Une PPE qui « creuse encore le fossé entre les discours et les actes »

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CLER La rédaction

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849 Dernière modification le 20/02/2019 - 10:07
Une PPE qui « creuse encore le fossé entre les discours et les actes »

Le projet de Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) - qui fixe les orientations nationales pour la transition énergétique jusqu’à 2028 - a finalement été rendu public le 25 janvier après plusieurs mois d’attente. Une occasion manquée selon Jean-Baptiste Lebrun, directeur du CLER - Réseau pour la transition énergétique.

Que vous inspire la lecture de ce projet de PPE ?

Elle confirme que le gouvernement n’a pas écouté les conclusions du débat public de 2018, et les nombreuses propositions des divers acteurs engagés sur le terrain qui demandent d’actionner avec force les leviers que sont les économies d’énergie, la production d’énergie renouvelable et la décentralisation énergétique, pour donner les moyens aux territoires d’agir. Les citoyens veulent participer à cette transition énergétique réellement et accéder aux solutions qui leur permettront d’améliorer leur qualité de vie et d’envisager leur avenir plus sereinement. En refusant, l’exécutif compromet la capacité de la France à tenir ses objectifs sur le climat, mais surtout à répondre structurellement et durablement à ces attentes, pour une transition énergétique réussie, ambitieuse et solidaire.

Quel chemin propose la PPE qui vient de paraître ?

Un chemin à contresens des besoins réels… Elle recule sur les objectifs d’efficacité énergétique et de résorption de la précarité énergétique. Elle freine le développement des filières d’avenir comme le gaz renouvelable ou l’éolien offshore. Elle creuse encore le fossé entre les discours et les actes sur la performance énergétique des bâtiments. Le CLER défendra une voix alternative à l’occasion des dernières étapes de consultation et appelle au sursaut nécessaire pour que la version définitive de la PPE réponde vraiment aux besoins des Français, actuels et à venir.

« La trajectoire de consommation ne baisse pas suffisamment, avec un grave recul sur l’objectif global d’efficacité énergétique »

La PPE répond-elle au défi de la rénovation des bâtiments ?

La PPE prolonge le double-discours de l’Etat sur la rénovation puisque l’objectif de 500 000 rénovations performantes ou très performantes par an est confirmé, mais sans les moyens pour l’atteindre ! Nous sommes très loin de ce chiffre actuellement (avec moins de 300 000 rénovations par an et seulement 30 000 certifiées BBC) et peu de mesures nouvelles sont annoncées. D’ailleurs, la trajectoire de consommation ne baisse pas suffisamment dans la PPE proposée, avec un grave recul sur l’objectif global d’efficacité énergétique (moins 14 % en 2028 alors que la loi fixe moins 20 % en 2030). Quant à la sobriété, le mot n’apparaît que trois fois en 368 pages.

La PPE permettra-t-elle de lutter plus efficacement contre la précarité énergétique ?

C’est pire encore : l’objectif de moins 15 % en 2020 défini par la loi n’est tout simplement pas cité. A l’inverse, la PPE ose même dire que « les ménages les plus modestes seraient les plus fragilisés par la transition énergétique ». C’est sûr qu’en se limitant à une hausse de 50 euros du chèque énergie et aux « coups de pouce » via les Certificats d’économie d’énergie (CEE) tout en abandonnant l’obligation de rénovation des passoires avant 2025 ou l’inscription de la performance énergétique dans les critères de décence des logements, on n’apporte pas les bonnes solutions aux ménages concernés. C’est une faute politique grave. La justice sociale est au coeur des préoccupations et c’est au contraire l’absence de transition énergétique qui pèsera davantage sur les plus fragiles (catastrophes climatiques, pollution et conséquences sanitaires, augmentation des prix de l’énergie).

Enfin, l’Etat continue à ne pas appliquer ses propres engagements puisque la mise en place d’un Service public de la performance énergétique de l’habitat (SPPEH), prévu par la Loi de transition énergétique de 2015, n’est pas évoquée. Ce service permettrait pourtant aux ménages d’être accompagnés par des conseillers spécialisés, ancrés sur leur territoire, indépendants et garants d’une orientation vers des solutions adaptées à chaque situation et cohérentes avec les objectifs de long terme.

Et pour les énergies renouvelables (EnR) ?

La PPE confirme des objectifs élevés pour certaines filières (éolien terrestre et solaire photovoltaïque par exemple) mais freine le développement de l’éolien en mer ou la méthanisation. Pour ces filières, les objectifs retenus sont bien en deçà du potentiel et les dispositifs inadaptés, avec par exemple le report des premiers appels d’offres pour l’éolien flottant à 2021, le passage à un système d’appel d’offres et une trajectoire prévue de tarifs d’achat pour la méthanisation qui risque de planter de nombreux projets.

« La PPE annonce quelques mesures intéressantes sur la chaleur renouvelable mais la hausse prévue du fonds chaleur reste trop limitée en volume et dans le temps. »

Au-delà des objectifs, l’équilibre du système électrique interroge. Faute d’assumer suffisamment de fermetures de réacteurs nucléaires pour rester cohérente, la PPE conduira à une large surcapacité en misant sur un triplement des exportations d’ici à 2028. C’est un pari très risqué. Les crises récentes sur les prix de marché ont montré que c’est la rentabilité des producteurs d’électricité, en premier lieu EDF, qui est en jeu. Par ailleurs, la PPE précise bien que « le système électrique reste très exposé à la demande de pointe en raison du développement passé important du chauffage électrique (…) et pourrait augmenter à nouveau, en raison de l’effet cumulé de l’électrification des bâtiments et des véhicules ». Pour autant, aucune mesure concrète n’est proposée pour réduire la pointe électrique, notamment via la rénovation énergétique des logements et le remplacement des convecteurs électriques (le mode de chauffage le plus coûteux pour les ménages) par un autre système. Cela montre bien les limites d’un tropisme trop électrique, a fortiori sans maîtrise de la demande.

La PPE annonce quelques mesures intéressantes sur la chaleur renouvelable mais la hausse prévue du fonds chaleur reste trop limitée en volume et dans le temps. Le montant annoncé pour 2028 (219 millions d’euros) est inférieur à celui de 2018 (255 millions d’euros) et 25 fois plus faible que le soutien aux EnR électriques (alors que la chaleur représente plus de 40 % de la consommation d’énergie finale). Et la nécessaire augmentation du « prix du carbone » reste incertaine. En creux, ces logiques (tropisme électrique, systématisation des appels d’offres et critère unique de la « compétitivité ») démontrent l’absence de la notion d’ancrage territorial dans la vision du développement des EnR de l’Etat.

Justement, quelle place cette PPE accorde-t-elle aux territoires ?

Si « les territoires sont au coeur de la transition énergétique », le huitième et dernier chapitre qui les évoque reste très général et principalement descriptif de la situation actuelle. Hormis une timide avancée sur les enjeux de gouvernance des concessions de distribution (reconnaissance de l’intérêt de schémas directeurs des investissements partagés, incitation à l’ouverture des données) et l’annonce de quelques Contrats de transition écologique supplémentaires (pour lesquels « l’Etat se place dans une posture de facilitation de projet »), la PPE ne prévoit aucun levier d’accélération de l’action territoriale. Il y a pourtant tant à faire : définition de moyens pérennes pour l’investissement et l’ingénierie territoriale dédiés à la transition énergétique (exclus du plafonnement des dépenses des collectivités bien-sûr), organisation d’une meilleure articulation entre les différentes échelles d’action et développement d’opérateurs énergétiques territoriaux, régionalisation des appels d’offres pour développer les EnR sur tous les territoires… En guise de conclusion, on est bien loin d’une PPE idéale. Si elle avait tenu la plume, notre association aurait au contraire commencé par la décentralisation et l’appropriation démocratique et citoyenne de l’énergie.

 

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