[1/2] Transformation et réversibilité : vers du zéro béton ?

Rédigé par

Ludovic GUTIERREZ

Responsable Grands comptes

8429 Dernière modification le 20/04/2021 - 14:27
[1/2] Transformation et réversibilité : vers du zéro béton ?

[Partie 1/2] Au 58 de la rue Mouzaïa à Paris, un imposant immeuble en béton, témoin de l’architecture brutaliste, construit en 1974 pour les bureaux de la DRASS avant d’être squatté par des artistes‐graffeurs pendant 2 ans, vient d’être transformé pour offrir plusieurs programmes sociaux totalisant 168 logements pour étudiants, travailleurs et artistes. Une mutation originale conduite par la RIVP, alors que la destruction du bâtiment avait été envisagée. Patrick Rubin, architecte de la rénovation et fondateur de l’atelier Canal, a mis dans ce projet tout son savoir‐faire pour approcher un équilibre entre programmation, économie de moyens et tribut carbone.

Encore trop rare, le dispositif de réversibilité des bâtiments existants est désormais observé comme un moyen d’action pour limiter la densification urbaine. La surface construite du patrimoine béton en France (et dans le monde) est telle que sa destruction systématique, après parfois moins de 50 ans d’existence, est devenue inacceptable. Retour avec Patrick Rubin sur les enjeux de ce type d’opération.

 

Pouvez‐vous nous faire un état des lieux du béton en France ?

Patrick Rubin : Le béton fait intégralement partie de l’histoire de la construction dans notre pays. Depuis la fin du XIXe siècle, la France a largement participé à la « réinvention » de ce matériau, armé ou pas, composé d’un mélange de sable, gravier, ciment et eau. Couramment mis en œuvre suivant plusieurs techniques, sa puissance s’est exprimée notamment avant puis après la Seconde Guerre mondiale, durant l’époque dite des Trente Glorieuses.

Il faut aussi préciser que le béton est intimement lié à l’histoire sociale de la France : le procédé a été largement utilisé pour construire les grands ensembles de la reconstruction dans les années 1950‐ 1970, offrant de nombreux logements pour des familles déplacées ou en difficulté. L’utilisation généralisée du béton a également encouragé l’arrivée massive de main d’œuvre étrangère (Portugal, Italie puis Algérie). Le secteur du bâtiment s’est structuré sur ces données, l’héritage de cette époque est toujours perceptible dans la culture et la gouvernance des grands constructeurs français qui s’interrogent, néanmoins, sur les transitions à venir.

Ce constat retardé est associé à l’importance des investissements à prévoir pour modifier les méthodes éprouvées, ce qui explique le poids des difficultés pour recourir rapidement aux évolutions législatives et aux développements d’alternatives à nos systèmes constructifs.

Le bâtiment est un secteur fléché comme étant l’un des grands responsables de consommation générale d’énergie, c’est indéniable, le chiffre de 40% est avancé. L’image de la construction en béton de ciment est en difficulté. Son processus de fabrication participe aux effets du réchauffement climatique (très haute température nécessaire à la fabrication du ciment, composé d’argile, de calcaire et de sable : le clinker) et à l’épuisement des ressources naturelles telles que les granulats, l’eau et le sable. L’amélioration de la production du ciment est sérieusement testée dans le secteur du BTP ; les enjeux sont essentiels, l’évolution des technologies tend vers la réduction de l’empreinte carbone avec le pari de réemployer le CO2 dégagé par la combustion. Dans le monde de la construction, les alternatives proposées sont l’acier, majoritairement mis en œuvre dans les pays anglo‐saxons, et le bois qui bénéficie de qualités écoresponsables à condition de ne pas surexploiter les forêts. L’acier est certes recyclable, mais sa fabrication nécessite d’extraire des minerais déclenchant de forts impacts environnementaux. Le bois, lui, permet de se tourner vers une ressource renouvelable et capture le carbone. La filière française de la construction bois espère beaucoup des expérimentions en cours comme, par exemple, les dispositions constructives « hors site » autorisant, après une courte trajectoire des composants, des délais de chantier très performants.

Suivant une culture toujours bien ancrée en France (et dans le monde), beaucoup de constructions sont encore conçues sur les abaques du béton. Si ce matériau est désormais moins employé dans le cadre de la transformation de bâtiments existants, sa production reste majoritaire pour les constructions neuves. Par ailleurs, nous ne pouvons pas ignorer ses performances mécaniques, sa résistance au feu, ses qualités acoustiques et d’inertie. Aujourd’hui, l’objectif est de neutraliser au maximum ses effets négatifs ; les responsables s’y activent, notamment par les efforts portés sur la décarbonation des compositions et la réduction des émissions de gaz à effet de serre, enjeu délicat puisqu’il reste inévitable de chauffer les fourneaux à haute température pour fabriquer le ciment.

Les « camions toupie » du Point P, le long du quai Lucien Lefranc, à Aubervilliers. © Canal architecture

 

Quels sont les critères pour faire de la réversibilité dans les bâtiments existants ?

Patrick Rubin : Dans le cadre du diagnostic d’un bâtiment existant il faut, en priorité, observer le modèle constructif qui structure son architecture. Cette analyse conduit à déclarer le dit‐bâtiment réversible ou non. La découverte d’une structure poteaux‐dalles ou poteaux‐poutres béton est manifestement heureuse ; ce dispositif permet d’échapper à la segmentation intérieure du bâtiment, inconvénient majeur que provoquent les murs porteurs, immobiles, encombrant les plateaux d’un bâtiment. La souplesse de la grille constructive privilégie le « plan libre », générateur d’une variation permanente des aménagements intérieurs d’un cadre bâti.

Les murs de refends figent les volumes et limitent, encore aujourd’hui, les changements d’usages prédéfinis d’un bâtiment alors que la flexibilité des lieux de vie et de travail est réclamée par tous. Mais des contre‐exemples existent, si les études d’un futur projet ont été définies sur un principe du plan libre, il n’est pas rare d’avoir à repenser le procédé structurel d’un bâtiment, après notification des marchés travaux, car le constructeur sélectionné pour l’opération ne sera pas en mesure d’adapter sa culture, son organisation, son personnel, les outils de son entreprise pour la mise en œuvre d’une solution poteau‐dalle ou de façades non‐porteuses. Plusieurs opérations étudiées dans le sens de la réversibilité ont été « ruinées » par ce constat d’impossibilité logistique à suivre la conception originale de projets mutables.

 

Comment définissez‐vous la réversibilité des constructions à entreprendre ?

Patrick Rubin : S’il est entendu qu’un bâtiment existant peut avoir plusieurs vies, l’effort est devenu démesuré pour y parvenir, tant l’architecture est le plus souvent contrainte par sa programmation initiale et sa reconversion progressivement complexifiée par la multiplication des normes.

L’idée d’habiter, travailler, enseigner, etc., successivement dans un même lieu engage à dissocier programme et procédé constructif dès la conception, au bénéfice d’une souplesse d’usages dans une géométrie libérée.

« Penser réversible », c’est anticiper l’évolution d’un édifice avant même sa construction, pour alléger au maximum les adaptations et leur coût, lors de sa transformation. La réversibilité est l’une des réponses à l’endémique crise de l’habitat, notamment dans le contexte sociétal, économique et immobilier actuel où la pénurie de logements est concomitante à la vacance de millions de mètres carrés de bureaux pour cause d’obsolescence.

Les 7 principes de la réversibilité intégrés pour le projet en cours d’études, à Bordeaux, dans la ZAC Saint‐Jean Belcier portée par l’EPA Bordeaux Euratlantique. Image extrait de Construire réversible, Canal architecture, 2017. © Canal architecture

 

Les procédés constructifs réalisés hors‐site et assemblés sur site sont‐ils efficients ?

Patrick Rubin : En matière d’assemblage accéléré, le choix des modules containers fabriqués « hors site » est une réponse intéressante, mais il s’agit plus d’un procédé constructif agile que d’un exemple de réversibilité. La flexibilité interne entre les bâtiments standardisés reste limitée.

 

Quelles sont les potentialités du béton dans la réversibilité ?

Patrick Rubin : Malgré de nombreuses réserves, le béton a des avantages à conditions d’en réduire l’utilisation. La stabilité d’une grille structurelle, sur des territoires à faible résonnance sismique, se prête très bien au procédé poteau‐poutre ou poteau‐dalle. Sa plasticité demeure exceptionnelle pour les ouvrages architectoniques. Il est envisageable de combiner le béton avec d’autres matériaux afin de conserver ses qualités d’inertie et d’acoustique, tout en diminuant la quantité de matière utilisée. A l’intérieur des bâtiments, les séparatifs peuvent être réalisés avec des matériaux sûrs et plus légers dont l’impact environnemental sera moins élevé. Pour l’enveloppe du bâtiment, on combine la structure poteau avec une façade en ossature bois, composée d’une isolation biosourcée, afin de diminuer l’impact béton global tout en profitant de ses performances de durabilité.

De nombreux constructeurs prennent désormais conscience du positionnement béton dans la réversibilité. En écartant les procédés refends et voiles percés, en acceptant les vêtures sur des structures bois, ils développent des solutions alternatives pour offrir aux bâtiments une souplesse de réaménagement interne, à l’image de Vinci Construction qui développe, depuis une dizaine d’années, le procédé poteau‐dalle (« Habitat Colonne ») ou encore de l’industriel Rector qui vient d’initier un nouveau principe de plancher béton préfabriqué en dalle de grande portée (« Caméléo »).

 

Construction de la bibliothèque universitaire de la faculté de droit à Malakoff. Réalisation de la structure intérieure poteau‐poutre en béton et de l’enveloppe extérieure en bois. Livraison en 2015, Canal architecture. © Philippe Ruault

 

Accéder à la deuxième partie de l'article.

 

Consulter l'étude de cas Transformation de bureaux en 288 logements qui détaille l'opération menée au 58 rue de Mouzaia.

 

Propos recueillis par Construction21 - La Rédaction

 

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