[#Confinement] Quelle place pour l’hydrogène dans le secteur résidentiel ?

Rédigé par

Communication Coenove

Déléguée générale

4289 Dernière modification le 07/09/2021 - 16:38
[#Confinement] Quelle place pour l’hydrogène dans le secteur résidentiel ?

« Oui, mes amis, je crois que l’eau sera un jour employée comme combustible, que l’hydrogène et l’oxygène, qui la constituent, utilisés isolément ou simultanément, fourniront une source de chaleur et de lumière inépuisables et d’une intensité que la houille ne saurait avoir. » C’est en ces termes que Jules Verne, dans son roman l’île mystérieuse publié en 1874, évoquait déjà l’avenir énergétique de notre civilisation. Un propos qui, s’il pouvait prêter à sourire il y a encore quelques décennies, trouve sa pleine résonance en 2020…

L’hydrogène est en effet sorti de la sphère de la science-fiction pour passer dans une réalité clairement établie : celle de la décarbonation dans laquelle notre pays s’est engagé pour atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. Mis en avant par le Gouvernement  comme vecteur de choix pour décarboner la mobilité et l’industrie, l’hydrogène reste toutefois encore peu présent au sein des usages stationnaires, que ce soit en usage direct dans le bâtiment ou encore en stockage d’énergie électrique excédentaire. Et pourtant les potentialités sont bien là.

Mix énergétique français : que faut-il décarboner ?

Pour bien comprendre les enjeux et opportunités de l’hydrogène dans le résidentiel, il  faut  revenir à la structure actuelle de notre mix énergétique dont une représentation (hors carburants) est donnée ci-dessous :

appel de puissance France 2016/2017

La lecture de ce graphique nous apporte trois enseignements majeurs : tout d’abord c’est bien grâce à la complémentarité de toutes les énergies que nous arrivons à faire face aux appels de puissance nécessaires pour répondre à la demande de l’ensemble de notre pays , en tout temps et en tout lieu. Le second point tient dans la grande thermo-sensibilité de notre mix énergétique, qui pour la période considérée d’avril 2016 à fin mars 2017, se situe dans un rapport de 1 à 4 entre l’été et l’hiver. Enfin, dernier point et non des moindres, au plus fort de l’hiver, l’électricité ne peut répondre qu’à peine à 30% de la demande. Ce sont les énergies thermiques et pilotables, notamment le gaz, qui assurent le bouclage de l’équilibre offre/demande.

Partant de ces constats, une conclusion s’impose : décarboner le mix énergétique, c’est avant tout décarboner le gaz, vue la place qu’il occupe actuellement dans notre mix énergétique. Une conclusion d’autant plus prégnante que notre électricité est déjà largement décarbonée grâce au recours du nucléaire, sauf pour satisfaire les besoins de pointe hivernale.

Vers la production de gaz renouvelables

La décarbonation du gaz a dépassé le stade du concept et est d’ores et déjà réalité dans les territoires, au travers de la méthanisation notamment. Mais alors quelle place pour l’hydrogène, sujet premier de ce papier ?

Tout est en fait question de temporalité et le graphique ci-dessous, issu de l’étude Ademe « vers un mix de gaz 100% renouvelable » (février 2018), permet de  cerner les enjeux :

Développement des gaz renouvelables en France

Depuis 2011 et la première unité de méthanisation raccordée sur le réseau de gaz, la décarbonation du gaz est opérationnelle. La progression est depuis exponentielle et ce sont déjà plus de 130 unités qui injectent, en mars 2020, du biométhane en mélange dans le réseau de gaz. A titre de comparaison, cette production permet de satisfaire l’ensemble des besoins des logements gaz construits et raccordés en 2019 en France. Une dynamique réelle qui devrait conduire à  200 unités raccordées fin 2020.

Mais pour décarboner l’ensemble des usages gaz, cette seule production de biométhane ne suffira pas. Le potentiel identifié à terme par l’Ademe pour la méthanisation est de 140 TWh, à comparer à une demande de gaz tous usages (y compris mobilité) estimée en 2050 à environ 290 TWh, contre 430 TWh aujourd’hui. C’est là qu’entre en scène notre vecteur hydrogène.

Il ne s’agit plus cette fois de valoriser de la biomasse agricole ou issue des déchets de l’industrie agroalimentaire, mais d’adresser d’autres gisements issus, d’une part de déchets solides tels que le bois ou les combustibles solides de récupération (CSR) via la gazéification, mais également de valoriser l’électricité renouvelable excédentaire pour mettre en œuvre l’électrolyse de l’eau (H2O) et arriver à la production significative d’hydrogène vert (H2), stockable dans la durée. Si les potentiels sont conséquents pour ces deux dernières filières (de l’ordre de 300 TWh, source étude ADEME), leur mise en œuvre en est encore au stade de démonstrateurs, voire de pilotes et ne devraient pas être pleinement opérationnels avant 2025.

Anticiper pour valoriser le potentiel des réseaux existants

Pour autant c’est désormais une certitude : l’hydrogène va bel et bien constituer une part importante du mix de gaz demain comme réponse de choix à la décarbonation du bâtiment. Il est important d’anticiper dès à présent cette arrivée et de procéder aux adaptations nécessaires des réseaux de gaz et des équipements, chaudières notamment.

Lancée en 2018, l’expérimentation menée près de Dunkerque et dénommée GrHyd, vient de prendre fin. Pendant plusieurs mois, des tests ont été réalisés in situ, en injectant des proportions croissantes d’hydrogène dans le réseau, partant de 6% pour arriver à 20%. Sans attendre la publication formalisée des conclusions,  les opérateurs gaziers parties prenantes de cette expérimentation considèrent déjà qu’il s’agit d’un succès : il s’avère possible et sans investissements majeurs d’injecter dès à présent 6% d’hydrogène dans le réseau de gaz et jusqu’à 20% sous certaines conditions. Explications en image : Perspectives de développement de l'hydrogène

 

Cet extrait du rapport des opérateurs gaziers sur les conditions techniques et économiques d’injection d’hydrogène dans le réseau de gaz naturel (juin 2019) montre clairement que les investissements nécessaires au-delà de 20% d’hydrogène injecté dans le réseau deviennent disproportionnés par rapport au gain attendu.

 Une autre voie que nous ne développerons pas dans le présent article mais qu’il convient de garder à l’esprit est celle de la méthanation. Concrètement, il s’agit de recombiner l’hydrogène vert produit (H2) avec du CO2 pour former du méthane de synthèse (CH4). Cette dernière molécule, présentant exactement les mêmes caractéristiques que le gaz naturel, peut être réinjectée sans restriction dans les réseaux.

Vers des réseaux et des usages dédiés 100% hydrogène ?

Si la question du mélange paraît relativement bornée, cela ne signifie pas pour autant, que cette limite ne sera jamais dépassée ; il est dès à présent envisageable et envisagé d’avoir des réseaux dédiés 100% hydrogène. Les Pays-Bas et l’Angleterre explorent d’ores et déjà cette voie… et de fait la voie d’usages 100% hydrogène ! Les industriels du chauffage, fabricants de chaudière en première ligne, y travaillent déjà depuis plusieurs années et une première version d’une chaudière 100 % hydrogène a d’ailleurs été présentée dans l’espace Innovation du salon Interclima de novembre 2019. Il n’existe pas en fait de difficulté majeure à substituer de méthane ou biométhane par de l’hydrogène dans le brûleur d’une chaudière. La difficulté provient avant tout de la variation du taux du mélange et de l’adaptation de l’équipement au pouvoir calorifique à l’instant t. Deux situations particulières peuvent donc être envisagées concernant l’usage de l’hydrogène dans le bâtiment : un usage en mélange dans une proportion limitée à 20%, sans adaptation majeure ni des réseaux ni des équipements et un usage 100% hydrogène nécessitant cette fois des équipements dédiés.

En conclusion, la présence du vecteur hydrogène dans les bâtiments comme voie de décarbonation des usages gaz est une piste qui mérite d’être explorée. La massification du recours à l’hydrogène n’est par contre pas pour toute de suite et ne s’opèrera pas avant 2025/2030, temps de développement nécessaire à la production vertueuse d’hydrogène renouvelable à partir d’électrolyse de l’eau ou de gazéification de déchets.

Article signé Florence Lievyn, ancienne Déléguée générale de Coenove

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