#7 Stratégie de développement de la filière « bâti tropical »

Rédigé par

La rédaction C21

8734 Dernière modification le 02/09/2019 - 10:43
#7 Stratégie de développement de la filière « bâti tropical »

Avec le projet « BIOREV Tropics », Nomadeis, BioBuild Concept et le Laboratoire d’Écologie Urbaine de La Réunion, ont étudié les particularités de l’insularité et la difficile problématique du développement de filières locales. Voici une synthèse de ce document qui constitue un des premiers pas vers la reconnaissance pleine et entière des spécificités de constructions dans les zones tropicales françaises. Voir l’étude.

Le contexte local

La Réunion s’inscrit dans une volonté affirmée d’intégrer le développement durable à tous les points décisifs de sa politique sociale de son environnement et de son économie. A ce titre, la construction durable se définit par une bonne conception thermique du bâtiment ainsi qu’un choix des matériaux locaux, à faible « énergie grise », efficaces thermiquement, et en accord avec les conditions climatiques tropicales de La Réunion.

A ce jour, malgré un réel volontarisme pour valoriser certaines ressources réunionnaises, la plupart des matériaux utilisés dans la construction demeurent importés : ce qui a des conséquences sur les plans économique, environnemental, et social. Ils sont d’ailleurs plus onéreux à l’achat à La Réunion qu’en métropole. Ces grosses dépenses réalisées par les entreprises du BTP pour l’acquisition de matériaux produits à l’étranger correspondent à une valeur « perdue » pour l’île. Cette valeur pourrait pourtant rester sur place à condition que les filières des matériaux locaux soient suffisamment structurées et développées pour répondre à la demande. Le recours aux matériaux locaux apparaît dès lors comme un moyen de stimuler l’emploi et de créer de la valeur ajoutée difficilement délocalisable.

En France, selon la Fédération Française du Bâtiment (FFB), 44 % de l’énergie consommée est imputable au secteur de la construction. L’extraction, l’importation puis la mise en œuvre des matériaux de construction importés sont des activités à fort impact sur l’environnement qui s’ajoutent au bilan carbone du secteur réunionnais de la construction, puisque celui-ci est importateur net en matériaux qui sont eux-mêmes pour la plupart des matériaux à forte empreinte carbone. Prenons l’exemple du béton : la fabrication du ciment qui le compose est en effet responsable de près de la moitié des émissions de gaz à effet de serre du secteur de la construction.

Dans un contexte tropical à la fois chaud et humide, l’enjeu relatif au confort thermique dans les bâtiments est essentiel pour le bien-être des habitants. Il existe d’ailleurs à La Réunion une grande variété topographique (littoral, moyenne montagne, haute montagne) qui fait que le zonage climatique y est très fort. La bonne adaptation du bâti aux contraintes naturelles (pourtant essentielle) est donc plus difficile, puisqu’il n’est pas possible de répliquer un modèle standard qui conviendrait pour l’ensemble des sites constructibles.  La mise en œuvre des principes du bâti bioclimatique vise à faciliter l’atteinte du confort thermique de manière passive (non consommatrice en énergie et non émettrice de gaz à effet de serre) en intégrant les données naturelles du site de construction choisi. Par conséquent, le caractère adapté de la construction au site naturel constitue une condition du bien-être des habitants que seul le recours au bâti tropical permet d’assurer sans un fort impact sur l’environnement et le patrimoine.

De manière générale, la composition, la fabrication, l'utilisation et la fin de vie des produits conventionnels peuvent être des sources de potentiels impacts négatifs pour l’environnement et la santé humaine, et il convient donc d’engager un mouvement en faveur d’une construction plus durable de ce point de vue. La diminution du volume de déchets produits sur l’île et non recyclés constitue dès lors un enjeu social majeur. Pour cette raison, le projet BioRev’Tropics a également accordé une large place aux matériaux issus de déchets recyclés.

 

Organisation du projet BIOREV Tropics

Lauréat d’un appel à projet lancé par la DIRECCTE La Réunion, le projet BioRev’Tropics – Le recours aux matériaux locaux pour la construction en milieu tropical – s’appuie sur l’observation de terrain, l’écoute et l’expérience d’acteurs impliqués dans le développement de la filière bâti tropical pour identifier des potentiels de développement et favoriser l’identification et le financement d’actions visant à : « renforcer la valorisation des matériaux locaux pour la construction et maximiser les retombées socioéconomiques pour le territoire, notamment en matière d’emploi et de compétences» .

Le projet s’est déroulé en trois grandes phases :

  • Une phase amont de diagnostic flash des filières (filières en place et filières potentielles) des matériaux locaux basée sur une approche ressources puis de compilation des pistes d’actions identifiées par le collectif.
  • Une phase intermédiaire d’enquête téléphonique auprès des entreprises du bâtiment visant à qualifier et à quantifier le recours effectif aux matériaux locaux à La Réunion (voir le rapport d’analyse de l’enquête et le rapport compilant les résultats bruts).
  • Une phase aval de compilation des éléments : rédaction d’une ébauche de feuille de route intégrant le plan d’actions, de l’analyse des résultats de l’enquête et d’un rapport final du projet.

 

Les retours de l’enquête

Cette enquête, réalisée auprès de 2400 artisans répartis de façon homogène sur le territoire, a pu révéler la forte sensibilité des entreprises répondantes au caractère local des matériaux qu’elles mettent en œuvre ainsi qu’une curiosité générale vis-à-vis de ces matériaux. Les professionnels interrogés se considèrent comme étant acteurs de la transition énergétique et écologique, et sont donc sensibles à l’impact environnemental des matériaux qu’ils mettent en œuvre… Cependant, la majorité des répondants déclarent ne pas connaître les principes de construction du bâti tropical, dont fait partie le bâti bioclimatique. Un recours accru à ces principes constitue donc un enjeu majeur pour limiter l’impact environnemental du secteur du bâtiment à La Réunion.

L’intégration de la végétation au bâti est approuvée par une grande majorité des artisans, qui considèrent que le végétal vivant devrait être plus intégré dans les constructions réunionnaises pour des raisons de confort, de performance énergétique, d’esthétique ou encore de protection du patrimoine et de la biodiversité.

Le recours aux matériaux locaux reste minoritaire par rapport au recours aux matériaux importés. Seulement 15% des répondants estiment que plus de 50% des matériaux qu’ils utilisent ont une origine locale, et cela est dû deux raisons : la disponibilité et le prix.  Pour certains matériaux dont il existe déjà une filière d’approvisionnement, comme le bois, certains artisans évoquent des quantités trop faibles et une chaîne d’approvisionnement qui n’est pas assez développée ; pour d’autres matériaux (plâtre, ciment, ferraille, etc.), la filière d’approvisionnement n’existe même pas, donc l’importation devient obligatoire.

Outre l’argument financier, la certification du matériau apparaît comme le troisième critère le plus déterminant dans le choix des matériaux pour les artisans. En effet, des règles de sécurité de plus en plus strictes s’imposent, notamment dans les chantiers dont les clients sont des acteurs publics, qui concernent 37% des artisans interrogés. Ceux-ci soulèvent également le fait que l’application de normes européennes dans un territoire dont les caractéristiques sont très différentes de celles de la Métropole constitue un frein majeur au développement du recours aux matériaux locaux. Les répondants manifestent un grand intérêt pour la mise en œuvre de matériaux locaux, sous réserve que ces matériaux soient disponibles et accessibles…

On note un accord général sur l’importance de protéger le patrimoine et les savoir-faire réunionnais, ainsi que de transmettre les savoir-faire locaux relatifs à la construction. Le reproche qui revient le plus souvent est : « Il y a beaucoup d’architectes ici qui sont formés en métropole et qui construisent comme en métropole, sans prendre en compte le climat et la topologie de La Réunion. » 

 

  • Plans d’actions

Les applications des matériaux locaux ciblés par le projet pour un usage en construction sont les suivantes:

  • Bétons végétaux et bétons légers (dont les granulats biosourcés sont par exemple les palettes, la bagasse, les scories, etc.) ;
  • Isolants (fabriqués par exemple à partir de papier, de fibres, de vrac, de basalte, etc.) ;
  • Eléments de structure (fabriqués par exemple à partir de biomasse transformée telle que le bambou, le cryptoméria, etc.) ;
  • Eléments de couverture et bardage (fabriqués par exemple à partir de biomasse transformée telle que le vétiver, les palmes, le tamarin, etc.) ;
  • Colles, peinture (produites à partir de biomasse transformée telle que la choca, les algues, etc.) ;
  • Eléments d’ombrage et climatisation naturelle (que constituent les massifs végétaux vivants) qui se décline en trois types d’applications : toitures végétalisées, façades végétalisées et murs végétaux

 

 

A)     Recherche et développement en matière de matériaux et de principes règlementaires innovants

Des projets variés de recherche et développement ont pour ambition de concevoir des matériaux à partir de ressources locales en vue d’un usage en construction. Les matériaux locaux demeurent, sur le plan technique, un champ à investiguer : l’innovation permet la découverte de nouvelles solutions dont l’objet est la valorisation des ressources locales pour la fabrication de matériaux à faible impact environnemental et dont les caractéristiques techniques demeurent similaires à celles des matériaux conventionnels.

  • La compétitivité économique des matériaux locaux ne pourra être effective qu’à long terme, lorsque les filières seront structurées : il est donc important, dès à présent, de sensibiliser les acteurs de la construction et le grand public aux externalités positives de ces matériaux. Il convient donc de formaliser les différents retours d’expérience usagers en réalisant une charte des bonnes pratiques et en élaborant des supports de sensibilisation de manière à diffuser cette connaissance.
  • Développement de bétons végétaux à partir de ressources locales. L’île de La Réunion est riche de ressources locales valorisables pour la construction. L’innovation doit donc porter en priorité sur les matériaux qui peuvent être conçus à partir de ces ressources locales et plus généralement sur les ressources disponibles à la fois localement et dans toute la zone tropicale humide, afin que les développeurs de ces matériaux puissent exporter et répliquer leur modèle technico-économique à d’autres zones de la planète.
  • Etude des caractéristiques relatives à l’isolation des matériaux composites et soutien au passage à l’échelle industrielle : Les matériaux composites (intégrant à la fois des matériaux biosourcés et des matériaux conventionnels) sont un bon compromis entre accessibilité de la matière première et recours à des matériaux locaux.
  • L’innovation en matière règlementaire, dans un contexte de transition énergétique et écologique, joue un rôle moteur visant à améliorer la performance énergétique des bâtiments. De façon plus expérimentale, l’innovation peut également s’appliquer à la définition de nouveaux cadres conceptuels et de nouvelles approches de la construction elle-même. Les normes métropolitaines sont souvent inadaptées et il existe un besoin de création de référentiels spécifiques. Le PLU du Cœur de Ville de la Possession et son écoquartier (voir étude de cas ) est par exemple une illustration de la réussite du volontarisme politique en faveur d’un recours accru au bâti bioclimatique.
  • Structuration et développement d’une filière bambou locale : Facile à cultiver et résistant, il lui faut seulement un an pour pousser, sans engrais ni autres produits phytosanitaires, et trois ans pour parvenir à maturation. Cela permet de l'exploiter rapidement, au bout de quatre ans. De plus, en capturant davantage de CO2 que les arbres, le bambou libère plus d'oxygène. Il fait déjà l’objet de nombreux usages dans des pays voisins de La Réunion, et plus généralement dans l’ensemble de la zone tropicale humide.

 

       B)    Bâti tropical et évolutions du comportement et des usages : Le recours aux techniques du bâti tropical pour une atteinte du confort hygrothermique sans impact carbone

Dans la zone tropicale humide, le taux d’humidité de l’air constitue un facteur clé qu’il est nécessaire de prendre en compte dans la perspective de faciliter l’atteinte de la sensation de confort de l’usager

La climatisation est un moyen rapide pour rafraîchir un logement. Néanmoins, cette solution n’est pas durable il convient de souligner que son bilan thermique global est positif et provoque le réchauffement des villes. Dès lors, il convient d’encourager le recours aux systèmes de rafraîchissements passifs intégrés au bâti selon les principes du bâti tropical.

 

 

  • Plan de végétalisation des espaces urbains et territoires ruraux : La végétation en ville contribue à atténuer localement les îlots de chaleur urbains principalement grâce à l’ombre des arbres qui réduit la température au sol et à la surface des bâtiments. De plus, l’eau perdue par les végétaux par évapotranspiration et transférée du sol vers l’air, permet de le rafraîchir.
  • La massification de la rénovation : Il s’agit d’un moyen pour lutter contre la précarité énergétique et l’effet d’étuve engendré par un bâti inadapté et peu performant. L’application des principes du bâti tropical dans la rénovation des constructions existantes apparaît comme un moyen d’améliorer la performance énergétique du parc immobilier de La Réunion.

 

C)      Adaptations et impacts du recours au bâti tropical sur les emplois, les compétences et la formation

Malgré l’absence de certains métiers et de certaines compétences, l’offre en termes de formation initiale et continue en matière de bâti tropical est riche et le réseau d’acteurs de la formation y est dense. L’offre de formation apparait malgré tout trop ponctuelle et insuffisamment structurée

  • L’offre de formations initiales et continues est riche mais encore insuffisamment intégrée à une approche globale autour du bâti tropical. Il pourrait donc être intéressant d’enrichir le « MOOC bâti tropical » en y incluant notamment une partie relative aux caractéristiques et à la mise en œuvre des matériaux locaux. La prospective en matière d’évolution des besoins de la formation constitue un enjeu phare de la thématique relative à l’emploi et aux compétences en lien avec le bâti tropical et le recours aux matériaux locaux.
  • Valoriser les métiers en lien avec le bâti tropical est également un objectif important : La restauration de l’image des métiers manuels et notamment des métiers manuels en lien avec le bâti tropical constitue un enjeu majeur. Des actions de communication doivent être entreprises de manière à réhabiliter ces métiers, notamment en rappelant le lien culturel fort qui les lie aux savoirs et techniques d’antan.

La rédaction de Construction21 tient à remercier Jérôme VUILLEMIN, alors chercheur au Centre d’Innovation et de Recherche de Bâti Tropical (CIRBAT), pour son aide précieuse dans la réalisation de cette synthèse.

Propos recueillis par Hassan Abouzid

Dossier soutenu par

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