#31 - Prendre en compte les espèces du bâti dans la construction neuve

Rédigé par

Maëva Felten

8777 Dernière modification le 04/07/2022 - 12:00
#31 - Prendre en compte les espèces du bâti dans la construction neuve

La réglementation énergétique et environnementale des bâtiments neufs, dite RE2020, vise à répondre aux enjeux énergétiques et climatiques. Il est toutefois essentiel de prendre également en compte l’effondrement de la biodiversité dénoncé par le dernier rapport de l’IPBES. Les espèces qui s’abritent et se reproduisent dans le bâti comme les oiseaux, les chauves-souris, quelques reptiles et insectes doivent être préservées et leur accueil peut être favorisé au sein des nouvelles constructions.

Certains animaux dits anthropophiles ont évolué avec les êtres-humains. Qu’il s’agisse d’oiseaux (Ex : Moineau domestique, Hirondelle rustique), de chauve-souris (Ex : Pipistrelle commune, Sérotine commune), de reptiles (Lézard des murailles, Tarente de Maurétanie) ou d’insectes (Ex : Paon du jour), ces espèces nichent, se reproduisent ou s’abritent dans nos constructions. Cela peut être dans les anfractuosités des murs (Ex : fissures, joints non bouchés), dans les cavités (Ex : trous de boulins, coffre de volet sous les tuiles) mais aussi dans les combles, greniers et caves lorsqu’un accès existe. En France, les martinets noirs se reproduisent aujourd’hui presque exclusivement dans le bâti.

La préservation de ces espèces est donc tributaire du maintien de cet habitat particulier. Or, les cavités propices disparaissent progressivement. En cause : les opérations de rénovation et l’isolation thermique par l’extérieur (venant obstruer les cavités) ainsi que la destruction de constructions anciennes pour laisser place à de nouveaux bâtiments plus performants d’un point de vue énergétique mais lisses et donc peu accueillants pour la faune sauvage.

 

Les espèces du bâti en danger

De nombreuses espèces sont ainsi en déclin en milieu urbain. Le Suivi Temporel des Oiseaux Communs a analysé les variations de l’abondance relative de certains oiseaux sur une période de 30 ans. Les espèces inféodées aux milieux bâtis ont subi une diminution moyenne de 28% entre 1989 et 2019 ; elle est de 46% pour le Martinet noir. Le Moineau domestique est également impacté, notamment en Ile-de-France où 73% de ces oiseaux parisiens auraient disparu entre 2003 et 2016, d’après une étude réalisée par la LPO et le Muséum national d’Histoire naturelle. Les principales raisons sont la disparition des sites propices à la nidification, dont les cavités, mais aussi le manque de ressources alimentaires, en particulier les insectes. Le constat est identique pour les chauves-souris, comme l’a mis en évidence le programme Vigie-Chiro (CESCO, MNHN) : 4 des 6 espèces étudiées sont en déclin, telle la Sérotine commune dont l’abondance relative a baissé de 30% entre 2006 et 2019.

Nombre de ces espèces du bâti sont pourtant protégées, ainsi que leurs habitats, par la Loi du 10 juillet 1976 relative à la protection de la nature et le Code de l’environnement (articles L 411-1 et suivants). Toute destruction de nid, y compris par l’obstruction de cavités, est donc un délit. Pourtant, ces espèces ne sont souvent pas prises en compte lors d’opération de rénovation. Il est indispensable de faire réaliser un diagnostic préalable à la réalisation de travaux afin d’identifier la présence éventuelle d’espèces protégées. Les nouvelles constructions pourront ainsi être conçues de manière à favoriser l’installation de la faune sauvage, par exemple avec des gîtes artificiels adaptés.

 

Quels aménagements ?

L’intégration de gîtes et de nichoirs dans le bâti est plus simple lorsqu’elle est réfléchie en amont du projet. Un diagnostic des espèces présentes à proximité permet de cibler les gîtes adaptés et de les disposer à la hauteur adéquate (Ex: minimum 3 mètres du sol pour les passereaux ou les chauves-souris, plus de 5 mètres pour les martinets). Une orientation sud-est est en général recommandée pour que le trou d’envol soit abrité des vents dominants. Seuls les gîtes à chauves-souris et à reptiles sont à placer vers le sud.

Il est possible de poser gîtes et nichoirs en excroissance (dans un but esthétique par exemple), de les inclure directement dans le coffrage et les murs en parpaing ou dans l’isolation thermique extérieure. Si cela est souhaité, seul le trou d’envol peut être visible.

Les gîtes et nichoirs peuvent être en bois ou en béton. Moins lourd et plus écologique, le béton de bois (mélange de ciment et de sciure) présente de nombreux avantages dont celui d’éviter la condensation à l’intérieur du nid en permettant les échanges gazeux. Ce matériau est également imperméable à l’eau, thermoactif, imputrescible et robuste, avec une durée de vie supérieure à 30 ans. Les nichoirs en béton de bois s’intègrent harmonieusement dans le bâti et peuvent être peints ou enduits comme le mur sur lequel ils sont posés.

 

Eviter les ponts thermiques

L’inclusion dans le coffrage d’une réserve en vue de la pose d’un nichoir intégré est susceptible de provoquer localement un point froid, qui peut être évité. Une réserve plus grande dans le coffrage permet d’intercaler un isolant thermique entre le béton et le nichoir, évitant le pont thermique. Si l’isolation se fait par l’extérieur, le nichoir peut être complètement intégré dans le mur avec un conduit de la même longueur que l’épaisseur de l’isolant menant à l’intérieur du nichoir. Il est possible également d’insérer un isolant à l’arrière du nichoir lorsque celui-ci est totalement intégré dans l’isolation. Cela implique de travailler sur la profondeur du nichoir, tout en respectant le volume nécessaire spécifique à l’espèce.

 

Retours d’expérience

 

 

Toulon : Aux côtés de la LPO PACA, la ville de Toulon s’investit dans la préservation des martinets, très présents en centre-ville. Plusieurs bâtiments neufs, dont ceux des quartiers de Chalucet et de Montéty, comportent des nichoirs intégrés. Réalisé en 2020, le bâtiment Allègre du Conseil Départemental du Var en compte 20. Ils ont été coulés dans le béton et comprennent des conduits d’accès au travers de l’isolation extérieure. Les différents éléments ont été réalisés par la start-up Nat’Harmonie. Dans le quartier de Montéty, les nichoirs ont été en partie pris dans le béton et dans l’isolation extérieure. Toulon figure parmi les lauréats du concours Capitale française de la Biodiversité 2018, pour la protection des nids de martinets dans le bâti. Le label Bâtiments Durables Méditerranéens (BDM) a également été décerné à certaines de ces constructions.


 

 

Mignaloux-Beauvoir : Dans cette commune de la Vienne, l’équipe municipale, les entreprises et la LPO Poitou-Charentes ont collaboré pour réaliser un bâtiment-nichoir : l’espace jeune de la commune. La plupart des cavités aménagées sont discrètes car moulées dans les murs de béton et cachées derrière le bardage ou dans le toit du bâtiment. Les autres nichoirs sont volontairement visibles. Ces aménagements peuvent accueillir de nombreuses espèces comme les mésanges, les moineaux, les rougequeues noirs, les martinets noirs ou les chauves-souris. Un suivi du taux d’occupation des nichoirs a été réalisé jusqu’en 2012. Les nichoirs sous bardage et à Martinets noir étaient utilisés respectivement à 80% et à 100% (à 50% pour la nidification).

 

Le verre, un danger à neutraliser

 

De par ses caractéristiques (transparence, réflexion, …), le verre offre un avantage thermique et visuel et permet de limiter la consommation d’éclairage artificiel, ce qui en fait un matériau incontournable pour la rénovation et la construction neuve. Les bâtiments récents comportent souvent de grandes surfaces vitrées potentiellement dangereuses pour l’avifaune car la transparence et la réflexion d’éléments de nature sont responsables de collisions souvent mortelles. Il serait regrettable d’intégrer des nichoirs au bâtiment sans prendre en compte ces risques, d’autant plus qu’il existe des solutions afin que ces surfaces soient identifiables par les oiseaux. Les vitres peuvent être sérigraphiées, nervurées ou cannelées. Les motifs doivent être espacés d’une paume de main au maximum. Le degré de réflexion du verre doit être inférieur à 15%. Des producteurs se sont spécialisés dans la réalisation de verres réduisant le risque de collisions comme Glas Trösch (produits SILVERSTAR BIRDprotect), Pilkington (verre Pilkington AviSafe™), ou Saint Gobain (verre PICTUREit, serigraphié). Certains de ces verres peuvent être combinés avec des revêtements d’isolation thermique ou de protection solaire.

 

 

Il est aujourd’hui crucial de prendre en compte les espèces du bâti afin d’enrayer leur déclin progressif. L’ensemble des acteurs de l’aménagement urbain ont un rôle à jouer. Des solutions existent pour conserver et créer des habitats favorables à la faune sauvage sans nuire à la performance énergétique de nos bâtiments. La RE2020 sera accompagnée d’un label d’Etat dont les objectifs sont de valoriser les bâtiments qui prendront de l’avance sur les étapes de la réglementation ainsi que la capacité des concepteurs à innover, notamment sur des thématiques non abordées comme la biodiversité. Des indicateurs permettront ainsi d’évaluer la contribution des acteurs de l’aménagement urbain à la préservation mais aussi à l’enrichissement de la biodiversité.

Le programme « Nature en ville » de la LPO existe depuis 10 ans. En favorisant les échanges avec une grande diversité de professionnels de l’aménagement urbain, il a permis de construire une expertise face aux défis du développement urbain durable et de développer des réponses très concrètes pour protéger les espèces du bâti.

 

Un article signé Maëva Felten, responsable du programme « Nature en ville » de la Ligue pour la protection des oiseaux.

 


Article suivant : Publication le 05/07

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