REGARD // Le centre d’accueil pour migrants de la Chapelle

4670 Dernière modification le 27/09/2017 - 10:49
REGARD // Le centre d’accueil pour migrants de la Chapelle

En novembre 2017, le salon Batimat lance, en partenariat avec la revue l’Architecture d’Aujourd’hui, la première édition de « REGARD SUR L’ARCHITECTURE », un ouvrage et un cycle de conférences inédits pour réfléchir sur la place de l’habitant / de l’usager au sein du projet architectural. Le centre humanitaire d’accueil pour migrants de la porte de la Chapelle (Paris), livré en octobre 2016 par Julien Beller, fait partie des projets publiés.

Le premier lieu d’accueil pour réfugiés de la capitale créé sous l’impulsion de la maire de Paris Anne Hidalgo a ouvert fin 2016 sur une emprise de la SNCF, boulevard Ney. Confrontée à un flux migratoire sans précédent, la ville a confié à l’architecte Julien Beller la conception de ce centre humanitaire. L’Architecture d’Aujourd’hui avait rencontré, quelques jours avant l’ouverture, cet architecte qui milite pour le mieux-vivre.

L’Architecture d’Aujourd’hui : Vous avez été missionné le 15 juillet 2016 pour concevoir le centre d’accueil promis par Anne Hidalgo avant l’été pour une livraison trois mois plus tard. Comment avez-vous été appelé sur ce projet humanitaire et comment l’avez-vous mené ?

Julien Beller : Cela fait plus de dix ans que je travaille sur des projets similaires, sur l’accueil des gens du voyage ou les installations informelles à Saint-Denis notamment. Patrick Bouchain m’a mis le pied à l’étrier et c’est lui qui a suggéré mon nom pour ce projet. Je n’ai pas hésité : enfin une impulsion politique pour accompagner les efforts de la société civile ! Il ne s’agissait pas de concevoir un simple camp : c’est pour le mieux-vivre que je m’engage. Dès ma rencontre avec le maitre d’ouvrage et futur gestionnaire, Emmaüs Solidarité, nous nous sommes compris sur les objectifs ambitieux du projet. En tant que maître d’œuvre, j’ai ramené le BET l’Atelier Des Fluides, le BET structure étant missionné par la Ville de Paris. Étant président de l’association le 6B réunissant 170 résidents dans un lieu de culture et de création autogéré à Saint-Denis, je n’ai pas eu de mal à trouver différents profils pouvant participer immédiatement au projet. Parmi lesquels l’agence Harappa pour la coordination du projet, Frédéric Keiff, ancien membre du collectif EXYZT spécialisé en échafaudages, Florence Meunier, spécialiste de la confection textile pour structure en toile…

AA : Combien de temps a duré la phase de conception ?

Julien Beller : Toutes les phases ont été menées en même temps. Nous avons élaboré des esquisses et nous appelions les entreprises dix jours plus tard, tout en produisant les pièces administratives. Mais il a fallu attendre de consulter les entreprises pour stabiliser un scénario. C’est-à-dire faire le choix d’éléments préfabriqués et de réutiliser des éléments existants pour à la fois tenir les délais mais aussi pour anticiper le démontage, le centre étant prévu pour durer 18 mois. C’est en effet sur ce site qu’est prévue la construction du futur campus Condorcet. Alors qu’il était en démolition il y a quelques mois, la Ville de Paris a choisi d’arrêter le chantier pour permettre la réutilisation d’une halle de 9 000 m² présente sur le site, décision surprenante mais tout à fait judicieuse permettant d’utiliser le foncier disponible à Paris.

AA : Comment est organisé ce centre prévu pour 400 personnes et pouvant accueillir jusqu’à 600 réfugiés ?

Julien Beller : Il compte trois Établissements Recevant du Public (ERP) : un pôle destiné à l’accueil et à l’orientation des personnes qui s’y présentent, un pôle santé et, dans la halle réhabilitée, un pôle hébergement réservé aux hommes, les femmes et enfants étant dirigés vers les circuits existants, et notamment vers le centre qui devrait être construit à Ivry-sur-Seine avant la fin de l’année. Le pôle d’accueil, à l’entrée du site, est composé d’une structure gonflable réalisée avec le spécialiste Hans Walter Müller. Cette bulle de 13 mètres de haut et 35 mètres de large abrite les espaces d’attente et deux étages de conteneurs maritimes transformés en bureaux et espaces d’accueil. Le pôle santé est composé de 14 conteneurs, au milieu desquels une charpente recouvre un espace d’attente accessible aux personnes éligibles au centre d’hébergement, pour des séjours allant de cinq à dix jour.

AA : Ces structures temporaires peuvent être démontées en combien de temps ?

Julien Beller : Il faudrait compter un mois. Il est important d’exploiter ce foncier disponible ne serait-ce qu’un temps pour offrir des espaces d’accueil éphémères mais dignes. Le centre est prévu pour durer 18 mois. Si nous avons conçu un projet démontable et déplaçable, nous avons aussi pensé quelque chose de solide, qui pourrait durer jusqu’à vingt ans. Il ne s’agit ni d’un gymnase rempli de lits ni d’un immeuble de logements sociaux, mais bien d’un ERP type O. On y fait place à des espaces de convivialité – terrasses, bancs, terrains de foot – et nous avons organisé le centre en huit quartiers répartis autour de rues. Chaque quartier de 50 personnes comprend un réfectoire en structure échafaudages supportant des toiles tendues, un conteneur transformé en bloc sanitaire avec 8 douches et 8 toilettes, sans oublier les chambres pour 4 en ossature bois recouverte d’une bâche de chapiteau. Il y a aussi des services mutualisés, des buanderies, des espaces accessibles aux associations. À chaque quartier sa couleur et nous avons pensé un langage graphique, des pictogrammes compréhensibles par tous. Nous voulions d’un projet généreux, loin de tout misérabilisme. Nous avons conçu non pas un camp mais un centre de mise à l’abri temporaire, qui comptera 80 salariés d’Emmaüs Solidarité constamment sur site. J’ai longuement travaillé avec les Rom en bidonvilles, j’ai participé à la construction de la première ambassade du PEROU [association loi 1901 créée en 2012 qui a notamment construit dans des bidonvilles en Essonne, Paris et Calais, NDLR]. Cela fait des années que je me bats contre la stigmatisation de la ville informelle, pour qu’elle questionne et inspire le mode de fabrique de la ville formelle.

Diplômé de l’École nationale supérieure d’architecture de Paris La Villette en 2005, Julien Beller rejoint le collectif EXYZT et travaille auprès de Patrick Bouchain. Il fonde alors l’association No mad’s land pour travailler auprès des gens du voyage et, en 2006, avec EXYZT, il contribue à Métavilla, le pavillon français de la 10e Biennale d’architecture de Venise. La même année, il participe à la fondation de l’Organisation des architectes alternatifs (AoA) et réalise des projets au Cameroun. En 2010, il fonde le 6B, lieu de création et diffusion à Saint-Denis. Il a notamment travaillé avec les habitants du camp rom du Hanul à Saint-Denis, évacués en 2010 puis relogés par la ville dans un quartier auto-construit.

Extrait d’un article publié dans le numéro 415 de L’Architecture d’Aujourd’hui – Musées – Novembre 2016.


Observateur engagé des grandes tendances du secteur, Batimat a lancé à l’occasion de la Biennale d’Architecture de Venise 2016, la démarche « REGARD SUR L’ARCHITECTURE », fruit d’un questionnement simple mais primordial : les architectes formulent de véritables visions, mais qu’en est-il de l’impact de leurs bâtiments sur les habitants et les usagers ? Qu’en est-il de l’ambition ultime de l’architecte, à savoir assurer notre mieux-vivre ?

Véritable enquête de terrain menée pendant 12 mois auprès de ceux qui conçoivent, réalisent et vivent le bâtiment, REGARD SUR L’ARCHITECTURE offre un éclairage inédit sur une sélection de réalisations hors du commun, réalisées récemment, et choisies pour la qulité de leur « réponse architecturale » à une problématique donnée : habitat d’urgence, habitat social, habitat collaboratif…

Conçu comme un carnet d’inspiration à destination des professionnels et du grand public, REGARD SUR L’ARCHITECTURE se concrétisera par l’édition biennale d’un mook, dont la première édition sera disponible en novembre, à l’occasion de Batimat 2017.

Rencontrez les contributeurs du projet lors d’une après-midi de débats animés par L’Architecture d’Aujourd’hui, mercredi 8 novembre à partir de 13h30 sur le Forum Regard sur l’Architecture de Batimat (hall 5A).

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Article publié sur Mondial du bâtiment
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