Rénovation passive dans Paris : REX de 2 projets exemplaires

Rédigé par

La Maison du Passif

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3175 Dernière modification le 07/05/2018 - 10:03
Rénovation passive dans Paris : REX de 2 projets exemplaires

Conservation du patrimoine, site contraint… : la rénovation dans Paris constitue un grand défi. Nous vous proposons d’examiner deux projets passifs qui relèvent le challenge haut la main.

Rue de la Réunion, nous découvriront un ensemble de deux bâtiments isolés par l’extérieur. Rue de Marseille, la réhabilitation concernera, elle, un appartement isolé par l’intérieur. Un projet est terminé, l’autre en cours de réalisation. Tous deux sont en site contraint et nous exposent l’expérience de la rénovation passive qui ne se voit pas, où la performance énergétique du bâtiment s’allie à la préservation du patrimoine.

Rue de la Réunion (Paris 20e) : deux immeubles passifs

Ici, le maître d’ouvrage souhaitait réhabiliter ces bâtiments au standard passif en limitant les charges de chauffage des locataires tout en restant économiquement viable.

Pour que la ville de Paris valide le projet, l’architecte Laurence Bonnevie, en charge du chantier, s’est adressée aux Architectes des Bâtiments de France (ABF), en proposant une reconstitution de la façade du bâtiment sur rue à l’identique, tout en permettant une isolation par l’extérieur.

Une planification complexe

Ce projet en site occupé s’est étendu sur plusieurs années à partir de 2012, en ayant recours à des logements tiroirs. La gestion des locataires a rendu l’organisation du projet longue et complexe.

Afin de gérer les fluides simplement, il avait été prévu de travailler sur des colonnes entières d’appartements. Mais le blocage du relogement d’un seul locataire a conduit à travailler appartement par appartement au début du chantier puis de façon plus regroupée. Ainsi plusieurs appartements ont été complètement réhabilités pour permettre de reloger les premiers locataires.

Laurence Bonnevie nous parle des difficultés que cela a pu engendrer lors des tests d’étanchéité à l’air,  indispensables en fin de travaux :

« Nous avions raisonné à l’échelle du bâtiment, sans anticiper les difficultés de relogement. Aussi, les tests n’ont pas pu être pratiqués sur l’ensemble du bâtiment. Nos tests intermédiaires étaient partiels avec une zone adjacente en cours, des appartements occupés voisins et donc toujours imparfaits. »

Une difficulté dont elle a tiré une leçon : « En site occupé, nous travaillons maintenant l’étanchéité à l’air sur chaque logement comme s’il était unique, de façon à pouvoir vérifier chaque zone indépendamment. »

Deux méthodologies pour chaque produit

Le chantier ayant été progressif et ayant porté sur deux bâtiments, les solutions techniques ont évolué et ont permis d’expérimenter et d’améliorer les méthodes au fil du projet. La conservation de l’aspect patrimonial a également été une contrainte très enrichissante.

Pour l’étanchéité

Deux types de pose ont été envisagés. L’utilisation de mousses trio avec une pose en tunnel, mise en place dans la première série de fenêtres, s’est révélée peu adaptée. « Nous avons constaté de gros écarts d’équerrages des tableaux de fenêtres », explique Laurence Bonnevie. Il est impératif de prendre la mesure des compétences de l’entreprise et de son investissement face au passif. Certains produits sont plus exigeants que d’autres et ne pardonnent pas l’à peu près.

Pour la deuxième série de fenêtres, une méthode différente a permis une mise en œuvre plus évidente avec des membranes duo dont un côté à maroufler dans l’enduit. L’équerrage des tableaux ne posaient également plus de problème avec cette méthode.

Pour la ventilation double flux

La typologie répétitive des logements a permis de tester 2 types de double flux destinés aux petites surfaces. Les appartements étaient presque tous des deux pièces à l’exception de deux studios.

Pour des raisons de coût, il a fallu s’orienter vers des systèmes individuels :

« Il existait peu de modèles de petites tailles en France à l’époque et aucun certifié, rappelle l’architecte. Dans le bâtiment sur cour, nous avons utilisé des doubles flux par pièce, à cœur de céramique (flux inversé), encastré dans le mur de façade. Le modèle posé s’est avéré trop complexe d’entretien pour du locatif. »

Un autre modèle a été envisagé pour le bâtiment sur rue :

« Le moteur était encastré dans le mur de façade avec un réseau de gaines classique. Les bouches d’entrées et de rejets d’air pouvaient être positionnées en tableaux de fenêtres, ce qui était un avantage esthétique indéniable en réhabilitation patrimoniale. »

La rénovation : une véritable leçon

De nombreux points sont à surveiller étroitement en réhabilitation passive, comme le détaille Laurence Bonnevie : « L’étanchéité à l’air peut s’avérer complexe, certaines zones étant inaccessibles telles que l’intérieur des planchers, les murs pignons, les conduits de cheminées, les remontées capillaires, les planchers en rez-de-chaussée, ou encore l’isolation des bas de murs. »

Pour la ventilation, le projet a également mis en évidence que la simplicité d’entretien et le débit de la ventilation sont des critères primordiaux : « Le débit doit pouvoir être augmenté sans nuisances acoustiques.  L’accès aux filtres doit être simple et rapide. En locatif, l’idéal reste la ventilation collective avec des filtres accessibles dans les parties communes. »

Une autre grande leçon apprise sur ce chantier a été de ne travailler qu’avec du matériel certifié pour les bâtiments devant aller jusqu’à la labellisation. En termes de performance ou d’étanchéité à l’air, le matériel a été testé. Il n’y a pas de surprises concernant l’étanchéité à l’air des réseaux ou des parclose de fenêtres.

Gestion de l’humain

Gérer les locataires

Dans ce type de réhabilitation en site occupé, le plus compliqué à gérer reste le facteur humain. On conserve l’ancienne population qui possède ses habitudes difficilement modifiables. Une anecdote illustre le maintien des anciennes pratiques :

« Avant la rénovation de l’immeuble, il n’y avait pas de portes dans les cages d’escalier donnant sur la cour. Après les travaux, nous avions clos le volume chauffé avec des portes triple vitrage. Mais nous avons pu voir que les anciens occupants maintenaient les portes ouvertes. A leurs yeux, les portes constituaient une gêne pour les poussettes ou les caddies. »

L’immeuble traversant est évidemment encore plus pénalisé malgré les fermes portes installés.  Les habitudes et l’aspect pratique prennent le pas sur l’aspect thermique.

Le retour d’expérience montre qu’on ne communique jamais assez. Il est nécessaire d’expliquer aux occupants et de laisser un document qui sera transmis aux nouveaux locataires dans le futur. Ce livret doit regrouper les modes d’emploi et les conseils, peut-être même une explication des choix. Les documents doivent être simplifiés pour être accessibles à un public non averti.

La sur-ventilation nocturne n’est pas une évidence. Il est nécessaire de rappeler qu’il faut fermer les fenêtres l’été pendant la journée pour éviter que l’air chaud ne pénètre et les ouvrir pendant la nuit pour rafraîchir.

« Les premiers logements réhabilités ont été occupés pendant le chantier et nous avons pu voir que certains anciens locataires avaient du mal à accepter les bouches de ventilation. Les bouches d’entrée d’air étaient synonymes d’air froid malgré les explications sur la double flux et elles ont été fermées soigneusement dans l’un des appartements. L’immeuble n’étant encore que partiellement isolé, la condensation est apparue très vite sur les zones froides et les pathologies ont été immédiates. Cette expérience nous a appris qu’il fallait éviter que la ventilation puisse être facilement fermées ou obturées et nous avons modifié les installations suivantes en ce sens. »

La leçon tirée par l’architecte est que la communication et le suivi des bâtiments sont essentiels pour la réussite de l’opération dans le temps.

Gérer les prestataires

En termes de main d’œuvre, le chantier a fait face à 7 liquidations d’entreprises.

Le savoir-faire acquis se perdait à chaque changement d’entreprise :

« Nous réexpliquions en permanence la mise en œuvre pour pallier au manque de connaissances des artisans. Les sous-traitants ont également été remplacés à plusieurs reprises.  On a, de plus, subi un turn over permanent des équipes, chefs et ouvriers, avec une perte importante des acquis qu’il fallait reformer.

Une expérience qui a permis de mettre en place un process pour la suite  : « Pour les chantiers suivants, afin d’éviter ces remplacements intempestifs, nous avons ajouté une clause précisant qu’en cas de changement du chef d’équipe, une formation passive de type CEPH-A serait immédiatement à la charge de l’entreprise. Cette clause a, pour l’instant, été dissuasive. »

Et la satisfaction ?

Sur le plan thermique, cette réhabilitation tient ses promesses. En interrogeant les occupants au premier hiver, la moitié n’avaient pas chauffé leur logement.

Et le boulanger installé en rez-de-chaussée est très satisfait de son local qui est à la température parfaite pour faire monter sa levure !

Rue de Marseille (Paris 10e) : un appartement passif sous les toits

Au 6ème et dernier étage d’un immeuble parisien, des travaux vont bientôt débuter pour réhabiliter un appartement de style haussmannien. Réalisé pour un usage mixte, les locaux serviront de salle de réunion ainsi que d’hébergement pour l’activité parisienne du cabinet d’Architecture Rivat.

C’est de nouveau l’architecte Laurence Bonnevie qui  assurera le suivi de chantier. Visant le niveau EnerPhit, l’appartement ne se distinguera pas des autres, au moins visuellement. La rénovation sera lourde, puisque, pour répondre à une dynamique de modularité, l’appartement sera réduit à l’état de plateau. Pour respecter le caractère classé, le projet sera isolé par l’intérieur et opérationnel à la Toussaint 2018. D’après Julien Rivat :

« Ici la performance énergétique ne doit pas se voir. La préservation du patrimoine passe avant la performance énergétique du bâtiment. Dans cette optique, au prix du m2 parisien, il fallait préserver un maximum de place. »

Originaire de Saint Etienne, Julien Rivat constate la différence avec projets parisiens et stéphanois. Dans sa ville d’origine, les projets sont largement dimensionnés et le passif permet d’optimiser l’espace. L’approche est plutôt concentrée sur le temps de retour sur investissement puis sur le confort. A l’inverse, sur Paris, on privilégie d’abord le confort puis le temps de retour sur investissement.

Les étapes de la rénovation

Partie classique de gestion immobilière

Comme tout projet immobilier, celui-ci comprendra :

  • Achat et maîtrise foncière
  • Autorisations de la copropriété avec acquisition des parties communes et achat des combles
  • Autorisation pour la démolition d’un mur porteur (du plafond qui sera démolit)
  • Raccordement de l’appartement aux eaux usées pour installer des sanitaires dans l’appartement

Partie passive du projet

En outre, il devra inclure une réflexion spécifique au passif :

  • Démolition d’un mur et d’une partie du plafond sous rampant pour passer d’une hauteur de 2,50 m à 3,50 m
  • Mise à nu de l’appartement
  • Isolation sous vide
  • Installation des réseaux (plomberie, électricité, etc…)
  • Création d’une mezzanine de couchage avec sa structure
  • Isolation complète
  • Peintures et finitions

Une isolation la plus fine possible

L’isolation par l’intérieur réclame de trouver des composants les plus fins possibles. C’est pourquoi l’architecte a fait appel à un isolant sous vide.

Ce matériau permet en effet de réduire à 10 cm la couche d’isolant nécessaire, au lieu de 24 cm habituellement. Seule contrepartie, ces panneaux ont la particularité d’être d’un seul tenant et ne peuvent être coupés. Pour simplifier son utilisation, cet isolant est livré avec une protection mécanique de 1 mm de blindage, pour empêcher les forets de passer. Ainsi, même un clou planté dans le mur ne traverse pas. Par le fait qu’il n’y ait pas de fibre, l’installation de cet isolant sous vide est très rapide, ce qui constitue un avantage supplémentaire. On peut facilement établir un calendrier en respectant le principe : une journée / une pièce.

Pour voir les détails complets cliquez ici.

Une membrane décalée du voligeage assure l’étanchéité au vent, tout en préservant la circulation de l’air sous volige. Celle-ci s’appuie sur les chatières existantes, indispensables pour les toits en zinc (risque de condensation).

L’étanchéité à l’air est assurée par une membrane dédiée et par le scotch positionné sur les joints au niveau des plaques d’isolant sous vide.

Des équipements aux nouvelles possibilités

Une ventilation sous emplacement stratégique

« Dans un appartement comptant 25 m² au sol avec un bureau, une chambre, une douche et tout l’électroménager, nous avons choisi de placer le système de ventilation au-dessus de la salle d’eau », explique Julien Rivat.

Pour exploiter au mieux le volume et éviter une perte d’emprise au sol, la technique du lever en 3D avec un scanner a été utilisée. Cette ventilation très silencieuse possédera un faible débit  pour s’assurer qu’elle consomme très peu d’énergie. Elle aura une position en mode absence et un panneau de commande permettra d’activer la vitesse supérieure quand l’occupant sera présent.  Ce système est calculé pour être le moins énergivore possible.

Sols et fenêtres, une installation spécifique

En bois, triple vitrage et certifiées par le Passivhaus Institut, les deux fenêtres sont faites sur mesure. Dans ce projet, la spécificité parisienne a réclamé une petite adaptation, soit un raccord au niveau de l’isolant. La fenêtre débordera ainsi de l’isolant. L’isolant sera ramené sur la partie latérale. Comme les fenêtres sont placées non loin des combles, la structure en ossature bois des combles permet de glisser de l’isolant autour du cadre de la fenêtre.

« A ce stade, les ponts thermiques ont été calculés et valident cette utilisation, précise Julien Rivat. Nous savons que nous devrons faire face à une forte contrainte logistique pour approvisionner ces fenêtres lors de leur installation. Le triple vitrage pèse très lourd et nous comptons sur l’espace de la cage d’escalier pour hisser la baie vitrée jusqu’au 6ème étage. »

Pour le sol, les tomettes actuellement présentes seront retirées le long des murs de façade, des bandes de 60 cm de large seront ainsi décaissées sur 4 cm pour pouvoir disposer de l’isolant sous vide. Du liège sera utilisée sur tout l’appartement pour isoler tant thermiquement que phoniquement.

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