[Dossier Hors-site] # 17 - Vers des bâtiments modulaires préfabriqués de plus en plus complexes et vertueux

Rédigé par

Cyril Moussard

PDG

5412 Dernière modification le 26/10/2020 - 12:00
[Dossier Hors-site] # 17 - Vers des bâtiments modulaires préfabriqués de plus en plus complexes et vertueux

Aujourd’hui, le modulaire préfabriqué permet de faire le pont entre les contraintes énergétiques, thermiques et architecturales. Pourtant, il est encore peu développé en France. Entretien avec Cyril Moussard, PDG de ModuleM, entreprise pionnière dans la construction modulaire vertueuse de haute qualité.

Quelle est votre approche de la construction modulaire ?

Cyril Moussard : On entend le mot modulaire partout en ce moment, pour désigner un peu tout et son contraire ; le modulaire est à la mode. L’emploi du terme est très large, ça peut aller du bungalow de chantier à des constructions beaucoup plus sophistiquées comme nous les construisons chez ModuleM. Dans la construction modulaire, rien n’est improvisé, tout doit être pensé à l’avance, l’anticipation est le maître mot. Nous avons intégré des outils comme le BIM, qui permettent de prévoir précisément chaque détail d’un futur bâtiment, d’assurer le suivi du projet tout au long du chantier, et la maintenance une fois l’ouvrage livré. Même si cela peut déstabiliser quelques maîtres d’œuvre qui ont l’habitude de faire des modifications de dernière minute pendant un chantier, il n’en demeure pas moins que cette approche garantit un niveau de qualité bien souvent aléatoire dans la construction traditionnelle. Il faut donc mettre en place de nouvelles méthodologies de travail, comme le lean management que nous avons intégré chez ModuleM depuis maintenant quelques années. Ce qui fait également la particularité du modulaire, c’est son lien étroit avec la préfabrication ; c’est le fait de pouvoir déplacer le chantier à l’usine. Cela évite de nombreuses nuisances, notamment sonores, ou de prendre du retard à cause des intempéries. Mais surtout, la préfabrication permet de passer à un mode de production industriel. Je pense qu’il est important d’associer les technologies de la construction industrielle à un savoir-faire artisanal pour construire les bâtiments de demain, on aime appeler cela chez ModuleM « l’industrisanat ».

   

Crèche Villemur sur Tarn (MOE Alain Croux)

Quels matériaux utilisez-vous dans vos constructions modulaires ?

C. Moussard : Le modulaire souffre d’une image un peu négative, de bâtiment peu solide avec une isolation faible. Chez ModuleM, nous avons pris le parti d’utiliser des matériaux nobles, issus de la construction traditionnelle, voir même de remettre au gout du jour des techniques ancestrales. Nous ne privilégions pas un matériau en particulier, ce qui compte c’est de mettre le bon matériau au bon endroit. Cela ne sert à rien de faire à tout prix de la construction bois si ce n’est pas adapté au bâtiment souhaité surtout si c’est pour importer du bois du nord ou de l’est de l’Europe. En général, nos modules sont composés à 25 % de métal, 20 % de béton et 50 % de bois. Pour l’isolation, nous travaillons en plus des isolants classiques, avec du béton de chanvre, de la paille et de la terre crue. Nous nous inscrivons dans une démarche d’économie circulaire : nous essayons autant que possible de nous approvisionner en matériaux locaux, ainsi 100 % de notre bois provient d’Occitanie.

3. ModuleM est aujourd'hui en forte croissance, pourriez-vous nous expliquer quel est votre modèle économique et les raisons de ce succès ?

C. Moussard : Je pense qu’il y a plusieurs éléments qui peuvent expliquer notre réussite. En premier lieu, nous accompagnons nos partenaires maitres d’œuvre et d’ouvrage en leur apportant les solutions les plus pertinentes à leurs projets. De plus, nous intégrons tous les corps de métier, de la conception à la livraison d’un bâtiment. Les clients n’ont qu’un seul interlocuteur en face d’eux, cela facilite les démarches. Ensuite, nous concevons des modules préfabriqués uniques à chaque projet car nous pensons que c’est au module de s’adapter au projet et non l’inverse. En général, les éléments de construction standardisés contraignent l’architecture d’un bâtiment, le porteur de projet n’est pas libre de faire ce qu’il veut. Nous avons pris le parti d’adapter nos modules au cas par cas, selon les demandes des clients. Par exemple, nous venons de construire une maison médicale de 700m² à partir de 24 modules, tous différents.

 

 

Maquette numérique REVIT chantier Lagrave (MOE : Thierry Fonvieille & Ebawel)

 

Pouvez-vous nous présenter un projet emblématique sur lequel vous avez travaillé ?

C. Moussard : Quand ModuleM s’est implanté à La Magdelaine-sur-Tarn (31), nous avons été contactés par la collectivité voisine de Villemur-sur-Tarn. La commune souhaitait construire une nouvelle crèche sur un terrain rond. Il fallait donc que le bâtiment soit adapté à la forme atypique du terrain. Nous avons construit une crèche ronde grâce à nos modules, avec de très bonnes performances en isolation. Cela nous a permis de prouver qu’il était possible de construire autre chose que des cubes avec du modulaire. Ce projet a permis de montrer aux maitres d’œuvre que notre approche de la construction modulaire permettait une grande liberté architecturale.

Un autre de nos projets emblématiques est la construction en atelier et sur site d'une crèche en bâtiment modulaire architecturé à Morlaàs (64). Ce bâtiment qui devait se conformer aux exigences des Architectes des Bâtiments de France imposait de construire des modules aux formes très spécifiques intégrant parfois une toiture en zinc, parfois une toiture végétalisée. Pour ce bâtiment de 400m², le chantier aura duré seulement 4 mois.

Crèche de Morlaàs (MOE : Candarchitectes)

Aujourd’hui, ModuleM est capable de faire des bâtiments à la forme de plus en plus libre et complexe. Par exemple, nous venons de livrer un centre aéré avec une toiture voilée en zinc. Prochainement, nous aimerions travailler sur la construction de maisons type haussmanniennes.

Autres sujets, nous agrandissons actuellement nos bureaux avec des modules intégrant des murs végétaux, et avons déjà réalisé des modules pour l’aquaponie (ferme urbaine qui unit la culture de plante et l'élevage de poissons), vous l’aurez compris l’innovation et la nature sont au centre de notre développement. 

 

Vous travaillez justement sur le biomimétisme avec Nobatek/INEF4 en ce moment. Pouvez-vous nous en dire plus ?

C. Moussard : L’objectif de notre travail commun est de continuer à pousser la réflexion sur la construction vertueuse, en nous inspirant de milliards d’années d’évolution que nous offre la nature. Nobatek a l’avantage d’avoir à la fois la casquette de maître d’œuvre, et celle d’accompagnant des innovations de starts-up sur des produits spécifiques du bâtiment.  Ce centre de recherches appliquées, a beaucoup d’idées théoriques qu’il souhaite tester concrètement. Nous travaillons actuellement sur la construction d’une maison test biomimétique, qui sera livrée pour la fin de l’année. Pour concevoir sa structure, nous nous sommes par exemple inspirés de la structure des nids d’oiseau, qui semble aléatoire et fragile en apparence, mais qui en fait utilise tout un processus particulier offrant un maximum de solidité. Concernant les vitrages, nous nous inspirons du processus de photosynthèse. Nous avons également intégré dans notre collège de réflexion de la maison « parfaite » un ergonome. Nous collaborons aussi avec l’Université de Toulouse (Disrupt’Campus), qui étudie comment seront « consommés » les bâtiments de demain, c’est-à-dire les usages qui en sont fait à travers le temps. Nous espérons ainsi pouvoir construire les meilleurs bâtiments possibles.

Selon vous, quels sont les freins et les leviers au développement du modulaire ?

C. Moussard : Le frein majeur que je constate est celui de l’éducation au modulaire, même si les avis évoluent dans le bon sens depuis ces dernières années. Certaines personnes voient encore le modulaire comme une construction temporaire, fragile. Les porteurs de projet n’ont pas toujours conscience de la qualité que peut apporter ce mode de construction.  Le levier principal, c’est la réglementation, comme les nouvelles normes RE2020 qui devraient favoriser la construction modulaire puisque l’approche industrielle de la construction modulaire permet de garantir avant même de construire le respect de nouvelles exigences. Aujourd’hui, la transition vers le modulaire s’impose. Il devient difficile pour la construction traditionnelle de répondre aux besoins et attentes des normes, là où le modulaire présente des atouts non-négligeables. C’est donc en bonne voie !

 

Propos recueillis par Manon Salé, Construction21 - La rédaction

 

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 Crédits photos MOE Alain Croux, Thierry Fonvieille & Ebawel, Candarchitectes

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