#11 Urbanisme et aménagement sous climat chaud

Rédigé par

La rédaction C21

5239 Dernière modification le 04/09/2019 - 10:38
#11 Urbanisme et aménagement sous climat chaud

Comme l'illustre l'exemple de la Guyane, construire durable sous climat chaud, n'est pas seulement un défi technique. Cela requiert également de prendre en compte un contexte social particulier. Entre écoquartier et réalité locale, éclairage avec Denis Girou, directeur général de l'EPFA Guyane.

 

Que faut-il savoir avant de parler d'urbanisme en Guyane ?

Tout d'abord qu'il s'agit d'un territoire grand comme la région Nouvelle Aquitaine. Néanmoins, cette comparaison est trompeuse, car il faut prendre en compte plusieurs facteurs importants :

  • la zone habitée, principalement située sur la bande littorale et le long des deux fleuves qui délimitent les frontières nord et sud, ne représente pas plus de 1% de cette superficie. Elle est pourtant suffisante pour accueillir l'ensemble de la population.
  • la dynamique démographique est forte, puisque la population double tous les 20 ans. Cela vient d'une natalité importante, mais aussi d'une immigration continue ou sous forme de vagues migratoires.
  • si la densité est plutôt faible, le taux d'occupation des appartements est bien supérieur à la moyenne, avec un ratio d'environ 3 personnes.
  • les ressources des foyers sont aussi moitié moindre que la moyenne nationale, avec environ 15 000 euros par foyer fiscal. Il faut donc proposer une offre adaptée à cette réalité.

 

Avec l'Amazonie proche, le territoire est-il spécifique ?

Oui, la Guyane est une terre de contrastes, avec des zones artificialisées très faibles et des territoires vierges très étendus. Cela est d'ailleurs à la fois un atout et une contrainte.

Un atout, car nous pouvons intégrer la nature dans les projets d'urbanisme pour réduire les ilots de chaleur. Une contrainte, car ne pas trop empiéter sur les territoires vierges est un vrai défi. Nous avons en effet quelques sujets de revitalisation de bourgs, mais l'essentiel de l'aménagement est constitué par des opérations d'extension importantes, avec en moyenne 2500 logements à chaque fois. Cela est parfois fait en urgence, comme après le tremblement de terre de Haïti qui a déclenché une forte vague migratoire.

Par ailleurs, on compare souvent la Guyane aux Antilles et nous possédons une réglementation similaire. Les réalités sont pourtant bien différentes. Les inondations sont la principale menace naturelle en Guyane. Nous n'avons pas de risques sismiques et cycloniques. Cela devrait donc être pris davantage en compte pour le débord des toits, puisque la prise au vent n'est pas un facteur primordial.

 

Immigration, ressources limitées des populations, le facteur social est donc à prendre en compte en Guyane ?

Oui d'autant plus que l'histoire de la Guyane est intimement liée à celle de ses voisins proches ou plus lointains. Il faut le prendre en compte quand on fait un projet d'urbanisme. Cela peut sembler caricatural, mais lorsque l'on s'attaque à un quartier peuplé en majorité de populations venues de Haïti ou du Surinam, celles-ci "importent" leur vision et habitudes de l'habitat.

Cela est d'autant plus important dans la mesure où, si l’on parle de "concurrence" sur le plan du développement urbain, celle-ci vient principalement de l'urbanisation spontanée, donc illégale, en d’autres mots. Les populations aménagent et construisent le quartier elles-mêmes. Il est donc important de prendre en compte les habitudes de vie qui s'y développent et de proposer du foncier ou des logements à des coûts adaptés afin de réussir la réintégration dans la légalité.

 

Quelle part représente l'urbanisation spontanée en Guyane ?

40% du bâti constaté, ce qui est énorme et génère des dysfonctionnements à tous les niveaux. Sur un plan urbain, rien n'est prévu en amont en termes de transports et d'infrastructures. L'Etat a ainsi l'obligation de créer des fontaines à eau, on doit aussi rapidement adapter le système de transport. Quant aux propriétaires des terrains, la loi les oblige à reloger les occupants sans titre qui sont présents sur leur terrain. C'est faisable lorsqu'il s'agit d'une famille, mais par pour un quartier de 5000 personnes.

Si cette part d'illégalité est aussi importante, c'est aussi du fait que l'urbanisation spontanée répond à un besoin. Les familles n'ont pas à s'inscrire sur une liste d'attente pour obtenir un logement tant la construction est rapide. A titre d'exemple, nous faisons depuis quatre ans des démarches pour débuter la construction de 40 logements économiques sur un site et dans le même temps plus de 160 bâtiments illégaux ont été édifiés dans la zone. Par ailleurs, les coûts sont bien moindres. On estime qu'ils sont en moyenne de 400€/m2 pour ces derniers. C'est 1900€/m2 pour des quartiers construits légalement.

Parler de durable en Guyane, ce n'est pas seulement évoquer la transition écologique, c'est aussi répondre à des besoins très spécifiques, dont un d'importance : construire des logements, proposer du foncier et aménager plus rapidement et à un prix abordable.

 

Comment peut-on le faire ?

L'un des enjeux est la simplification des normes et leur adaptation au territoire. Aujourd'hui, avec la RTAA DOM, nous sommes souvent confrontés au besoin de demander des dérogations. Cela est préjudiciable de deux points de vue : non seulement cela ralentit et alourdit les dossiers, mais cela ouvre aussi la porte à des pratiques qui ne sont plus encadrées. Le mieux serait d'avoir un droit positif, conçu pour nous, qui ne demande plus d'étirer ou forcer une norme. Que ce soit en Guyane ou à Mayotte des projets pilotes et des propositions existent. Nous attendons que le politique d'empare du dossier.

Pour illustrer l'absurdité de certaines situations, il nous est ainsi arrivé de faire une enquête publique pour la transformation d'un territoire... sur lequel il n'y avait aucun habitant, donc personne pour répondre. Nous devons aussi poser des installations électriques aux normes du moment dans des lieux où l'électricité n'arrive pas.

L'une des différences entre la construction illégale et le légal est aussi la provenance des matériaux. Tout matériau utilisé en Guyane se doit d'être homologué en France. Il est donc souvent impossible d'importer des solutions à moindre coût du Brésil par exemple. Au sein du Caribbean Urban Forum, nous avons pourtant des échanges réguliers sur les solutions techniques et les effets du changement climatique avec les pays voisins.

Le tableau n'est cependant pas tout noir. En Guyane, nous avons en effet eu une excellente surprise quand nous avons commencé à créer des écoquartiers. Il s'agit d'une norme pas du tout conçue pour les zones tropicales, mais qui s'y adapte bien.

 

Comment conçoit-on un écoquartier en Guyane ?

De manière générale, nous raisonnons comme pour un bâtiment, mais à l'échelle macro. Nous réfléchissons à l'implantation des rues et des installations pour que celles-ci prennent le meilleur parti de la circulation d'air. En Guyane, ce flux est relativement stable avec la présence des alizés qui soufflent d'Est en Ouest. Par ailleurs, la température tourne autour de 28-30°C toute l'année c'est donc un autre facteur stable.

Ensuite, on s'intéresse à la nature du sol pour répartir les points chauds et froids afin de maximiser encore cette circulation d'air en créant des différences de pressions atmosphériques. Ces différents points peuvent être des pelouses, des parkings ou des étendues d'eau.

La bonne gestion de cette dernière est primordiale en Guyane et plutôt que de la considérer comme une menace, nous l'utilisons pour optimiser le confort comme dans le projet de l’écoquartier Hibiscus. Les étendues d'eau sont au centre du projet et deviennent des îlots de fraîcheur, mais aussi des pôles d’activités sportives et sociales. Ce dernier point est important, car dans une zone tropicale, il est souvent plus agréable de se réunir à l'extérieur que dans un espace fermé.

Sur le projet de Rémire-Montjoly qui est situé à proximité du littoral, ces points de fraîcheurs sont avant tout des zones boisées qui couvraient initialement le lieu. Elles ont été conservées de manière stratégique pour à la fois apporter un cadre agréable et gérer l'apport des alizés.

Ces actions sont possibles du fait que les écoquartiers sont, par définition, plutôt étendus. Raisonner sur 30 à 60 hectares permet d'avoir beaucoup de liberté et d'alterner des solutions de construction et d'aménagement diverses. L'objectif à minima sur ce que nous concevons aujourd'hui est de limiter la climatisation aux chambres.

 

Propos recueillis par Hassan Abouzid

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Construire durable sous climats chauds
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