#11 - SIRIUS : un outil innovant pour un diagnostic précis des enjeux de la surchauffe urbaine

Rédigé par

Jonathan VILLOT

Maître-Assistant

4986 Dernière modification le 06/12/2021 - 12:00
#11 - SIRIUS : un outil innovant pour un diagnostic précis des enjeux de la surchauffe urbaine

Depuis plusieurs années, la question de l’adaptation des territoires face aux vagues de chaleur constitue une problématique grandissante pour les acteurs locaux. Plus particulièrement, l’augmentation des occurrences de phénomènes extrêmes tels que les canicules fait peser sur les habitants et les infrastructures des villes une menace de plus en plus importante. Il devient alors pressant pour les acteurs de travailler sur la résilience de leur territoire pour l’adapter aux effets du changement climatique.

L’ICU ou ilot de chaleur urbain

En terme simple, l’Ilot de Chaleur Urbain ou ICU caractérise un écart de température observable entre le centre d’un pôle urbain et la campagne environnante. En effet, les zones urbaines par leur forme (rue en forme de canyon), les matériaux qui y sont présents (bitume, béton, pierre, …), la plus ou moins grande présence de végétation, tendent à augmenter la température ressentie durant la journée et à la conserver durant la période nocturne. Ce phénomène, et plus encore en période caniculaire, génère de nombreux effets délétères pour les populations : augmentation de la pollution, disparition de certains végétaux et donc d’espaces de fraicheur, surmortalité, …

En conséquence, et face à l’augmentation programmée de ces canicules (cf. dernier rapport du GIEC), une question cruciale se pose : pourra-t-on encore vivre confortablement en ville en été dans les prochaines années ?

Nos villes ne sont pas prêtes !

Ne nous y trompons pas, en 2021, les villes françaises de manière générale ne sont pas pensées pour « résister » aux canicules ! En effet, au cours du XXIème siècle, ni la fréquence, ni la durée des vagues de chaleur en Europe n’ont ébranlé significativement le fonctionnement des villes. Cet état de fait a cependant été remis en cause lors de la canicule de 2003, particulièrement exceptionnelle par sa durée et son intensité. Le constat étant sans appel : plus de 19000 morts supplémentaires sur quelques semaines.

Mais ce qui était perçu comme une exception semble devenir la règle (Figure 1) et certaines projections climatiques rappellent que si rien n’est fait en termes d’émissions de gaz à effet de serre (GES), un doublement de la fréquence et de la durée des canicules deviendra une réalité.

Figure 1 : Vagues de chaleur observées par  intensité et durée en France entre 1947 et 2019 – Source Météo France

Il devient donc urgent d’agir ! En premier lieu, et rappelons-le, il faut tout d’abord respecter les objectifs d’émissions de CO2. Cependant et comme le précise le dernier rapport du GIEC, quels que soient les futurs envisagés, un réchauffement global semble inévitable, de ce fait, l’adaptation des villes est inéluctable.

Adaptons, adaptons, … mais par où commencer ?

Comme le rappelle l’ADEME dans son rapport sur la surchauffe urbaine, « afin de mettre en place des actions de rafraichissement urbain adaptées à chaque contexte, il est nécessaire d’établir un diagnostic pour déterminer les enjeux liés à la chaleur urbaine. »

En effet, pour savoir où l’on va, encore faudrait-il savoir d’où l’on vient. Au sein de U.R.B.S., nous pensons qu’une démarche de diagnostic urbain doit pouvoir se reposer sur un outil répondant à un ensemble de prérequis et ce, afin d’identifier les zones sur lesquelles agir. Ces prérequis sont au nombre de quatre :

  1. Tout diagnostic doit être réalisé à l’échelle de l’intercommunalité et ce, afin de pouvoir être compatible avec les plans locaux de l’urbanisme et le niveau d’action des acteurs du territoire. En effet, si le PLU est intercommunal et souhaite intégrer, lors de sa révision, la problématique de la surchauffe urbaine, la méthode utilisée doit pouvoir diagnostiquer le territoire dans sa globalité et pas uniquement quelques quartiers.
  2. L’échelle du diagnostic ne doit pas être sacrifiée au profit de la précision/résolution de l’analyse. En d’autres termes, même si le diagnostic est réalisé sur l’ensemble de l’intercommunalité, l’analyse doit, avec le même outil, pouvoir être réduite à l’échelle d’une rue ou d’une parcelle cadastrée.
  3. Une analyse quantitative doit être privilégiée, pour prendre en compte l’évaluation de la température de l’air ET de la surface.
  4. La seule caractérisation des ICU ne permet pas d’identifier des zones à enjeux. La vulnérabilité du bâti (capacité à protéger les habitants) et la fragilité des populations doivent être intégrées dès l’origine de l’analyse (et non en complément optionnel).

Au regard de ces prérequis, il convient donc d’analyser la diversité des outils disponibles à ce jour et accessible aux décideurs des territoires. Ceci afin d’analyser leur positionnement, ainsi que leurs forces et limites.

Les outils et méthodes de diagnostics

Les méthodes et outils de diagnostics des ICU se sont développés depuis plusieurs années afin de répondre aux attentes des acteurs de la ville. La diversité ainsi que les forces et limites de ces méthodes peuvent être analysées selon plusieurs paramètres dont : l’échelle d’analyse, la résolution, la technicité, ou encore le coût de réalisation. Parmi ces approches, il existe deux grandes typologies : les méthodes par mesure et les modèles. Le tableau 1 inspiré du rapport de l’ADEME sur la surchauffe urbaine résume les principaux éléments de ces différentes approches.

Toutes ces méthodes visent à qualifier ou quantifier l’effet d’îlot de chaleur au travers d’évaluations de la température de l’air, des surfaces ou par la création de classes, interprétées comme autant d’indicateurs qualitatifs du climat urbain. En ce sens, ces méthodes et outils permettent d’identifier un aléa mais n’apportent aucune information sur les aspects de vulnérabilité. De nombreuses études démontrent que les canicules et les ilots de chaleur impactent différemment les populations selon leurs caractéristiques sociologiques ou selon les paramètres techniques des bâtiments dans lesquels elles vivent. Le tableau 2 résume les paramètres pouvant influencer la surmortalité des populations selon des dimensions socioéconomiques et techniques. Apparaît, au regard de ces éléments, la nécessité absolue de qualifier les zones à enjeux de manière adéquate pour réaliser une analyse de la vulnérabilité des territoires sur l’ensemble de ces dimensions (ICU et fragilité des population), et ce, afin d’identifier les véritables zones à enjeux et non uniquement les zones les plus chaudes !

Famille Type Echelle Résolution Coût Durée Forces

Limites

Mesure Télédétection Ville - Quartier Décamétrique 10-50k € < 1 mois Résultats visuels. Idéal pour la sensibilisation du grand public Températures de surface uniquement. Evolutions temporelles difficiles à analyser
Mesure Capteurs Ville - Quartier Ponctuelle (sauf si données interpolées) - métriques 10-50k € > 3 mois Mesure réelle de la température de l’air
Données temporalisées (sauf en cas de campagne ponctuelle de mesure (ex : transect à vélo)
Nécessite une étude préalable (ex : LCZ) pour le choix des zones d’implantation
Coût de maintien des capteurs dans le temps
Maillage dense nécessaire pour une représentativité du territoire
Modèle LCZ Ville - Quartier 100 à 500 m < 10k € < 1 mois Rapidité de mise en œuvre
Déployable sur de grands territoires
Résolution faible tendant à uniformiser les zones urbaines denses (LCZ 2, 3)
Pas de prise en compte des vents ou du relief
Modèle Simulation Rue - Quartier - Ville Du mètre au kilomètre > 50k € > 3 mois Diversité d’outils de simulation permettant une pluralité d’analyse à différentes échelles et résolutions
Capacité à simuler des états prospectifs
Echelle d’analyse inversement proportionnelle à la résolution
Nécessite une ingénierie qualifiée
Nombre de simulations souvent limité (ou surcoût à prévoir)

Tableau 1 : Typologie de méthodes et outils pour la caractérisation du phénomène d’ICU (information issue du rapport « Diagnostic  de la Surchauffe urbaine » de l’ADEME

Dimension Paramètre
Socio-économique Age ; sexe ; taux de pauvreté ; isolement social ; obésité ; maladies chroniques ; niveau d’éducation ; connaissance de la langue du  pays ; …
Technique Niveau d’isolation du bâtiment ; inertie ; âge du bâtiment ; présence de climatiseur ; taux de vitrage, orientation, …

Tableau 2 : Paramètre influençant la surmortalité des populations durant les périodes caniculaires

 

Au regard de cette analyse, aucun outil à notre connaissance ne semble répondre à l’ensemble des problématiques des acteurs ainsi qu’aux 4 prérequis présentés plus tôt. Seul le couplage d’outils permet de s’en rapprocher. Or, l’absence d’interopérabilité entre outils (selon les échelles ou les objectifs) rend complexe la réalisation d’un diagnostic complet et précis à une échelle territoriale. De plus la multiplication des méthodes tend à augmenter de manière importante les coûts d’étude ainsi que la durée de réalisation du diagnostic. Pour résoudre cet épineux problème, URBS a développé un nouvel outil dénommé SIRIUS.

Sirius, pour un diagnostic complet et précis des ICU

Afin de caractériser les enjeux de la surchauffe urbaine, nous avons développé depuis plus d’un an et en partenariat avec Mines Saint-Etienne un outil de caractérisation des ICU.

SIRIUS est basé sur un modèle physique permettant de caractériser les températures de surface et de l’air à un résolution métrique tout en ayant la capacité de diagnostiquer les ICU à des échelles métropolitaines. Le modèle, dont les fondements méthodologiques ont été validés dans la revue Urban Climate, fournit pour chaque maille de 5x5m d’un territoire les températures modélisées pour les 24 heures d’une journée caniculaire (2003, 2020, 2019).

Permettant d’intégrer l’ensemble des paramètres inhérents au milieu urbain que sont la morphologie, l’albedo, la végétation, ou encore l’ensoleillement, cet outil propose aux décideurs d’identifier en quelques secondes les ICU et leur intensité à toutes les échelles d’analyse (Cf. Figure 2 et 3). Un classement des parcelles cadastrales les plus impactées peut par exemple être instantanément obtenu, permettant une priorisation des zones les plus sujettes aux effets de la surchauffe urbaine.

Figure 2 : Caractérisation d’un indice ICU à une maille de 5x5m

Figure 3 : Fusion à la parcelle des indices ICU moyennés

Nativement interopérable avec l’observatoire de l’habitat IMOPE

Afin de permettre un couplage des données sur les ICU aux questions de vulnérabilité du parc bâti et à la fragilité des populations, SIRIUS est nativement interopérable avec l’outil IMOPE, premier observatoire opérationnel de l’habitat résidentiel en France (www.imope.fr).

IMOPE regroupe l’ensemble des données sur le parc bâti français incluant les paramètres techniques des bâtiments (inertie, énergie reçue par le bâtiment, niveau de performance énergétique, …) mais aussi sociologiques des habitants (âge des habitants, niveau de revenu moyen, typologie de propriétaires, …) (Cf. Figure 4)

Figure 4 : Représentation de l'interface IMOPE, observatoire complet de l'habitat

 

Couplés ensemble au sein de la même interface (outil en mode web), ces deux outils (SIRIUS et IMOPE) permettent de caractériser les enjeux de la surchauffe urbaine selon les trois dimensions indispensables à un diagnostic complet du territoire: ICU, vulnérabilité du bâti et fragilité des populations (Cf. figure 5). Le repérage des zones à enjeux se fait alors de manière intuitive, par l’utilisation d’outils géographiques (QGIS, ARCGIS, etc) ou directement via le WEB SIG de U.R.B.S.

Figure 5: Repérage à l'IRIS et à l'adresse des zones à enjeux sur un territoire métropolitain

Une dernière étape : la simulation

L’outil SIRIUS, couplé à IMOPE permet une innovation majeure dans l’analyse et le diagnostic des enjeux de la surchauffe urbaine en apportant une analyse multi-thématique, à maille fine et à large échelle des enjeux de la surchauffe urbaine. Cependant, afin de couvrir l’ensemble du processus de prise de décisions des acteurs, une dernière étape reste à développer : la simulation de scénarii de rafraîchissement.

En effet, au-delà du niveau d’enjeux des zones identifiées, la capacité à agir et à déployer des actions de rafraichissement demeure capitale. Dans cette optique, un module de scénarisation sera bientôt développé afin de permettre, et ce à différentes échelles, d’analyser l’impact des solutions. Les effets d’un programme massif de végétalisation pourront alors être quantifiés à des échelles territoriales, tout comme l’impact d’une modification des paramètres de surfaces des matériaux (albédo, inertie, …). Evaluées sur des dimensions économiques, sociales et environnementales, ces simulations permettront de prioriser les actions les plus pertinentes au regard des zones à enjeux avant leur généralisation au sein des villes.

Un outil englobant

Le positionnement innovant d’URBS face aux problématiques de diagnostic de la surchauffe urbaine a permis, malgré les contraintes techniques, de développer un outil innovant répondant aux besoins des acteurs des territoires tout en complant plusieurs limites des outils et méthodes actuelles. Opérationnel et réplicable à l’ensemble des EPCI métropolitains, il propose une analyse complète des enjeux de la surchauffe urbaine et permet ainsi de cibler en quelques secondes les zones prioritaires d’intervention. Indispensable pour orienter nos villes vers plus de résilience face aux effets du changement climatique, les 18 prochains mois verront l’introduction de modules de simulation indispensables à la prise de décision. Pour une meilleure prise en main par les opérateurs des territoires, ces modules seront manipulables et exploitables facilement au travers d’interfaces ergonomiques et ce, afin de soutenir l’expertise des acteurs territoriaux.

 

Un article signé Jonathan VILLOT, Co-fondateur d’U.R.B.S. (https://www.urbs.fr), Maître Assistant aux Mines Saint-Etienne (https://www.mines-stetienne.fr)


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