#10 - Accompagnement insuffisant et écueil du financement

Rédigé par

Matthieu LOCCI

Directeur Technique - Energie et Développement Durable

3160 Dernière modification le 20/09/2021 - 13:00
#10 - Accompagnement insuffisant et écueil du financement

Le secteur du bâtiment est à lui seul responsable de plus de 20% des émissions françaises de gaz à effet de serre, et la France compte encore 4,8 millions de passoires thermiques, ces logements aux performances énergétiques indignes. Afin de pouvoir intensifier la rénovation du parc de logements et se conformer aux obligations fixées, deux piliers doivent être significativement renforcés : la contrainte et l’accompagnement. En fixant une obligation de travaux de rénovation, applicable aux bailleurs comme aux propriétaires, le gouvernement s’obligera en retour à permettre à tous de procéder à de tels travaux, par la mise en place d’un réel accompagnement administratif, technique et financier. Le point sur les outils permettant de déclencher la rénovation énergétique des logements aujourd’hui.

Pourquoi l’obligation de rénovation énergétique est inévitable 

Tandis qu’il faudrait, pour respecter les objectifs fixés dans la Stratégie Nationale Bas Carbone, rénover complètement chaque année 370 000 logements dès 2022, et même 700 000 à compter de 2030, seules 70 000 rénovations globales sont effectuées en moyenne annuellement. Il va donc falloir aller 10 fois plus vite pour espérer respecter nos engagements climatiques.

Cet écart significatif s’explique notamment par les motivations des ménages pour engager des travaux de rénovation énergétique. Bien que seulement 7% du parc résidentiel soit aujourd’hui au niveau de performance énergétique attendu pour l’échéance 2050 (BBC), le premier frein évoqué par les ménages en maison individuelle pour expliquer pourquoi ils n’ont pas réalisé de travaux d’économie d’énergie, est que selon eux « il n’y a pas besoin de travaux » (Etude TREMI 2020), le frein du financement n’étant qu’une raison secondaire. Du côté des ménages qui réalisent des travaux, c’est l’amélioration du confort (confort thermique, embellissement, qualité de l’air et insonorisation) qui est de loin (73%) la principale motivation, et non le fait d’agir contre le réchauffement climatique. Pire : les ménages qui s’engagent dans une rénovation des murs n’y associent malheureusement une isolation thermique que dans la moitié des cas. Une réelle massification de la rénovation énergétique ne pourra passer que par l’obligation.

Or en France, depuis une dizaine d’années, le choix a été d’inciter plutôt que de contraindre. Les quelques rares obligations introduites par le passé se sont révélées trop souples, notamment en raison de l’existence de nombreuses exceptions. Ce constat peut être dressé à propos de plusieurs mesures. Par exemple, l’obligation d’audit énergétique auquel les entreprises de plus de 250 salariés devaient procéder tous les quatre ans à partir de 2015, s’est avérée peu efficace puisqu’aucune pénalité n’avait été prévue jusque récemment en cas de non-respect. De même, l’interdiction de location des passoires thermiques de la loi Climat et Résilience, loin de constituer une « révolution » comme annoncé par le président, ne représente qu’un timide premier pas : le dispositif ne sera applicable qu’en 2028 et la mesure ne concernera que les logements loués (moins de la moitié des 4,8 millions de passoires thermiques), sans que les propriétaires occupants ne se voient contraints de procéder à des travaux pour leur résidence principale.

Passer d’une politique des objectifs à une politique des moyens : un vrai accompagnement

Afin d’envisager de rendre la rénovation énergétique obligatoire, il est indispensable qu’un véritable accompagnement soit mis en place. Quels travaux réaliser ? Quels financements ? Quels artisans choisir ? Selon l’enquête TREMI, seulement 15% des ménages ayant réalisé des travaux ont bénéficié d’informations et d’accompagnement. Pas étonnant quand on sait que 98% des aides publiques financent les travaux et seulement 2% l’accompagnement.

Il est donc nécessaire de mieux informer les citoyens pour leur permettre d’aborder sereinement leur projet de rénovation énergétique. Certaines des mesures prises aujourd’hui vont dans le bon sens : la création d’un guichet unique de la rénovation permettra de faciliter les démarches pour les particuliers. De même, la récente Loi Climat et Résilience fait apparaître des opérateurs agréés MonAccompagnateurRenov qui auront pour mission d’assister gratuitement les ménages dans leur parcours de rénovation, en se chargeant des aspects techniques, administratifs et financiers. Cet accompagnement sera obligatoire pour les travaux importants et son coût (estimé à 5 000 € par projet) sera pris en charge par l’État.

Penser le montant des aides par le prisme du reste à charge

Le sujet du reste à charge, peu abordé, est en réalité une donnée cruciale dans la décision d’engager des travaux d’économie d’énergie. Selon le rapport Sichel publié en mars 2021, le taux de reste à charge d’une rénovation globale de passoire thermique en BBC pour un ménage très modeste est de 37% (environ 15 000€), soit l’équivalent d’un revenu annuel pour ce ménage, qui n’aura en réalité aucun moyen de financer son projet. Le montant des aides doit donc être revu et abordé par le prisme du reste à charge afin de rendre les projets de rénovation compatibles avec les revenus des ménages.

Une solution intéressante pour financer ces sommes est la nouvelle version du Prêt Avance Mutation (PAM+) prévue par le projet de loi Climat et Résilience. Cette mesure, issue de la loi de transition énergétique pour la croissance verte de 2015, permet aux ménages précaires n’ayant pas accès au financement bancaire de pouvoir financer leurs travaux de rénovation. Si le premier lancement du PAM a été un échec en 2015, le gouvernement espère rassurer les banques et les inciter à proposer désormais cette solution de financement en y associant une garantie des emprunts par l’État. Il conviendra de la même façon de s’intéresser à l’ECO-PTZ, qui n’est que très peu proposé par les banques, puisque ce dispositif peu rémunérateur entre en concurrence avec leurs propres offres de prêt. A cette occasion, son plafond (30 000 €) pourra être relevé pour permettre de financer le reste à charge de projets de rénovation globale plus ambitieux.

Le ciblage des aides et leur efficacité

Malgré leur augmentation significative, les moyens financiers alloués sont encore insuffisants pour atteindre nos objectifs climatiques. Ainsi, le crédit d’impôt pour la transition énergétique (CITE) a laissé la place à MaprimeRenov, avec au passage une augmentation du budget alloué au dispositif, passant de 600 millions à 2 milliards d’euros. En ajoutant les certificats d’économies d’énergie (CEE) et les aides de l’ANAH, cela représente au total près de 5,8 milliards d’euros. Ce n’est donc qu’une fraction des 22 milliards demandés par la Convention Citoyenne pour le Climat que le gouvernement a accepté de prendre en charge. On peut en revanche constater que de réelles avancées ont été faites dans le pilotage et le ciblage afin d’utiliser ces aides avec efficacité.

Les CEE, créés en 2005 et dont Leyton est aujourd’hui un des principaux acteurs, se sont développés dans un contexte de forte augmentation des objectifs quantitatifs qui encadrent ce dispositif entre les 3ème (2015-2017) et 4ème périodes (2018 – 2021) : ils représentent aujourd’hui le principal outil dans la politique de transition énergétique française, devant MaPrimeRénov et les aides de l’ANAH. L’importance du dispositif CEE est confirmée par l’annonce en juin 2021 d’une nouvelle augmentation de l’obligation nationale pour la 5ème période (2 500 TWh cumac sur la période 2022-2025, en hausse de 17% par rapport à la 4ème période).

Présentant l’avantage d’avancer l’aide, qui vient généralement en déduction des devis des artisans, ce dispositif concerne tous types de ménages et a démontré son efficacité. L’apparition des Coups de pouce CEE, outil de ciblage et de pilotage créé en 2018 afin de réorienter les aides vers les ménages précaires, a permis de réduire à zéro le reste à charge des opérations d’isolation de combles et de plancher. Leur succès est aujourd’hui indéniable car ils ont permis, en un peu plus de 2 ans, la réalisation de 2 millions de travaux d’isolation de combles et de toitures. Le gouvernement a également récemment lancé le Coup de Pouce Rénovation Globale, avec pour objectif de favoriser les rénovations complètes plutôt que les rénovations « par geste ».

A l’inverse des CEE, le nombre de logements bénéficiant de MaPrimeRénov, a diminué ces dernières années, passant de 1,4 millions de logements en 2017 à 900 000 en 2019. Cela est lié aux fortes restrictions apportées sur les aides aux gestes peu performants par nature (remplacement de fenêtres, volets et portes extérieures). Ce recentrage des aides vers des rénovations plus performantes a permis une meilleure utilisation des fonds publics.

Le temps de l’action est là, et nous connaissons les domaines où les initiatives seront efficaces. Nous pouvons suivre l’exemple de la Suède, parvenue à réaliser sa transition énergétique : grâce à une obligation stricte, appliquée dès les années 1970, les émissions de CO2 du pays dues au chauffage des logements ont chuté de 90% et ne représentent plus que 2% des émissions GES du pays. Cependant derrière la simple annonce d’une obligation de rénovation, se cache en réalité un réel défi que seule une volonté politique forte peut permettre de relever.

Un article signé Matthieu LOCCI, Directeur Technique - Energie et Développement Durable chez Leyton


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