de s’assurer de la pertinence des choix retenus. L’interaction entre les différents phénomènes physiques aux effets antagonistes rend néanmoins indispensable la restitution de l’ensemble des phénomènes physiques, faute de quoi les choix de conception retenus pourraient aller à l’encontre des objectifs visés.

 

Article signé Benjamin Morille, SOLENEOS

www.soleneos.fr


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