Toitures végétalisées : comment suivre et modéliser les performances

5481 Dernière modification le 30/09/2019 - 13:56
Toitures végétalisées : comment suivre et modéliser les performances

Les toitures végétalisées se sont développées rapidement ces dernières années. Au risque d’oublier qu’elles sont des écosystèmes à part entière qu’il est nécessaire de surveiller. Avec sa plateforme expérimentale située sur les agences de Nancy et de Trappes, le Cerema propose d’accompagner les utilisateurs en modélisant le vieillissement et en menant différents projets de recherches, notamment sur l’association du végétal et des panneaux photovoltaïques. Retours d’expérience et explication des enjeux avec Rémy Claverie, chargé de recherche sur le site Cerema de Nancy.

1- Nous parlons souvent indifféremment de végétalisation des bâtiments, de façades végétalisées et de toitures végétalisées, mais que signifient ces termes ?

C’est un monde plutôt vaste et, avec les nouveaux enjeux de la ville que sont l’adaptation au changement climatique, le rafraîchissement et la biodiversité, de nombreuses techniques sont mises en œuvre. Pour ne parler que des bâtiments, on peut ainsi séparer les toitures des façades végétalisées. Au Cerema, par exemple, nous travaillons sur les toitures pour l’instant, mais les façades peuvent aussi faire partie de notre périmètre d’action. Du fait des surfaces disponibles et des besoins de modélisation, nous recherchons notamment des partenaires pour instrumentaliser des bâtiments.

Pour en revenir aux façades à proprement parler, elles sont végétalisées depuis longtemps. Je pense aux murs vivants des maisons de nos grands-parents, constitués de plantes en pleine terre grimpantes, comme le lierre, ou les plantes que l’on guide, comme les vignes, les rosiers, etc. Plus récemment, les murs végétalisés sont apparus. Ils sont constitués de bacs accrochés en façade, ou de sortes de parpaings ouverts sur le devant pour accueillir du végétal. Plusieurs solutions sont proposées par les industriels.

Si l’on s’intéresse aux toitures, celles-ci peuvent prendre énormément de formes. On pense souvent aux toits plats, mais il est possible de créer une infinité de toitures végétalisées. Tant que la pente ne dépasse pas les 30°, la mise en œuvre est relativement simple. La principale différence est celle de la technique employée. Au-delà d’une certaine pente, on doit recourir à des bacs et potentiellement à l’irrigation si la rétention des eaux n’est pas suffisamment importante. Pour la plupart des toitures végétalisées, celle-ci n’est cependant pas nécessaire en France.

toiture végétalisée sur plateforme Cerema de Trappes

 

2- Qui dit toiture végétalisée, dit terre et plante, pouvez-vous nous en dire plus ?

Attention, on ne parle pas de terre, mais de substrat ! Sur une toiture, sauf cas particulier pour les toitures intensives qui se rapprochent de ce que l’on appelle communément des jardins suspendus, on ne dépose pas de la terre pour ensuite semer des plantes. Une toiture végétalisée est constituée de plusieurs couches, séparées par des géotextiles, sur lesquelles on plante des végétaux ou des mousses issues de cultures sous serres.

 

Les substrats sont différents selon le type de toiture. On les sépare généralement en trois types :

  • Les toitures extensives de faible épaisseur (entre 3 et 15 cm) qui sont composées en règle générale de 80% de matière minérale, comme la pouzzolane. Cette pierre volcanique permet d’assurer la rétention d’eau. Les 20% restants sont alors constitués de matière organique comme la tourbe. Ceci reste un exemple, car des recherches sont en cours sur d’autres types de substrats. Côté plantations, on peut trouver sur une toiture extensive des graminées, de la mousse et, selon l’épaisseur du substrat, des plantes vivaces.
  • Les toitures semi-intensives ont un substrat de 60 à 80 cm. Cela permet de tendre vers un fonctionnement plus proche de la nature et d’augmenter progressivement la quantité de matière organique. Sur ce type de toiture, on peut planter des plantes arbustives par exemple.
  • On parle généralement de toitures intensives à partir de 80 cm d’épaisseur de substrat. Pour la rétention d’eau, on se rapproche fortement d’un sol naturel, ce qui permet de se passer de matière minérale. On peut par ailleurs planter presque tous les types de plantes, en veillant à ce que celles-ci n’endommagent pas la toiture voire la structure du bâtiment, comme par exemple avec les racines d’arbre. Sur notre plateforme de Nancy, un bouleau est à proximité et, chaque printemps, nous devons veiller à enlever les jeunes pousses.

 

3- Quels sont les bénéfices d’une toiture végétalisée ?

Historiquement, la toiture végétalisée est utilisée pour une meilleure gestion des eaux pluviales et l’isolation, mais il en existe bien entendu d’autres.

Concernant la gestion des eaux, elles permettent de gérer la quantité d’eau en sortie du bâtiment. Cette dernière est souvent réglementée au travers du PLU. Avec une capacité de rétention annuelle de 50 à 70% et un écoulement retardé, la toiture est la solution qui répond à ce besoin.

Pour l’isolation, je serai plus prudent. Le fait de rajouter une couche a toujours une incidence sur celle-ci. Néanmoins, sur des bâtiments correctement isolés en amont, le bénéfice est plus discutable, bien que le coût moyen d’une toiture extensive se situe entre 30€ et 160€.

Aujourd’hui, on met en avant d’autres intérêts des toitures végétalisées, notamment celui de la biodiversité. Sur ce point, il est important de faire attention à l’épaisseur du substrat que l’on emploiera, car l’éventail des plantes dépend bien entendu des ressources et des possibilités de développement des racines. On peut aussi penser à des parcs et jardins récréatifs, qui ont en plus l’avantage de constituer des îlots de fraîcheur bénéfiques à l’échelle du quartier en période de canicule. Ce que nous faisons sur nos plateformes, c’est aussi de la modélisation afin de savoir quel est l’impact d’une toiture sur son environnement en étudiant les échanges thermiques.

 

4- Existe-t-il des restrictions à l’usage des toitures végétalisées ?

J’en vois peu. La principale est peut-être celle des monuments historiques, mais cela peut évoluer. Ceci dit, on peut utiliser ce type de solutions même en rénovation, car le poids d’une toiture varie de 30 à 150 kg/m2 pour de l’extensif, jusqu’à 800 kg/m2 pour de l’intensif. Si les bâtiments plus récents, dont la toiture a été conçue pour recevoir de l’isolation, sont plus faciles à équiper, il n’y a que très peu de cas où le poids est un problème. Quand un charpentier monte sur un toit en bon état, il se préoccupe rarement de savoir si son poids au mètre carré pourra être supporté ou pas ! Bien sûr, avec les bâtiments modernes, construit selon des normes claires, les modélisations sont bien plus simples.

Enfin, concernant l’entretien, celui-ci est extrêmement simple. Il se résume à enlever une à deux fois par an les plantes qui portent préjudice et, sauf pour l’intensif, l’irrigation n’est pas nécessaire en France. Nous mélangeons des sédums et des graminées qui résistent bien aux différents stress hydriques et thermiques ; la toiture peut cependant être colonisée par des plantes plus fragiles qui se redéveloppent à certaines époques de l’année.

 

5- De quels équipements disposez-vous au Cerema pour étudier les toitures végétalisées ?

La plateforme du Cerema se trouve sur deux sites : Nancy, où nous disposons de 600 m2 de toitures, et Trappes, où 210 m2 sont instrumentalisés. Le fait d’avoir deux sites différents nous permet de confronter des résultats sur des lieux disposant de climat et d’expositions différentes.

Chaque site compte différentes parcelles. Elles sont ainsi au nombre de 9 à Nancy et de 6 à Trappes, équipées de capteurs nous permettant de dresser des bilans hydriques, de performance de rétention et d’isolation. Suivant les parcelles en cours, nous disposons de différents types de substrats et de végétations.

Ce qui nous intéresse aujourd’hui est d’apporter des réponses sur les performances des toitures et l’évolution de celles-ci dans le temps. Il se pose en effet en moyenne un million de mètres carrés de toitures végétalisées en France chaque année, mais on fait encore peu de modélisation et de recherches sur ces aspects. Avec des premiers projets lancés en 2012, nous avons déjà un vrai retour d’expérience.

 

6- Quels sont vos partenaires ?

À l’heure actuelle, deux thèses sont en cours sur nos plateformes. La première s’intéresse aux performances sur le long terme, avec des techniques de vieillissement des matériaux et de la modélisation. La deuxième, qui débutera en décembre en partenariat avec le CSTB, Efficacity et l’université de Lorraine, porte sur l’association de toitures végétalisées et de panneaux photovoltaïques. Elle est à mon sens très prometteuse, dans la mesure où ce sont des techniques qui répondent à des enjeux parfois antagonistes. En effet, là où se trouve un panneau solaire, il n’y a généralement plus la place pour du végétal et vice-versa. La complémentarité doit pourtant être recherchée puisque l’on sait qu’un panneau photovoltaïque a un meilleur rendement quand sa température est maintenue au-dessous d’un certain seuil, ce que permet le couvert végétal.

En parallèle de ces projets de recherches aidés par l’ANR ou l’ADEME, nous développons une offre de services pour les industriels, les collectivités locales ou les promoteurs immobiliers. Il y a une réelle demande et nous sommes en mesure de réaliser des diagnostics ou d’accompagner nos clients dans leurs choix techniques.

Au niveau des diagnostics, ces derniers sont parfois urgents. Le développement rapide des écoquartiers a notamment favorisé la végétalisation et beaucoup de parties prenantes de ces projets s’interrogent aujourd’hui sur la pérennité, l’entretien, la gestion des plantes invasives ou les niveaux de performances de leurs équipements.

 

Propos recueillis par Clément Gaillard - Construction21

 


Pour en savoir plus :

Sur la plateforme des sites de Nancy et Trappes:

 

Sur l’activité du Cerema sur les toitures végétalisées et façades végétalisées :

 

Le Cerema sera présent au salon Bâtimat, Stand 6-H044: l'occasion de découvrir ses projets de recherche dans le domaine du bâtiment, ses publications et actions de diffusion des connaissances auprès des milieux professionnels, ses modes d'intervention auprès des acteurs du bâtiment.

 

Thématiques des produits et innovations présentés sur son stand :

Lundi 4 après-midi et mardi 5 : Concevoir les bâtiments autrement : comment gagner le pari sur les performances environnementales et thermiques du bâti ? (réhabilitation du patrimoine ancien, mesures et performances du bâtiment E+C-, matériaux bio-sourcés, la nature comme condition de performance des bâtiments…)

Mercredi 6 : Stratégies  immobilières pour limiter et anticiper les changements climatiques (Cube.S, contrats de performance énergétique, projets Carnot…)

Jeudi 7 : Pour une meilleure qualité des environnements intérieurs (accessibilité du cadre bâti et de la chaîne de déplacement, qualité de l’air intérieur, systèmes de ventilation…)

Crédit photo : Cerema Nancy (photo principale) et Trappes

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