#5 - La nécessité d'une rénovation performante : entre financements privés et subventions publiques

Rédigé par

Lucas Chabalier

5035 Dernière modification le 25/03/2022 - 11:20
#5 - La nécessité d'une rénovation performante : entre financements privés et subventions publiques

 

L’atteinte de la neutralité carbone en 2050 impose une réduction drastique de la consommation énergétique de nos bâtiments. Si l’Etat doit revoir d’urgence sa politique de soutien à la rénovation en l’alignant sur cet objectif de performance et augmenter le volume de ses subventions, il ne pourra pas supporter seul l’investissement nécessaire. Les propriétaires ont leur part à jouer, il faut leur donner les solutions financières.

Tous les scénarios de décarbonation crédibles (Stratégie nationale bas carbone, Ademe S1 et S2, RTE, négaWatt, The Shift Project) s’accordent aujourd’hui sur la nécessité d’une rénovation performante. Ce que la Loi de transition énergétique pour la croissance verte de 2015 a entériné en fixant l’objectif d’un parc immobilier (résidentiel et tertiaire) au niveau BBC (Bâtiment basse consommation) ou équivalent en 2050.

Pour le résidentiel, cet objectif implique la rénovation complète de 370 000 logements (privés et sociaux) par an entre 2022 et 2029, puis de 700 000 logements par an entre 2030 et 2050 (Stratégie nationale bas carbone 2020). Nous manquons de données précises sur le nombre de rénovations complètes livrées à ce jour, mais nous sommes très éloignés de la trajectoire : l’estimation la plus fiable (celle d’Effinergie) propose le chiffre de 45 000 par an.

Le coût d’une rénovation performante, plus important dans le cas de maisons individuelles que de logements collectifs, s’élève à plusieurs dizaines de milliers d’euros, ce qui, rapporté aux 700 000 logements à rénover chaque année au niveau BBC représente un investissement annuel d’environ 25 milliards d’euros HT. Qui doit investir, c’est-à-dire supporter le coût ? Qui doit financer, c’est-à-dire apporter l’argent ? Les réponses combinent investissements et financements publics et privés.

Une réorientation et une montée en puissance des aides publiques

De tous les investissements nécessaires pour décarboner notre économie, la rénovation performante des bâtiments est sans nul doute le plus vertueux qui soit : créations d’emplois et de richesses dans les territoires, réduction des dépenses de santé, rééquilibrage de la balance commerciale, indépendance énergétique, préservation du pouvoir d’achat dans un contexte d’envolée des prix appelé à durer, réduction des inégalités, lutte contre la précarité et insertion. Les retombées, au-delà de la lutte contre le changement climatique, sont si grandes pour la collectivité qu’une montée en puissance de l’investissement public est pleinement justifiée.

En 2021, l’Etat dépensait 3,8 milliards d’euros pour soutenir la rénovation des logements, sous forme de prêt bonifié (éco-PTZ), de réduction de taxe (TVA à 5,5%) ou de subvention (MaPrimeRénov’). Mais ces aides visent essentiellement les gestes individuels, au détriment de notre objectif de performance final. On sait en effet que pour arriver au niveau BBC, la rénovation doit être pensée de manière globale : de préférence en une seule fois (la meilleure solution technique et financière) ou, à défaut, en 2 ou 3 étapes (maximum) coordonnées pour éviter les impasses techniques (certaines étapes ne peuvent être dissociées, d’autres ne peuvent être conduites en premier). En incitant les ménages à changer leur système de chauffage ou leurs fenêtres, on les condamne en réalité à ne pas pouvoir rendre leur logement performant : on « tue » le gisement énergétique. L’urgence est donc de réorienter les aides publiques vers les rénovations globales.

Au-delà de ce nécessaire alignement, l’Etat doit accroître l’enveloppe de son soutien. Les règles du Pacte de stabilité et de croissance, actuellement suspendues pour répondre à la crise du Covid, sont en cours de révision. Nous pouvons espérer qu’une dépense d’investissement dans la rénovation énergétique (et, plus largement, la transformation écologique) financée par de la dette soit exclue du déficit public (sur le modèle comptable des entreprises).
 

Améliorer l’éco-PTZ (prêt à taux zéro)

Tout ce que la puissance publique ne prendra pas en charge reviendra aux propriétaires. Il faut donc leur apporter les solutions de financement permettant, quel que soit leur profil, d’assumer un coût de plusieurs dizaines de milliers d’euros. C’est ici que les banques doivent entrer en jeu en proposant des prêts à taux bas (voire nuls) et à maturité longue (25 ans), qui tiennent compte, outre le revenu de l’emprunteur, de 2 critères de solvabilité : les économies d’énergie et la valorisation du bien immobilier.

Aujourd’hui, l’Eco-PTZ répond en partie à ces exigences : à partir du 1er juillet, les propriétaires pourront emprunter jusqu’à 50 000 euros à taux 0 (l’Etat paie les intérêts aux banques via un crédit d’impôt) sur une durée maximale de 20 ans pour conduire leurs travaux de rénovation. Mais ce dispositif – en dehors des sociétés de tiers financement (mini banques publiques régionales) – n’intègre pas les économies d’énergie dans les plans de financement. D’une part parce que les solutions de rénovation ne sont pas suffisamment standardisées, ce qui rend incertaines ces économies. D’autre part parce que l’autorité réglementaire s’y oppose : le Haut Conseil de Stabilité Financière (HCSF) impose en effet aux banques de ne pas prêter au-delà d’un taux d’effort de 35% (échéances divisées par retenu récurrent). Le prêt à taux zéro, tel que défini aujourd’hui, s’adresse à ceux qui en ont les moyens.  

L’enjeu est donc de fiabiliser les économies d’énergie auprès des banques pour élargir le périmètre d’éligibilité des ménages. Cette fiabilité existe en réalité avec la rénovation performante : en isolant les murs, la toiture, le sol, en changeant les menuiseries extérieures et en remplaçant le système de chauffage en même temps qu’on traite les ponts thermiques et l’étanchéité à l’air, les performances énergétiques obtenues sont conformes, à la décimale près, aux modèles de simulations dynamiques. Lorsqu’on procède ainsi, preuve est faite que le niveau BBC est atteint.

Pour déterminer le nombre de ménages qui pourraient financer la rénovation performante de leur habitation grâce aux économies d’énergie, si un prêt à taux zéro sur 25 ans avec plafond au mètre carré (et non plus forfaitaire) leur était offert, le cabinet Deloitte a défini, en utilisant l’outil Panel Rénov de I4CE, 12 cas-types qui combinent caractéristique de la maison et revenu du ménage. En prenant une marge de sécurité – conservatrice – de 15% pour l’effet rebond (sur une facture d’énergie pouvant passer de plus de 2 500 euros à 400 euros), il a obtenu que dans 7 cas sur 12 l’équilibre en trésorerie (échéances inférieures ou égales aux économies d’énergie) était possible. En y ajoutant les subventions, l’équilibre était atteint dans 10 cas sur 12.

D’autres instruments de financement

L’éventuelle généralisation de l’éco-PTZ par l’intégration des économies d’énergie, un allongement de la maturité à 25 ans et la suppression du plafond forfaitaire de 50 000 euros entraînerait un surcoût significatif pour l’Etat. La création d’un produit bancaire spécifique, le Prêt à la rénovation par (re)chargement hypothécaire (PRRH), permettrait de réduire le taux proposé par la banque par la prise en garantie du bien (cautionnement). Fonctionnant comme un prêt immobilier, le PRRH serait même plus compétitif que ce dernier en raison de la forte demande d’actifs verts sur les marchés, assurant aux banques un refinancement dans les meilleures conditions. Cette prime verte, appelée Greenium, pourrait alors être rétrocédée à l’emprunteur, qui bénéficierait d’un taux encore plus faible qu’un prêt immobilier. Le PRRH permettrait également aux banques de réduire leur charge en capital (ratio dette sur fonds propres) et de massifier les prêts à la rénovation performante.

Pour rendre les prêts à la rénovation encore plus attractifs, la Banque centrale européenne (BCE) pourrait octroyer aux banques qui les proposent un refinancement à taux négatif. Autrement dit : la BCE subventionnerait les banques s’engageant sur le marché de la rénovation performante. C’est ce qu'elle a fait – à hauteur de plus de 2 000 milliards d’euros – depuis le début de la crise du Covid pour inciter les établissements de crédit à prêter aux ménages et aux PME, mais, pour l’heure, les prêts à la rénovation n’ouvrent pas à ces avantages. Comme pour le Greenium, les banques bénéficiant d’un taux de refinancement négatif de la BCE pourraient le rétrocéder en partie à l’emprunteur.  

Pour les propriétaires âgés, qui ne peuvent pas s’endetter dans la durée, ou précaires, en situation de privation énergétique et pour qui l’équilibre en trésorerie n’est pas possible, le Prêt avance mutation (PAM), tel que modifié par la Loi Climat et Résilience d’août 2021, représente une solution de financement. Le remboursement de ce prêt hypothécaire n’intervient qu’à la mutation du bien (vente ou succession), avec possibilité de s’acquitter des intérêts au fil de l’eau. Entre l’augmentation tendancielle du prix de l’immobilier et la valorisation propre à un logement rendu performant, cette solution peut permettre aux propriétaires précaires de payer la rénovation de leur logement (à condition bien sûr de maintenir les aides publiques). Jusqu’à présent, les banques ne proposaient pas (ou à des taux prohibitifs) ce produit destiné à un public traditionnellement exclu des mécanismes de financement. Mais l’Etat se porte désormais garant des pertes éventuelles à hauteur de 75%. La Banque Postale et le Crédit Mutuel ont ainsi accepté de le distribuer (à un taux de 2% pour le premier établissement). Une amélioration pourrait être apportée au dispositif si possibilité était accordée à l’emprunteur de rembourser également (sans surcoût) le capital au fil de l’eau grâce aux économies d’énergie (insuffisantes pour parvenir à l’équilibre en trésorerie, mais existantes).

On peut imaginer une version européenne de ce prêt, destinée à l’ensemble des propriétaires. Ici, la garantie ne serait plus apportée par l’Etat à travers son Fonds pour la rénovation énergétique (FGRE), mais par la composante « prêt » sous-utilisée du plan de relance européen, NextGenerationEU. Elle permettrait ainsi aux propriétaires de bénéficier d’un taux calibré sur celui, très avantageux, de l’Union européenne à 30 ans.

Dans cette même logique, mais s’appuyant cette fois sur la Caisse des dépôts et non sur les banques commerciales, les députés socialistes Boris Vallaud et Jean-Louis Bricout ont proposé en 2020 l’idée d’une Prime climat : ce dispositif combine subventions – entre 10% et 40% du montant des travaux (en fonction du décile des propriétaires), avec une majoration de 10%  pour les logements situés dans les régions où existe une importante disparité entre offre et demande sur le marché de l’immobilier (zones rurales) – et financement par la Caisse des dépôts. Les prêts seraient relayés par un réseau d’agences publiques et remboursables à la mutation du bien, au bout de 30 ans ou au fil de l’eau.

Les propositions de financement esquissées ici s’apprécient d’abord dans une logique d’acceptabilité des travaux de rénovation performante : il s’agit davantage de préserver les ménages d’une dépense supplémentaire que de leur faire gagner en pouvoir d’achat. Mais rendre acceptable ne suffira pas à déclencher la demande, et ces solutions ne se mettront pas en place sans une forme d’obligation à rénover. Les politiques y rechignent, quand les sondages montrent que les ménages y sont prêts… à condition qu’on leur donne les moyens de la financer.

Un article signé Lucas Chabalier

Note : Cet article reprend essentiellement les propositions issues du rapport "Vers une offre universelle de financement" commandé par l’Institut négaWatt et Dorémi et du cahier "Financing A Deep Renovation Wave: recovery and beyond" publié par Agir pour le climat.
Les expressions « rénovations performantes », « rénovations complètes » et « rénovations globales » sont ici employées indistinctement pour désigner des rénovations permettant d’atteindre le niveau BBC (Bâtiment basse consommation), soit une consommation inférieure à 80 kWh d’énergie primaire par mètre carré et par an (correspondant à l’étiquette A du DPE et à une partie de l’étiquette B) et à moins de 50 kWh d’énergie primaire par mètre carré et par an en chauffage.


Lucas Chabalier est responsable plaidoyer d’Agir pour le climat, association citoyenne et transpartisane à l’origine du Pacte Finance-Climat. Agir pour le climat assure en France la coordination de la campagne Unlock, lancée par Positive Money Europe. Cette campagne, qui comporte une pétition, vise à impliquer les banques dans le financement de la rénovation performante des logements privés.

Voir le site de Agir pour le Climat

Signer la pétition pour la campagne Unlock

 


Article suivant : Publication le 28/03
 

Retour à la page d'accueil du dossier

 

Partager :