#26 - La rénovation énergétique : quelle place pour les usagers ?

Rédigé par

Arnaud Alavant

Président

3649 Dernière modification le 30/09/2021 - 12:51
#26 - La rénovation énergétique : quelle place pour les usagers ?

La rénovation énergétique n’est pas une fin en soi. Ce que nous voulons, c’est le confort, des bâtiments plus pérennes, plus beaux, etc., au moindre coût. Les réponses techniques ne sont donc que des solutions, des moyens, qu’il faut donc adapter aux objectifs. Or, ceux-ci ne peuvent être interchangeables d’une opération à l’autre, d’un utilisateur à l’autre, d’un habitant à l’autre, tout simplement parce que les habitudes de chacun sont différentes.

La rénovation énergétique doit alors être accompagnée d’une véritable démarche de programmation architecturale permettant une juste objectivation, et donc une bonne adéquation entre les solutions techniques et la réalité des personnes qui vivront ou vivent déjà dans les locaux concernés.

De la définition du besoin en rénovation énergétique

Nous sommes-nous posés cette question : Que cherche-t-on ? Un gain énergétique ? Une amélioration d’un critère dans une note de calculs ? Un seuil de consommation énergétique ? Le but c’est le confort,la technique n’est pas un objectif. L’un des points fondamentaux, et celui que nous développerons, c’est de savoir « Pour Qui Rénover ? ». En effet, si nous rénovons uniquement pour un calcul patrimonial, en ne travaillant que sur du chiffre alors, c’est simple, c’est comptable, amortissable, linéaire… C’est important, mais ce n’est pas l’essentiel, car si les chiffres servent à quantifier, ils oublient l’essentiel : l’humain. Si nous devons rénover, ce n’est pas non plus pour un enjeu climatique  aussi important soit-il, mais bien pour le Droit fondamental de nos concitoyens, celui de l’habitat Digne.

De la précarité énergétique

 

Le droit à un logement convenable a été reconnu comme faisant partie intégrante du droit à un niveau de vie suffisant dans la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 et dans le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels de 1966. La jurisprudence récurrente de la Cour Européenne des Droits de l’Homme vient conforter la règle.

Cela explique notamment pourquoi la notion de « précarité énergétique » a été développée. Celle-ci vient mettre en relation le service (le chauffage, l’isolation, le confort thermique, la qualité sanitaire des espaces) et le coût de ce service. Si ce rapport est défavorable à l’occupant, on parle de précarité. La rénovation est donc un enjeu de Dignité envers nos concitoyens.

L’économie théorique n’est parfois que théorique

Notre exemple vit seul dans une petite maison de 70m² qu’elle habite depuis des dizaines d’années. Sa maison date des années 60, menuiseries simple vitrage sans isolant et construite en parpaings. La pièce principale est chauffée via une cuisinière au bois, les 2 chambres et la salle de bain ne le sont pas. Elle consomme 4 stères par an pour son chauffage. Un cumulus électrique produit de l’eau chaude pour la petite maisonnée.

Un jour, elle reçoit un appel inquiétant lui demandant comment sont les fenêtres de sa maison, son isolation. Un conseiller se déplace afin de faire un bilan Energétique. La note tombe : Classe F. Comme elle n’est pas imposable, de nombreuses aides financières vont lui permettre de financer l’opération avec un reste à charge très faible de 50€/mois sur 10 ans. Au programme : Isolation extérieure, changement des menuiseries pour du PVC, ventilation double flux, pompe à chaleur Air/eau avec pose de radiateurs.

L’interlocuteur était sérieux, au bout de 6 mois tout est finalisé, mais elle ne reconnaît plus sa maison. Elle n’entend plus la rue, elle n’a plus sa cuisinière au bois, elle ne comprend plus tous les boutons du chauffage, etc… Elle a l’impression que la maison est plus sombre, effet tunnel de l’ITE associé aux montants très large du PVC…

Mais lui a-t-on demandé ce qu’elle voulait ? Ce qu’elle ressentait ? Et quid du coût carbone à long terme de ces travaux, la consommation initiale étant presque nulle ?

Une installation technique sans pédagogie, implication ou formation des utilisateurs ne portera pas les effets attendus et pourrait même conduire à un effet rebond, car, la technique est très gourmande en matières premières rares… sans parler de notre déficit commercial, ces produits étant essentiellement fabriqués ailleurs !

La rénovation énergétique au-delà de la programmation architecturale, environnementale et technique

Si nous considérons le critère humain comme essentiel, la réponse ne peut plus être seulement technique (isolation, ventilation, chauffage, etc.). La dignité passe par une implication des occupants, leur droit à participer à cette rénovation, que ce soit par leur participation à la définition des objectifs, par leur formation et leur bonne compréhension des enjeux et des bonnes méthodes.

En deux mots : la programmation de la rénovation ne peut pas être que technique, elle doit également être fonctionnelle en intégrant notamment la question du bon usage, et donc la question humaine. Car, au-delà de l’économie d’énergie et/ou de  coût carbone, les besoins à court, moyen et long termes doivent également être envisagés.

L’exemple pris plus haut est symptomatique d’une rénovation ne prenant en compte que le seul point de vue technique. Et même si celui-ci est utile, à quoi sert d’installer une ventilation double flux si le fait de dormir la fenêtre ouverte, été comme hiver, divise le rendement par 5 ? Nous ne disons bien sûr pas que la solution est inutile, mais si elle est mal comprise, et donc mal utilisée, ou si elle n’est pas désactivable au besoin, elle peut le devenir. Et il en va de même pour les bâtiments tertiaires quand des portes sont coincées avec des chaises pour créer des courants d’air, pour pallier au contrôle d’accès le temps de la pause cigarette, ou toute autre astuce des occupants / utilisateurs reprenant leurs droits.

Alors, que faire ?

Deux points semblent essentiels :

Une rénovation ne peut pas être UNIQUEMENT énergétique, de la même façon qu’elle ne peut pas être UNIQUEMENT architecturale sans penser au confort des habitants et utilisateurs. Par conséquent, la question de la concertation, qu’elle soit vue ou non comme prédominante dans la démarche de programmation architecturale[1], doit en effet être étudiée pour toute opération. Pour plusieurs raisons :

  • Tout le monde ne vit pas de la même façon et n’a pas les mêmes besoins. Pour s’en convaincre, il suffit de voir les habitants ou utilisateurs d’un même bâtiment ouvrir la fenêtre ou, inversement, se plaindre du froid, selon les habitudes et sensibilités.
  • Tout équipement non compris et non intégré sera mal utilisé, voire pas utilisé du tout, et donc risquera donc d’être  dévoyé (ventilation double-flux, plafonds rayonnants, etc.).

Pour une personnalisation des logements.

Les logements doivent être, encore plus qu’auparavant, adaptables aux usages de chacun. C’est-à-dire que tout occupant doit pouvoir s’en servir de la façon dont il le souhaite, sans nuire à ses voisins ou aux consommations énergétiques de l’ensemble de l’immeuble. Chaque logement doit être librement paramétrable, chaque habitant doit donc avoir été formé aux usages et à la manipulation, nécessairement simple et intuitive, des organes de gestion. Nous appelons alors à une réelle personnalisation des logements, loin de la production en série ou très formatée qui est depuis longtemps la règle.

Est-ce possible ?

Cela est bien sûr loin d’être évident ! Et cela l’est encore moins si nous continuons sur le chemin de l’actuelle surenchère technologique qui a envahi les bâtiments et la ville. Ou plutôt, cela est possible si ces compteurs, régulateurs, thermostats et écrans divers sont installés en cohérence avec les besoins. S’ils participent au confort des habitants et sont TRÈS aisément appropriables, personnalisables, ils seront compris et utilisés.

Conclusion

Nous pensons donc qu’une opération de rénovation énergétique  doit s’appuyer sur deux principes cohérents :

  • Si le mètre carré le moins cher à construire, à faire fonctionner et à entretenir est celui que nous ne construisons pas[2], une démarche de programmation architecturale permettra d’optimiser au mieux les espaces (et donc de les limiter), et surtout d’utiliser les apports de la sociologie et des retours d’expériences variés facilitant l’appropriation des équipements par les habitants ;
  • Cette démarche permettra également de limiter les équipements à ceux qui seront utiles aux usages, en plein accord avec les enjeux frugalité de la construction et souvent les enjeux d’une démarche low tech, refusant les installations inutiles qui pourraient être remplacées par des systèmes inactifs (par exemple, une bonne inertie thermique au lieu d’une ventilation double-flux voir d’une climatisation, ou bien encore des volets battants ou coulissants plutôt que des volets roulants électriques nécessitant entretien et énergie).

La ville durable passe plus par la prise en compte des besoins que par une addition de solutions non sollicitées et donc souvent non comprises.

La rénovation passera par l’Humain pour l’Humain.

 

Un article signé Arnaud ALAVANT, président d’Aedificem et Aymeric THOMAS, gérant de Moebius Développement

https://www.aedificem.fr/

https://www.linkedin.com/in/mobius-developpement/

 


[1] Voir à ce propos l’intéressante thèse de Yasmina Dris (2021), qui pose la question de la concertation comme le grand point de divergence entre programmistes, certains en faisant une étape indispensable et incontournable d’une démarche de programmation architecturale, et d’autres ne l’envisageant que comme un outil de recueil des besoins.

[2] Voir à ce propos le récent ouvrage  Démarches de programmation architecturales (sous la coordination d’E. Redoutey et G. Pinot), éditions du Moniteur, 2021.


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