5 défis à relever pour (bien) vivre ensemble les rues de demain

Rédigé par

Amandine Martinet - Construction21

Journaliste

5795 Dernière modification le 11/04/2023 - 09:08
5 défis à relever pour (bien) vivre ensemble les rues de demain

 

Cohésion sociale, transition écologique et énergétique, évolution de l’aménagement des territoires urbains…. La rue est un espace qui cristallise une série de problématiques auxquelles il est possible de répondre via plusieurs leviers : de l’accroissement de la nature en ville à l’encouragement de la participation citoyenne en passant par la mobilité douce. Récap' des interviews d'experts réalisées pour la Rue Commune sur les bonnes pratiques existantes à développer pour des rues apaisées et bénéfiques pour tous.  

 

La rue, c’est cet endroit où l’on se croise : l’habitant, le passant, le commerçant, à pied, en voiture, à vélo, dans un sens ou dans l’autre, à des fins diverses. Un lieu où l’on éprouve la présence de voisins sans forcément les connaître et qui occupe une partie de nos quotidiens à tous. Il est pourtant d’usage de penser que cet espace ne nous appartient pas, servant uniquement de tremplin pour aller d’un point à un autre. Que l’on effleure juste sans l’éprouver vraiment. Et si l’on se réappropriait nos rues, ensemble ? 

Voici ce que nous avons identifié comme les étapes essentielles pour que la rue devienne un lieu de vie partagé, acteur incontournable de la transformation des villes de demain. 

 

Une mobilité douce pour des axes apaisés 

 

De plus en plus de municipalités à travers le monde abandonnent progressivement la priorisation de la voiture pour aller vers des modèles de mobilité hybrides, fondés sur une cohabitation de toutes les parties. Le principe ? Piétons, cyclistes, automobilistes et les autres trouvent leur place sur la voie et peuvent ainsi se la partager sans heurt. C’est par exemple le cas dans le quartier de Sant Antoni à Barcelone, où tous apprennent à se côtoyer, ce qui est notamment rendu possible par la limitation de la vitesse de tous les véhicules à 10 km/h.

Pour autant, il ne s’agit pas non plus d’additionner les modes de déplacement sans réflexion en amont, ce qui risque « d’endommager la totalité des usages » selon Alphonse Coulot, Chargé de mission à la Fabrique de la Cité. Un exemple éclairant est celui du plan Good Move à Bruxelles, qui souhaite expérimenter la spécialisation des rues plutôt que de juxtaposer les mobilités sur une seule voie et risquer ainsi des conflits par faute d’espace ou de bonne organisation. Certaines voies de la capitale seront donc dédiées aux piétons, d’autres aux voitures, d’autres aux vélos . Preuve que les possibilités sont multiples et qu’il n’existe pas qu’une façon de repenser les mobilités à l’échelle de la ville. 

L’intérêt de la mobilité douce est multiple : limiter les émissions polluantes des véhicules motorisés dans l’espace urbain, mais aussi assurer la sécurité de tous en délimitant des zones plus équilibrées et distinctes. Plusieurs villes ont notamment choisi de piétonniser les rues passant devant les écoles pour éviter tout danger pour les enfants. C’est le cas à Bolzano, en Italie, qui a instauré une « rue scolaire » dès l’année 1989 et est ainsi précurseuse en la matière. En Italie toujours, plusieurs municipalités ont mis en place des ZTL (zones à trafic limité). Dans les voies concernées, un péage est imposé sur certaines plages horaires de la journée pour les véhicules les plus polluants, lesquels sont même parfois interdits de circulation.
 

 

Grâce à ce genre d’initiatives, le rééquilibrage des espaces disponibles se met en place. A Sant Antoni, le « superblock » créé en 2017 a permis à la zone piétonne de s’agrandir de près de 135 %. Conséquence directe, la présence des piétons s’est elle aussi accrue, pour atteindre jusqu’à +44 % dans certaines zones. 

Pour accompagner ce recul de la voiture dans la ville, des alternatives existent. Jérémie Almosni, Directeur régional de l’ADEME Ile de France, souligne d’ailleurs que « l’économie servicielle » comprenant notamment le principe du covoiturage « va devenir l’une des solutions » face à la crise des prix de l’énergie actuelle. Cette orientation nécessite néanmoins une véritable volonté politique (le plan de sobriété énergétique du gouvernement annoncé le 6 octobre 2022 prévoit le versement d’une prime pour toute personne souscrivant à un service de covoiturage à partir de 2023 ), mais aussi une sensibilisation et un accompagnement ciblés vers les citoyens. 
 

Un mot d’ordre : la résilience 


Pour Perrine Prigent, conseillère municipale déléguée à la valorisation du patrimoine urbain architectural, à l'amélioration des espaces publics et à la place de l'eau à Marseille (France), la résilience, c’est la capacité de la ville à « s'adapter aux grandes évolutions à venir pour ne pas en subir les conséquences négatives ». En somme, prévoir dès aujourd’hui les transformations de demain, entre bouleversements climatiques et humains. 

Pour qu’une ville soit résiliente face à ces grands enjeux, de grands principes existent et peuvent être mis en place dès à présent. On pense notamment à la désimperméabilisation des sols, dans des espaces urbains tels que les parcs ou les cours d’écoles par exemple, ou une meilleure gestion de l’eau pour contrer l’inexorable raréfaction de cette ressource.  Autant d’actions absolument essentielles au su du réchauffement climatique et des grandes sécheresses à venir dans le monde, et qui peuvent aussi être mises en place à l’échelle de la rue. 

Pour prendre l’exemple de Marseille, dans le quartier de Noailles, plusieurs experts sont allés mesurer la température du sol avant les épisodes caniculaires de 2017, pour y relever pas moins de 60°C. Si l’on se base sur le scenario médian du premier rapport du GIEC, sans œuvrer pour rendre la ville plus résiliente, cette température pourrait atteindre 90°C en 2050. En d’autres termes, « en 2017, nous pouvions déjà faire cuire un œuf sur le sol, et en 2050, nous pourrons y faire bouillir de l’eau », image Perrine Prigent. 

Pour éviter cela, l’objectif est de rendre les rues de demain plus perméables, en intégrant les eaux pluviales et en implantant des noues ou des mares infiltrantes, par exemple. Michel Bernard, Président Directeur Général d’Infra Services, évoque les Mureaux en région parisienne, où chaque nouvel immeuble construit garde son eau sur le toit pour ses espaces verts : « ce qui nous anime, c’est le stockage et le débit de fuite par infiltration sur un temps long pour que le sol ait le temps de boire ». La situation des Mureaux nous amène à évoquer une autre marge de progression possible pour rendre la ville résiliente : celle du développement de la nature en zone urbaine.  

Végétaliser la ville 

Pour Emeline Bailly, Chercheure en urbanisme au CSTB sur les questions de qualité de vie urbaine et de nature en ville, et Lionel d’Allard, Directeur d’Equo Vivo et Urbalia, il existe 3 principaux enjeux pour renaturaliser les rues : premièrement, valoriser la nature déjà existante (parcs, jardins…) parfois délaissée, deuxièmement, concevoir la nature dans toute élaboration de projets urbains et troisièmement, renaturer les espaces urbains publics et privés, et ainsi « créer une nouvelle alliance entre la ville et la nature ». 
 

 

Plus concrètement, plusieurs recours sont possibles pour parvenir à ces trois objectifs. Parmi eux, Emeline Bailly et Lionel d’Allard citent l’emploi de matériaux qui laissent respirer la terre et ne captent pas la chaleur tels que les pavages, ou encore concevoir des venelles végétalisées pour relier les différentes rues d’une ville. 

Il est donc question ici de remettre la faune et la flore au cœur des rues et y encourager la biodiversité. Cette orientation présente non seulement un intérêt écologique, mais aussi des bénéfices directs pour les habitants. Luc Chrétien est responsable du groupe Biodiversité, aménagement et nature en ville au Cerema-est à Metz. Il insiste sur les nombreux bienfaits que peuvent apporter les arbres en ville. Parmi eux, un effet de rafraîchissement local du climat, mais aussi la régulation du régime des eaux, l’apport d’ombre et de fraîcheur naturelle pour les passants, l’attrait esthétique non négligeable… Les espaces urbains ont donc tout intérêt à se doter des bonnes essences au bon endroit ! 


Mettre les citoyens au cœur de leur habitat

 

Pour donner envie aux populations de vivre dans leurs rues comme des habitants et non plus comme de simples passagers, les questions de la participation citoyenne et de la concertation sont cruciales. Aussi, dans de nombreux exemples de villes en France et à travers le monde, la transformation des rues n’a pas reposé sur des décisions unilatérales d’élus, mais a été le fruit de discussions ouvertes avec les résidents. « Intégrer les futurs destinataires dans la conception » permet de s’assurer de « l’acceptabilité » des projets inhérents à une rue pour être certain que les changements seront bien vécus par le plus grand nombre, comme l’indique Emma Vilarem, docteure en neurosciences cognitives et psychologue, directrice et fondatrice de [S]CITY. 

On trouve plusieurs exemples inspirants de participation citoyenne à l’évolution des rues en Italie notamment. À Milan, grâce à l’application mobile SharingMi, lancée en février 2019, les habitants peuvent participer via leur smartphone au développement de leur quartier, en proposant des idées, mais aussi en répondant à des défis en ligne pour réaliser des actions vertueuses pour l’environnement dans les rues. À Turin, le projet ToNite a eu pour objectif de sécuriser les citoyens dans certains quartiers la nuit, en les interrogeant directement via des questionnaires en ligne sur leurs attentes et leurs craintes quant à des voies spécifiques. 

Parfois même, l’implication citoyenne peut aller plus loin et certains lieux deviennent des biens communs où la municipalité laisse la gestion aux mains des habitants. C’est le cas de l’Asilo à Naples, au départ immeuble à l’abandon voué à être détruit, devenu lieu culturel cogéré par plusieurs communautés volontaires. Pour Emeline Bailly du CSTB, cette notion de commun  permet de passer de la “route” où les usagers ne font que circuler à la “rue” où ils s’arrêtent et ont des interactions entre eux. Aussi, « les communs permettent une forme d’émancipation de l’acteur public et de l’administration » comme l’indique Roddy Laroche, Chef de projets à La 27e Région. 
 

Créer de nouveaux usages par l’art et le mobilier

 

Les assises, les décorations et autres animations urbaines ont un rôle important à jouer dans la façon qu’ont les habitants d’éprouver leurs lieux de passage comme leur lieu de vie.  Emma Vilarem parle notamment de ce besoin d’une « ville sensorielle », car nous avons tous des référentiels communs en termes de ressentis et sensations — par exemple, la vue de l’art ou de la nature qui nous sont bénéfiques —, et « c’est une dimension de l’expérience urbaine qui est souvent peu considérée ». 
 


Pour augmenter l’expérience des citoyens dans leurs rues, rien de tel donc que d’agrémenter ces dernières de mobilier inclusif ou d’œuvres d’art participatives ! Dans le quartier de Sant Antoni à Barcelone par exemple, du mobilier provisoire a été installé, facilement modulable et déplaçable par qui le souhaite. Une façon de faire participer les habitants à la vie des voies sur lesquelles ils passent, et leur donner davantage envie de s’y arrêter, y faire une pause. A Settimo Torinese, un quartier de Turin, les Graphic Days organisés en 2020 ont permis à tous les passants de colorer leurs rues à leur guise ou d’admirer des installations artistiques dans le but de les interpeller et les faire interagir entre eux.  

Dans le même ordre d’idées, pour Marc Aurel, Directeur artistique Studio Aurel Design Urbain, les œuvres d’art dans l’espace urbain ont pour vocation de « créer de nouvelles expériences sensorielles, visuelles et physiques ». Il prend l’exemple des colonnes de Buren dans les jardins du Palais Royal de Paris, qu’il est possible de prendre en photo, mais où l’on peut aussi monter dessus ou se cacher derrière, qui « illustrent pour [lui] parfaitement ce que devrait être notre rapport à l’art dans la ville ». Thierry Marsick, Directeur de l'Éclairage Urbain pour la Ville de Lyon, prend lui l’exemple de la fête des lumières qui a lieu chaque année dans cette municipalité, qui « provoque de l’émerveillement décuplé, […] et va au-delà de la mise en valeur d’éléments de patrimoines en travaillant sur l’espace public avec une expérience sensible. »

La mobilité douce, la résilience, la végétalisation, la concertation citoyenne, les nouveaux usages : pour créer les rues de demain, il faudra compter sur ces 5 piliers. 

 

 


 

Article written by Amandine Martinet for Construction21

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