Retour d’expérience : mise en place d’un microgrid résilient dans le cadre du projet Nice Smart Valley

Rédigé par

Hélène MEYER

Responsable communication et marketing

5217 Dernière modification le 01/07/2020 - 11:17
Retour d’expérience : mise en place d’un microgrid résilient dans le cadre du projet Nice Smart Valley

Baptisé Lérins Grid, le microgrid intelligent de l’île Sainte-Marguerite au large de Cannes est une expérimentation grandeur nature de ce type de réseau destiné à éviter toute coupure d’électricité. Retour d’expérience sur la genèse du projet en compagnie de Gilles Rocchia, direction innovation et nouveaux marchés pour Socomec SAS, co-auteur de cet article. Ce dernier sera présent lors de Build and Connect, colloque international du bâtiment durable qui se tiendra à Strasbourg en novembre 2020.

 

Contexte : les enjeux de la distribution électrique en France

La caractéristique principale du réseau électrique français est sa centralisation. Le réseau est géré par deux acteurs : RTE et Enedis. Le premier est en charge des grands axes, tandis que le second prend le relai sur les plus petits. A de rares exceptions, ces réseaux sont destinés à acheminer l’électricité produite dans de grosses unités, réparties sur l’ensemble du territoire français certes, mais avec un maillage plus ou moins distendu selon les zones.

Cette centralisation présente un inconvénient : quand le réseau tombe, tout tombe. Même les territoires qui produisent de l’énergie localement sont touchés en cas de coupure. Bien que le réseau français soit de bonne qualité, avec peu de coupures, certaines régions demeurent sensibles. Cela dépend de la distance avec les grands axes du réseau, mais aussi des zones traversées par les lignes. Dans le Limousin, par exemple, beaucoup de lignes aériennes sont en bordure de forêt. Le risque d’isolation électrique est fort en cas de tempête ou de chute d’arbre.

 

Des Microgrids résilients contre l’isolement électrique

Ce nouveau type de réseau est couplé avec des systèmes de stockage électrique -batteries ou toute autre technologie- pour servir de soutien. En cas de coupure, ce système de stockage prend le relais automatiquement et évite de devoir faire repartir le réseau manuellement. Cependant, cela reste un système d’urgence. S’il n’y a pas suffisamment de production locale d’énergie, les clients vont devoir faire attention à ne pas trop consommer le temps que le réseau général se remette en route. C’est pourquoi, cette nouvelle manière d’envisager le réseau dépend de la capacité à développer des systèmes de stockage à grande capacité pour devenir une alternative pleinement satisfaisante. L’horizon est néanmoins à court terme, puisque la batterie peut être remplacée ou épaulée par des technologies au développement déjà très avancé comme le stockage hydrogène. Ce dernier est encore coûteux, mais les investissements du secteur automobile notamment devrait rapidement faire baisser les coûts.

La complémentarité de ces solutions est intéressante dans la mesure ou la batterie lithium-ion permet de stocker de l’énergie pendant quelques jours, alors que l’hydrogène la conserve sur le long terme. Les piles hydrogènes mettent du temps à se lancer, à accélérer, à s’arrêter, là où le lithium-ion est plus réactif.

 

Application concrète : Nice Smart Valley et les îles de Lérins

Le projet de Nice Smart Valley a pour objectif d’expérimenter un micro-réseau électrique intelligent, pour optimiser le système électrique à l’échelle locale. Partenaires privés et publics avancent main dans la main dans ce projet : EDF, ENGIE, Enedis, GRDF, GE, Socomec et la Métropole Nice Côte d’Azur.

 

Les îles de Lérins

Un des points d’attention du projet est l’alimentation des îles de Lérins. Ces îles sont rattachées au réseau électrique via des câbles sous-marins. Elles connaissent des coupures de courant régulièrement, notamment à cause des ancres des bateaux, qui peuvent arracher les câbles. L’objectif est donc de développer un réseau de secours sur lequel s’appuyer en cas de coupure, afin de limiter l’isolement électrique des îles. Le système en place reposait sur des groupes électrogènes thermiques, qui demandaient donc une réserve d’essence et un entretien régulier pour être en mesure de prendre le relai à n’importe quel moment.

 

Une nouvelle technologie mise en œuvre à l’échelle 1

Deux stockeurs ont été mis en place pour pallier ce problème. Ils se synchronisent, et communiquent entre eux. L’ensemble est piloté à distance, depuis une centrale basée à Toulon. Cela permet de planifier les interventions sur le réseau, de passer rapidement de l’îlotage à la connexion au réseau général. La mise en place des stockeurs est également rapide : une fois connecté sur le réseau basse tension, le système est opérationnel en quelques heures.

En parallèle de sa fonction de stockage, ce réseau alimenté par des panneaux photovoltaïques renforce l’autonomie énergétique des îles et pilote la charge des véhicules électriques. L’optimisation de la gestion de l’énergie, permet aussi de réduire les dépenses énergétiques, notamment en période de pointes électriques.

 

Développer un nouveau modèle juridique

Le système ayant donné entière satisfaction sur le plan technologique, les freins à son développement sont aujourd’hui d’ordre réglementaire. Dans la réglementation européenne, le distributeur d’énergie et le producteur d’énergie doivent être deux entités distinctes. Seulement, le système de stockage implique à la fois de distribuer et de produire. Dans le projet Nice Smart Valley, il a donc fallu mettre en place un modèle juridique qui réponde à cette problématique. La solution trouvée est la suivante : Enedis -le distributeur- peut prendre la main sur la gestion des stockeurs en cas de coupure et donc devenir temporairement producteur. Quand la situation revient à la normale, les gestionnaires d’origine, comme Engie, reprennent leur rôle. Ainsi, distributeur et producteur d’énergie sont bien dissociés. Sur les deux stockeurs présents sur les îles de Lérins, un appartient à Engie et l’autre est sous appartenance Enedis par dérogation.

 

Les microgrids résilients : un modèle voué à se généraliser

Un intérêt international

Si les microgrids résilients sont intéressants pour la France, d’autres pays peuvent également y trouver de l’intérêt. Les Etats-Unis, par exemple, ont un réseau moins performant qu’en France, et sont friands du concept de microgrid résilient. Mais ce type de fonctionnement peut également être utile dans les pays en voie de développement, afin d’avoir de l’électricité au niveau local. En couplant éolien, photovoltaïque et stockeurs, il est possible de mettre en place en réseau viable. Une fois les réseaux locaux installés, ils peuvent être reliés entre eux, pour créer un réseau plus grand. En Afrique notamment, cela permettrait de s’appuyer sur des réseaux locaux simples d’exploitation pour reconstituer un réseau national plus résilient.

 

Une équation coût/bénéfice à trouver

Les microgrids peuvent également servir d’appui pour se diriger vers des systèmes d’autoconsommation collective, qui répondent à de nombreux enjeux énergétiques. Cependant, il y a encore de nombreux freins à cette transition. Par exemple, le coût d’usage du réseau est trop important en France, ce qui encourage plutôt l’autoconsommation individuelle. De plus, les systèmes de stockage, s’ils ne sont pas utilisés régulièrement, ne sont pas rentables. Il faut donc aller au-delà de leur simple fonction de système d’urgence. Mutualiser les services pourrait permettre de réduire les coûts, et donc de développer le recours à cette technologie.

 

Flexibilité et diversification des usages

Le travail mené sur les microgrids résilients et les moyens de stockage est en effet bénéfique pour d’autres domaines que celui des réseaux d’énergie. L’hydrogène par exemple peut être facilement associé à un réseau de chaleur, ou de transport. Ce dernier secteur est aussi intéressant pour le stockage via des batteries électriques. Celles-ci permettent une flexibilité importante. Par exemple, lors du développement d’un réseau de transport en commun, la position des terminus de bus est parfois expérimentale. En les équipant de bornes de recharge temporaires, le tracé de la ligne est modifiable sans investissements conséquents.

 

Crédit photo : licence Creative Commons Attribution

Propos recueillis par l'équipe Construction21

 

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