Une stratégie énergie-carbone pour la ZAC Saint-Vincent-de-Paul

Rédigé par

Nicolas Rougé

Directeur

6767 Dernière modification le 04/09/2018 - 13:14
Une stratégie énergie-carbone pour la ZAC Saint-Vincent-de-Paul

Saint-Vincent-de-Paul, au cœur du quatorzième arrondissement parisien, est un projet urbain atypique. Il est depuis ses débuts un espace d’innovation sociale avec les Grands Voisins, projet phare de l’urbanisme transitoire en France. Maintenant que le projet entre en phase opérationnelle, il a également vocation à devenir, sous l’impulsion de la Ville de Paris, un site pilote des politiques de la Ville de Paris en faveur de la transition énergétique et écologique et de la mise en œuvre du nouveau Plan Climat Air Energie de Paris. Les ambitions affichées sont élevées : neutralité carbone, démarche poussée de sobriété et de production d’énergies renouvelables.

C’est dans ce contexte que notre équipe intervient. Composée d’un cabinet de conseil en aménagement urbain spécialisé dans les projets à fortes ambitions environnementales et de deux bureaux d’études spécialisés dans l’énergie, elle est missionnée par l’aménageur, Paris Batignolles Aménagement, pour établir la stratégie énergie carbone de la ZAC Saint-Vincent-de-Paul. Cette configuration nous permet d’être à la fois précis dans les volets techniques et financiers indispensables à la mission et d’intégrer dès le départ l’ensemble des autres objectifs politiques du projet, qui sont nombreux (respect du contexte patrimonial, inclusion sociale, création d’un lieu d’expérimentation et d’innovation, d’un site pilote de la ville végétale…), nous permettant ainsi d’identifier et de mesurer à la fois les opportunités et les difficultés qui découlent de ces objectifs multiples.

Le travail sera finalisé prochainement dans la perspective des premières consultations d’opérateurs immobiliers lancées sur le quartier. Pour autant, il nous semble intéressant de revenir d’ores et déjà sur certains éléments de cahier des charges et de méthode par lesquels cette étude nous semble aller sensiblement plus loin que les études réglementaires d’approvisionnement en énergies renouvelables [1] et venir ainsi nourrir la boîte à idée de la transition énergétique dans les opérations d’aménagement.

En premier lieu, la Ville de Paris avait lancé en amont de notre intervention un appel à contributions qui invitait les acteurs de l’énergie à formuler des propositions innovantes les plus précises possibles pour la production, la distribution, la gestion et l’exploitation de l’énergie sur le quartier Saint-Vincent-de-Paul. L’objectif n’était pas de choisir trop tôt une technologie ou un acteur, mais bien de donner leur chance à des solutions émergentes et prometteuses. Notre analyse multicritère des contributions a ainsi permis d’intégrer dans les scénarios étudiés des systèmes habituellement non regardés dans ce type d’étude. En cela, la démarche s’apparente à du « sourcing énergétique ».

En second lieu, nous avons abordé la mission sans a priori sur la question des réseaux de chaleur. Nous avons ainsi poussé à la fois des scénarios dits « centralisés » (avec une ou plusieurs productions renouvelables et de récupération alimentant une boucle locale thermique) et des scénarios dits « décentralisés » qui insèrent dans chaque bâtiment des systèmes de production adaptés à ses spécificités. Cette dernière approche nous a paru pertinente dans le contexte de Saint-Vincent-de-Paul, qui mélange bâtiments neufs, réhabilités et surélevés, logements libres et sociaux et équipements, toitures plus ou moins ensoleillées… Toutefois, nous avons intégré d’emblée dans notre raisonnement un principe de péréquation tarifaire entre les bâtiments afin de ne pas créer d’inégalités fortes devant les charges énergétiques.

Troisième point, nous réalisons en parallèle de l’étude un bilan carbone sur le cycle de vie complet du quartier, en incluant les émissions induites par l’opération d’aménagement en amont (construction et rénovation des bâtiments et de la voirie) et pendant la vie du quartier (consommations d’énergie et d’eau, gestion des déchets et transports). Cette étude nous permet d’identifier les leviers pour réaliser un quartier cohérent avec l’objectif de neutralité carbone. Le choix des matériaux et des modes constructifs, la réduction des besoins énergétiques et un mode de production de chaleur décarboné apparaissent comme les principaux axes de réduction du bilan carbone du quartier.[2]

Quatrième point, nous comparons les scénarios étudiés sur la base d’une approche en « coût complet partagé » : il s’agit d’estimer, sur l’ensemble du cycle de vie du quartier, qui va payer quoi. Nous calculons ainsi l’impact de chaque scénario sur la facture énergétique des occupants (en intégrant l’exploitation maintenance à leur charge le cas échéant), sur les bilans des opérateurs immobiliers et sur les comptes d’exploitation d’un hypothétique « opérateur énergétique de quartier ». Cette approche permet de mettre en évidence l’intérêt économique global de chaque scénario, mais aussi les éventuels effets de report ou de bascule (par exemple, le renforcement de la performance de l’enveloppe des bâtiments coûte un peu plus aux maîtres d’ouvrage, mais fait faire des économies aux occupants).

Enfin, nous explorons des scénarios de montage qui tiennent compte d’une dimension structurante du projet Saint-Vincent-de-Paul : la maîtrise d’usage.  Comment associer l’usager à la question de l’énergie quelle que soit la solution technique retenue. Au-delà d’un financement participatif, les habitants et usagers pourraient ainsi être invités à s’impliquer dans la gouvernance même d’une structure de production d’énergie, qui pourrait par exemple prendre une forme coopérative. Ce schéma pourrait aussi bien s’appliquer aux scénarios centralisés que décentralisés, à condition dans ce dernier cas de confier l’ensemble des systèmes de production de chaque immeuble à une même structure, créant ainsi une sorte de réseau énergétique virtuel à l’échelle du quartier.

Une telle implication active des usagers, qui s’inspire des coopératives énergétiques d’Europe du Nord et qui serait inédite à cette échelle en France, nous semble être un gage de bon fonctionnement et de performance sur le long terme des systèmes énergétiques mis en place, mais aussi de pérennité de services énergétiques et de démarches d’accompagnement des usagers à la maitrise de leurs consommations telles qu’elles sont actuellement expérimentées dans le cadre du projet CoRDEES sur le secteur Clichy Batignolles à Paris 17e.

En savoir plus :

Les auteurs :

  • Nicolas Rougé, directeur associé d’une autre ville ([email protected])
  • Nibal El Alam, directrice associée de Kairos Ingénierie ([email protected])
  • Olivier Davidau, directeur associé responsable du pôle AMO et maîtrise d’œuvre environnementale d’Amoès ([email protected])

[1] L’article L128-4 du Code de l'urbanisme, créé par la loi Grenelle 1 en juillet 2009, stipule que « toute action ou opération d’aménagement […] doit faire l’objet d’une étude de faisabilité sur le potentiel de développement en énergies renouvelables de la zone, en particulier sur l’opportunité de la création ou du raccordement à un réseau de chaleur ou de froid ayant recours aux énergies renouvelables et de récupération. »

[2] Le transport, qui représente environ 20% des émissions du quartier, est exclu du périmètre de nos propositions, car traité par ailleurs par un AMO spécifique « mobilité ».

Dossier Ilots de chaleur
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