#15 Construction durable, abordable et confortable dans les pays tropicaux: Conférence LETCHI

Rédigé par

Brahmanand Mohanty

9789 Dernière modification le 06/09/2019 - 11:42
#15 Construction durable, abordable et confortable dans les pays tropicaux: Conférence LETCHI

Depuis la COP21 organisée à Paris en 2015, l’Alliance Mondiale pour les Bâtiments et la Construction (Global Alliance for Buildings and Construction - GABC) agit pour des bâtiments efficaces, résilients et à émission zéro. La France étant un membre important, l’ADEME s’est tout de suite penchée vers les pays tropicaux (en particulier l’Asie de l’Est), connaissant depuis plusieurs décennies les taux de croissance démographique et économique les plus élevés du monde. C’est dans ces pays où il y avait le plus de nécessité de changer le mode de construction. M.Mohanty, participant à la conférence LETCHI organisée par l’ADEME cette année à Kuala Lampur, nous présente les stratégies mises en place afin d’encourager la construction durable et abordable dans les pays tropicaux.        

Un défi pour le climat

Actuellement, 40% de la population mondiale vit en zone tropicale. En 2060, ce chiffre atteindra 60%. Les émissions de gaz à effet de serre (GES) dans les zones tropicales devraient au moins quadrupler en 2030 par rapport aux débuts des années 2000.

Aujourd'hui, dans les pays tropicaux, la plupart des nouveaux bâtiments (tant résidentiels que tertiaires) sont construits sans considération particulière du contexte climatique local : cela entraîne une consommation d'énergie excessive pour compenser l'inconfort causé par la chaleur et l’humidité. De plus, les réglementations sur la performance énergétique des bâtiments résidentiels et les mesures d'efficacité énergétique et de confort pendant la phase de conception sont relativement peu développées dans la plupart de ces pays.

La zone tropicale est également confrontée à une urbanisation sans précédent. Les villes concernées sont devenues plus denses, ce qui a entraîné une augmentation de la surface construite, un manque d'espaces verts et de circulation de l'air et une réduction importante de la perméabilité des sols. Les îlots de chaleur urbains augmentent les températures d'au moins 6 degrés en ville, ce qui encourage évidemment l'utilisation de la climatisation (solution coûteuse et réchauffant l’environnement extérieur) et réduit les possibilités de recourir à la ventilation naturelle.  

Si nous voulons atteindre l’objectif fixé par la COP21 et limiter le réchauffement mondial entre 1,5 °C et 2 °C d’ici 2100, la conception des bâtiments dans les zones tropicales requiert une attention particulière.

 

 

Le développement d’un réseau d’experts

En 2015, l'ADEME et ses partenaires ont lancé le projet LETCHI – Low Energy in Tropical Climate for Housing Innovation - qui s’insère dans la Global Alliance for Buildings and Construction, initiée par la France dans le cadre de la COP 21.

Il a été créé pour trouver des solutions et optimiser l'efficacité énergétique et le confort des bâtiments et des logements dans les pays tropicaux. Il vise à promouvoir les principes de la conception architecturale adaptés au climat local, le choix des matériaux biosourcés, dans le but d'adapter les principes bioclimatiques de l'architecture vernaculaire aux exigences actuelles et aux normes architecturales mondiales. Des experts de France (Ile de la Réunion), d'Inde, du Sri Lanka, de Thaïlande, du Vietnam, de Malaisie, d'Indonésie, de Singapour et d'Afrique de l'Est se sont réunis en juin pour partager leurs expériences et leur expertise, démontrant ainsi la faisabilité de la construction de bâtiments résidentiels bioclimatiques passifs à haute efficacité énergétique, fournissant un réel confort thermique à coût abordable.

 

Un changement de mentalité

« Le premier objectif de la conférence était d’inspirer les professionnels du BTP à suivre une démarche adéquate à l’environnement local. Etonnamment, l’essentiel du travail réside non pas dans l’implémentation des technologies, mais dans la persuasion de construire autrement.  Aujourd’hui, dans de plus en plus de villes en Asie du Sud, on construit par exemple des bâtiments en verre, ce qui est vu comme un symbole du modernisme. Sauf que ce type de bâtiments vitrés n’est tout simplement pas adapté au climat tropical, chaud et humide. Bien qu’ils soient esthétiques, ils laissent passer la lumière mais aussi la chaleur, ce qui oblige les gens à fermer les rideaux pendant la journée pour conserver la fraicheur des pièces (ainsi que pour préserver l’intimité). Ces personnes doivent souvent utiliser l’éclairage artificiel en journée, ce qui est évidement absurde. En construction durable, on peut utiliser des vitres spéciales qui font entrer lumière et pas la chaleur (double ou triple glazing, selective surface glazing) mais elles sont plus onéreuses.                            

 

Outre l’éclairage, vient le problème de la climatisation. Un réel effort est à faire du fait de l’impact écologique de ce système. En tant que professionnels, nous avons un rôle à jouer pour convaincre que l’on peut être moderne en habitant un logement bioclimatique dépourvu de systèmes coûteux et polluants. La conception d’un tel type de logement (voir ci-après les stratégies de conception) diminue fortement le besoin de climatisation puisque la ventilation naturelle est favorisée. D’ailleurs, il faut savoir distinguer entre vouloir climatiser et avoir besoin de climatiser : il ne faut pas que l’installation et l’utilisation deviennent automatique.  Par ailleurs l’argument économique et environnemental, il faut mentionner les inconvénients pour la santé puisque les bactéries ont tendance à se développer dans l’humidité des tuyaux de climatisation.

Le problème du surcoût de la construction durable est souvent évoqué, car la construction durable est communément envisagée comme une construction « classique », sur la base de laquelle s’ajoutent ou se transforment certains éléments techniques afin d’améliorer la performance finale du bâtiment. La construction durable est donc souvent vue comme un choix de luxe, forcément plus onéreuse. Un de nos objectifs était d’inverser cette tendance. Souhaitant agir dans des pays en voie de développement, nous avions conscience que l’argument écologique ne sera pas suffisant et qu’il fallait proposer des solutions de construction au même prix, voire moins chères que celles existantes aujourd’hui.

Les candidats à la construction mal informés ont des données concernant les avantages des maisons économes bioclimatiques qui restent très abstraites et ne sont pas encore prêts pour l’instant à payer des suppléments non justifiés dans leur esprit. C’est pour cela qu’il fallait bien souligner le côté low cost des solutions que nous souhaitons mettre en place, qui consistent à optimiser l’usage des sources à disposition.                                                   

Les changements ne s’effectuent jamais dans les pays émergents en imposant des règlementations. Il faut savoir convaincre, inspirer et encourager les personnes à adopter les bonnes pratiques... Cette démarche ne concerne d’ailleurs pas uniquement le monde du bâtiment, il y a bien une dimension sociale. Prenons l’exemple des costumes que les employés mettent pour aller au travail, absolument pas adaptés à la chaleur tropicale. Il faut arrêter de copier les habitudes occidentales ! Les gouvernements ont donc un rôle à jouer pour dénoncer les mauvaises pratiques et changer certaines mentalités.  Qui changera : nous ou le climat ? »

 

Stratégies bioclimatiques

On parle de conception bioclimatique lorsque l’architecture du projet est adaptée en fonction des caractéristiques et particularités du lieu d’implantation, afin d’en tirer le bénéfice des avantages et de se prémunir des désavantages et contraintes. L’objectif principal est d’obtenir le confort d’ambiance recherché de manière la plus naturelle possible en utilisant les moyens architecturaux, les énergies renouvelables disponibles et en utilisant le moins possible les moyens techniques mécanisés et les énergies extérieures au site. D’ailleurs, pendant la conférence, on a parlé de « bâtiment à basse consommation» et pas de « bas carbone » car ce sont les pays industrialisés qui émettent le plus de carbone par rapport aux pays tropicaux…

-Les bâtiments ont un impact sur l'environnement à deux échelles principales: l'énergie liée à leur usage (chauffage, climatisation, éclairage, eau chaude, etc.) et les matériaux de construction (production, transport…). Le choix des matériaux est donc important pour l'empreinte environnementale globale du bâtiment.
Afin de construire avec un impact environnemental et socio-économique moindre, les matériaux de construction locaux et biosourcés sont bien positionnés pour offrir une gamme de solutions efficaces (efficacité énergétique, confort, santé, etc.) dans les zones tropicales.
Sans recourir à une isolation importée, ces matériaux peuvent également stimuler le développement local, créer des emplois et réduire les besoins en transport.

-Dans un climat tropical, la ventilation naturelle est la solution la plus économe en énergie pour créer des conditions de logement confortables. Le principe de base consiste à disposer des portes et des fenêtres sur plusieurs façades, idéalement opposées pour permettre une ventilation transversale. Les architectes doivent donc orienter les bâtiments en fonction des vents dominants. 

Nous considérons que la température maximale acceptable augmente avec des vitesses de l'air plus élevées. Pour des vitesses de l'air d'environ 1,5 à 2 m/s, la température maximale confortable est d'environ 30 degrés: la ventilation naturelle crée des conditions propices au confort thermique des occupants, à condition que l'humidité ne soit pas trop élevée.

Toutefois, dans certaines régions au climat tropical humide, la ventilation naturelle ne suffit pas toujours pour répondre aux exigences du confort thermique. Dans ce cas, les ventilateurs peuvent créer mécaniquement ce mouvement d’air pour un coût énergétique très bas, tandis que le système de climatisation doit être le dernier recours.

-Pour qu'un bâtiment fournisse un confort thermique, il faut résoudre le problème des îlots de chaleur urbains. La création d'un microclimat autour du bâtiment est nécessaire pour accompagner la ventilation naturelle. La végétation aux abords du bâtiment aide à atténuer les effets des îlots de chaleur. Dans les régions tropicales, où les pluies sont souvent abondantes (moussons, ouragans, etc.), il est important d’augmenter la perméabilité du sol afin de prévenir les risques d’inondation. A titre expérimental, des mesures ont été prises sur un ensemble de bâtiments résidentiels et tertiaires à La Réunion pour démontrer l'impact de la végétation sur le confort thermique. Le projet était situé au centre-ville et des zones tampons ont été créées entre la rue et les pièces à vivre à l'aide d'une double façade composée de bandes de bois horizontales et d'espaces de jardin. Les mesures du jour le plus chaud de l'année montrent que les températures dans la rue, à l'ombre, ont atteint 38 °C. L'adoption de la végétation a réduit cette valeur à 32 °C dans des zones naturellement ventilées.

-L’orientation d’un bâtiment est non seulement importante favoriser la circulation du vent, mais également essentielle pour éviter les rayons directs du soleil. La chaleur étant maximale le matin et l’après-midi, on va privilégier les façades au Nord / Sud (moins ensoleillée) plutôt qu’à l’Est/Ouest. La conception nécessite ainsi de trouver le bon compromis entre les vents dominants (ventilation naturelle) et l'orientation du bâtiment (exposition au soleil). Dans les climats tropicaux, le toit est l’élément principal d’un bâtiment pour protéger, divers types  sont donc proposés, notamment les doubles toits ventilés pour créer de l’ombre et les toits verts. Les façades (fenêtres, ouvertures et murs) doivent également être protégées du rayonnement solaire : il est crucial de considérer l'ombrage sur les façades grâce aux protections solaires.

-Les énergies renouvelables peuvent produire de l’électricité et de l’eau chaude domestique à un coût relativement bas et avec un faible impact sur l’environnement.
Des études ont montré une faible utilisation d'énergies renouvelables (en particulier pour la production d'eau chaude sanitaire), qui est dommage surtout dans des pays ensoleillés en Afrique tropicale. L'utilisation d'énergies renouvelables doit au minimum être considérée comme une option potentielle lors de la réalisation d'études de conception pour des bâtiments.

Moyens de sensibilisations mis en place par LETCHI

Un MOOC sur la construction durable dans les zones tropicales a été proposé par l’ADEME en Français.  Les experts du réseau LETCHI ont adapté la formation en anglais en 2019, qui est maintenant disponible pour les pays d'Asie et d'Afrique de l'Est. 

D’autre part, un site a été créé spécialement pour présenter des études de cas de  bâtiments « exemplaires », qui pourraient inspirer les professionnels du secteur. Des projets de divers pays tropicaux font partie de ce projet, notamment en Inde, au Sri Lanka, à la Réunion, au Vietnam et en Thaïlande. Les stratégies bioclimatiques utilisées dans ces derniers sont illustrées et sont tout à fait reproductibles.

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