Un plan qui vise la rénovation des passoires énergétiques mais qui prend le risque d’être peu impactant sur la précarité énergétique

Rédigé par

Danyel Dubreuil

2226 Dernière modification le 23/01/2018 - 11:13
Un plan qui vise la rénovation des passoires énergétiques mais qui prend le risque d’être peu impactant sur la précarité énergétique

Le plan de rénovation énergétique des bâtiments présenté le 24 Novembre par le gouvernement érige en priorité la rénovation des passoires énergétiques occupées par les ménages modestes. Les objectifs affichés sont particulièrement ambitieux sur ce segment qui représente le noyau des ménages touchés le plus durement par la précarité énergétique en France. Les propositions faites permettent-elles d’envisager une action efficace sur la rénovation des passoires énergétique ainsi que sur la réduction de la précarité énergétique ?

Un plan à 360°

Le plan soumis à la consultation présente beaucoup de bonnes propositions qui sont à relever. Il s’agit d’un pas important dans la bonne direction en ce qui concerne l’identification des priorités. L’originalité principale est de rassembler dans un document de stratégie la plupart les éléments qui forment les leviers d’actions de l’Etat pour accélérer la rénovation des passoires énergétiques. C’est exactement le sens que l’Initiative Rénovons souhaitait donner à l’action politique dans ce domaine, à l’image de la feuille de route que nous avons élaboré collectivement en 2016 et présenté en février 2017.

Des actions structurantes

Le ciblage sur les « passoires » occupées par les ménages modestes est la bonne option au regard des bénéfices collectifs multiples que les investissements sur ce segment engendrent. La création d’un comité de pilotage du plan de rénovation énergétique des bâtiments (COPREB) permettra nous l’espérons d’ajuster les actions et les moyens en fonction des résultats atteints. Il manque néanmoins un mécanisme permettant de consulter très régulièrement les organisations de la société civile très investies dans la lutte contre la précarité énergétique et la rénovation telle que le Fondation Abbé Pierre, le CLER, la Fédération SOLIHA ou le Secours Catholique.

Dans le concret il reste beaucoup de choses à faire pour que cette cible très particulière soit correctement adressée.

Le réalisme de l’objectif de 150 000 passoires occupées par les ménages précaires est questionnable.

Le rôle donné à l’Anah via le programme « Habiter Mieux » : 75 000 logements occupés par des ménages modestes. Pour passer de 50 000 à 75 000 « Habiter Mieux » crée une offre « allégée ». Il sera important pour le programme « Habiter Mieux » et pour le gouvernement, de montrer comment cette offre pourra sortir durablement les logements des plus bas niveaux d’étiquette énergie, et réduire significativement les factures des ménages.

Les 75 000 rénovations de logements passoires supplémentaires seront issues de « programmes standards déployés massivement par des acteurs privés, via des appels d’offres territorialisés, en s’appuyant sur les dispositifs existants au niveau national (CITE + ecoPTZ + CEE) ». A ce stade, il est trop tôt pour faire une projection d’impact. Mais cela semble peu évident qu’en mobilisant des outils existants sans consolidation (notamment via des offres de financement adaptées et la sécurisation des parcours via un conseiller) cela puisse déboucher sur des résultats sur la cible recherchée au niveau des volumes souhaités.

L’importance de la valeur ajoutée des programmes d’accompagnement oubliée. 

L’absence de mesure concernant la pérennisation et l’élargissement des programmes spécifiques d’accompagnement des ménages en précarité énergétique est la plus préjudiciable à l’atteinte des objectifs de réduction de la précarité énergétique.

Le soutien financier pour aider la réalisation des travaux est une condition nécessaire mais pas suffisante : le repérage en amont des travaux ainsi que l’accompagnement avant, pendant et après les travaux sont indispensables pour nombre de ménages en précarité.

Des programmes répondant à ces besoins existent, à l’exemple du programme SLIME, et sont financés par les CEE.  Ils ne pèsent pas sur le budget de l’Etat et sont efficaces en matière d’économies d’énergie et d’effet sur la précarité énergétique des ménages. Ils ont également pour objet de toucher spécifiquement les ménages “invisibles et silencieux” qui ne vont pas s’adresser aux guichets.

Le recours à ce type de programmes en complément au dispositif « Habiter mieux » de l’Anah doit être intégré en tant que tel dans le plan, sur toute sa durée. Il est nécessaire d’évaluer ces programmes mais également de donner une visibilité au-delà de fin 2018 dans une temporalité cohérente avec celle du Plan rénovation (2022).

La révision du DPE envisagée est une bonne chose car cet outil ne semble pas pouvoir avoir une utilisation légale claire. Son évolution doit permettre qu’il réponde à une appréciation de la performance énergétique de logements non contestée et qu’il soit utilisable juridiquement. Pour l’initiative Rénovons il est particulièrement important que ce chantier avance rapidement afin d’envoyer le bon signal symbolique aux Français.

L’audit gratuit pour les ménages en précarité énergétique a disparu

Le plan n’envisage plus d’audit complet et gratuit pour les ménages en précarité énergétique. Il s’agit pourtant d’une mesure indispensable pour réduire les obstacles au passage à l’acte.

L’éligibilité nouvelle d’un audit au CITE est limitée au DPE actuel et risque d’amener d’autres difficultés notamment liées à la qualité de l’audit sans apporter de réponse adaptée aux ménages en précarité pour lesquelles un audit complet et intégré à un parcours d’accompagnement renforcé est nécessaire pour aboutir à des travaux. Une option complémentaire serait de renforcer la fiabilité du DPE en l’incluant dans un « outil » plus large, tel que le passeport efficacité énergétique développé par Expérience P2E. Cela permettrait de montrer la voie à suivre et les étapes nécessaires pour amener tous les logements privés à être au niveau BBC rénovation à l’horizon 2050 comme l’exige la loi.

Une discussion à nouveau relancée sur les financements disponibles pour les ménages en précarité énergétique 

La transformation du CITE en Prime pour 2019 est un premier pas nécessaire qui doit être complété par d’autres pour répondre correctement au besoin de préfinancement particulièrement important chez les ménages modestes. Il n’y pas de calendrier opérationnel de déploiement des solutions publiques de préfinancement du reste à charge pour les ménages modestes tels que la réforme de l’éco Eco-PTZ ou l’abondement du Fond de Garantie pour la Rénovation Energétique qui enclencherait un cercle vertueux parmi les acteurs bancaires. En l’absence de déploiement rapide de ces instruments de financement les objectifs seront difficiles à atteindre.

Les locataires du résidentiel privé ne sont pas ciblés par le plan de rénovation énergétique du gouvernement.

Le plan prévoit de rénover 150 000 passoires de propriétaires occupants modestes mais occulte la situation des locataires, alors qu’ils sont les plus touchés par le précarité énergétique. S’il faut reconnaitre que des missions pour étudier les possibilités d’actions réglementaires ont été confiées aux services de l’Etat, les perspectives que des propositions émergent rapidement sont peu probables et les signaux envoyés au propriétaires bailleurs de passoires énergétiques sont encore trop peu présents pour pouvoir faire respecter en 2025 l’article 5 de la LTECV qui vise à faire disparaître ces logements du marché.

Les moyens envisagés pour la rénovation des logements privés sur les cinq années manquent de lisibilité.

Le plan ne présente pas de chiffrage global ce qui ne permet pas de comparer réellement aux périodes précédentes. Le panorama des investissements climat du Think Tank I4CE donnait une estimation d’environ 3 milliards d’euros annuels pour les aides nationales à la rénovation énergétique des logements privés. Or malgré les montants annoncés par le Grand Plan d’Investissement à l’automne, il est difficile de mesurer financièrement l’effort additionnel de l’Etat qui viendrai soutenir cette priorité nationale affirmée.

Un plan qui doit sortir renforcé de la consultation

On peut estimer que chaque année 50 à 70 000 passoires énergétiques occupées par des ménages en précarité énergétique sont rénovées. Pour en rénover 150 000 par an il faudra nettement renforcer le plan proposé. De plus, l’approche retenue dans le plan qui privilégie une approche par palier (sortir du F&G en priorité, en gardant « à terme » l’objectif BBC) peut être entendue, mais impliquera dans la fixation et l’évaluation des objectifs de distinguer les actes de rénovation qui pourront se succéder sur un logement, de la rénovation complète et suffisante d’un logement qui est la manière la plus efficace, durable et rentable de lutter contre la précarité énergétique.

Danyel DUBREUIL – Coordinateur de l’Initiative Rénovons !

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