#24 - LabCom OHMIGOD : Deux partenaires, un Laboratoire Commun Outils Hybrides pour le Monitoring et l’évaluation non destructive des Infrastructures : Gestion Optimisée de leur Durabilité

Rédigé par

amine ihamouten

Chercheur - Responsable de l'unité de recherche CND - ENDSUM

4077 Dernière modification le 20/06/2019 - 18:00
#24 - LabCom OHMIGOD : Deux partenaires, un Laboratoire Commun Outils Hybrides pour le Monitoring et l’évaluation non destructive des Infrastructures : Gestion Optimisée de leur Durabilité

L’innovation implique une relation étroite entre la demande de terrain et l’offre de technologie. Le CEREMA s’est associé à une start-up sur le thème du contrôle non destructif. L’équipe de recherche du CEREMA ENDSUM (Évaluation Non Destructive des Structures et des Matériaux) et la start up Morphosense se sont associées pour créer un Laboratoire Commun OHMIGOD.

 

La maintenance des ouvrages : un défi d’envergure pour les gestionnaires

Face à de fortes contraintes économiques, écologiques et sociétales, les maîtres d’ouvrages sont généralement amenés à inclure dans leurs cahiers des charges des exigences portant sur la durée de vie de service, que ce soit en phase de conception des ouvrages neufs (Durée d’Utilisation de Projet de l’Eurocode) ou en phase de maintenance des ouvrages existants (prolongation de la durée de vie résiduelle).

Globalement, le parc d’infrastructures existant (transport, énergie, bâtiments) essentiellement construit entre 1950 et 1980 est vieillissant. Hormis les structures dont la durée de vie est très longue (par exemple le tunnel sous la Manche : 120 ans, avec des budgets de maintenance prohibitifs), le patrimoine industriel, comme par exemple celui d’EDF, ainsi que la majorité du parc d’ouvrages français dont la durée d’exploitation est limitée à environ 30 ans, arrivent aujourd’hui en date limite d’exploitation qui correspond à l’âge critique vis-à-vis de la corrosion. Or les contraintes réglementaires, environnementales et budgétaires rendent difficiles la construction de nouvelles infrastructures. Dans ce contexte, la maintenance des ouvrages existant devient un défi majeur pour les maîtres d’ouvrages gestionnaires. Les questions que les maîtres d’ouvrage posent alors deviennent : la durée d’exploitation peut-elle être prolongée en toute sécurité ? Quel est son coût économique ? Quel est son coût environnemental ?

Un marché en demande d’outils et de méthodes de prédiction de la durée de vie

Les questions complexes que se posent les gestionnaires recouvrent de multiples disciplines portant sur le comportement mécanique des structures et la durabilité des matériaux vis-à-vis de nombreuses sollicitations (charges d’exploitations, vents, neige, séismes) ou d’environnement (agressivité vis-à-vis des matériaux). Pour y répondre, il est nécessaire de développer les méthodes de diagnostic et de pronostic de la durée de vie des ouvrages basées sur des évaluations expérimentales et des modèles prédictifs pertinents et fiables. Des indicateurs de performance doivent également être définis [Baroghel-Bouny, 2004[1]; Villain, 2011[2]].

Le marché est en demande d’un concept avancé de durabilité et d’outils pertinents pour l’évaluation de l’état de dégradation d’une structure ainsi que la prédiction de sa durée de vie. Ce concept est basé sur une approche performentielle, en particulier à l’égard de la prévention de la corrosion des aciers dans les structures en béton [Baroghel-Bouny, 2004, ANR EvaDéOS[3], FUI MAREO[4], ANR ENDE[5]]. Dans ce contexte, une approche générale qui repose sur les indicateurs de durabilité et les paramètres de surveillance serait la plus adaptée : il s’agit ainsi d’établir un diagnostic préventif et un pronostic de durée de vie pour une maintenance planifiée sur plusieurs années et une gestion durable des structures.

Les évaluations non destructives constituent un moyen puissant pour fournir des données qualitatives et quantitatives utiles à l’établissement indirect des diagnostics et pronostics. C’est pourquoi une demande croissante existe au niveau national et international pour développer les auscultations non destructives en termes de techniques, méthodologies, fiabilité, utilisation et interprétation.

Les indicateurs de durabilité peuvent être évalués indirectement sur site de manière à prédire la durée de vie résiduelle d’une structure en service et éventuellement dégradée à partir d’approches inverses faisant appel à des méthodes CND/SHM (Contrôle Non Destructif / Structural Health Monitoring) [ANR SENSO[6]].

Création du Laboratoire Commun

En 2019, la start-up Morphosense et l’équipe de recherche ENDSUM (Évaluation Non Destructive des Structures et des Matériaux) du Cerema se sont associées pour la création du Laboratoire Commun OHMIGOD (Programme LabCom ANR - Outils Hybrides pour le Monitoring et l’évaluation non destructive des Infrastructures : Gestion Optimisée de leur Durabilité).

Le Laboratoire Commun se place d’abord dans le contexte d’un besoin en connaissances, outils et méthodes permettant de maintenir un niveau satisfaisant d’usage et de sécurité des infrastructures (industrielles, routières, aéroportuaires, fluviales ou maritimes). D’autre part, il considère le besoin de prévention vis-à-vis de certains risques liés au changement environnemental ou liés à l’activité humaine. Le projet s’intègre dans une approche durabiliste nécessaire à l’établissement d’un processus de maintenance préventive vis-à-vis d’une éventuelle propagation d’agents pathogènes et donc de pathologies, dans le domaine des ouvrages d’art durant sa première phase (4 premières années du LabCom).

L’objectif des travaux communs de recherche et développement au sein de ce LabCom est de contribuer à la mise au point d’une solution d’auscultation hybride (mécanique/électromagnétique) et de méthodes de caractérisation et de diagnostic à grand rendement, moins invasifs que les outils actuels et n’altérant pas les milieux auscultés. L’analyse de l’état de l’art met en avant le fait que cette solution est très novatrice dans la communauté de recherche et d’expertise en CND pour le génie civil. En effet, elle se différencie sur l’estimation d’indicateurs de performance à partir d’un couplage d’indicateurs de durabilité issues à la fois de la caractérisation physique et diélectrique à l’échelle du matériau (interaction ondes EM/matériau) et des caractéristiques mécaniques/vibratoires à l’échelle de la structure.

Le développement des méthodes de suivi multi-techniques est ainsi fait conjointement par les deux partenaires à travers le couplage des méthodes d’auscultation (radar à sauts de fréquence 3D développé par l’équipe ENDSUM du Cerema (Figure 1) et l’outil de mesure statique et dynamique vibratoire NEURON développé par Morphosense (Figure 2)) et les méthodes de SHM (patchs magnétiques miniatures, autonomes et à très faibles coûts intégrés dans l’enrobage des structures tests durant leur phase de construction (Figure 3)) pour l’estimation d’indicateurs de durabilité tels que les fronts de corrosion dans les enrobages de béton. C’est sur la base de cette approche, complétée avec l’ensemble des indicateurs existants, qu’un prototype sera livré au terme de la première phase de fonctionnement du LabCom.

 

 Exemple de cartographie hydrique (en taux de saturation) d'une structure par le radar à sauts de fréquence 3D développé par l’équipe de recherche ENDSUM du Cerema.

 

 

Figure 1 : Exemple de cartographie hydrique (en taux de saturation) d'une structure par le radar à sauts de fréquence 3D développé par l’équipe de recherche ENDSUM du Cerema.

 

 

 

Figure 2 : Exemple d'étude de résonance d'une poutre en béton par la technologie vibratoire NEURON de Morphosense.

 

 

Figure 3 : Exemple de tendance d’évolution de l’observable non destructive issue de la technologie Patch magnétique développée par l’équipe de recherche ENDSUM du Cerema en fonction de l’indicateur de durabilité (concentration en ions chlorure) de structures en béton.

 

 

D’un point de vue industriel, l’évolution rapide des techniques d’acquisition et de traitement permet aujourd’hui d’envisager des méthodes de contrôle plus fiables, plus rapides et plus précises. Certaines composantes technologiques nouvelles demeurent chères à l’achat mais pourraient permettre à terme de diminuer significativement les coûts de diagnostic. Par ailleurs, le numérique s’impose de plus en plus dans l’évolution de la société et bouleverse certaines logiques. Ainsi, la disponibilité en grand nombre de capteurs à faible coût et les pratiques émergentes (i.e. crowd-sourcing) ouvrent de nouvelles voies de progrès dans le domaine de l’évaluation non destructive, à condition de savoir traiter ces données massives. Finalement, l’optimisation du choix des techniques et des points à inspecter est une façon de répondre aux enjeux de diminution des coûts.  

Sur le plan de la qualité de vie au travail, il est primordial de proposer un produit finalisé permettant d’éviter l’exposition prolongée des opérateurs aux agents polluants (amiante, rayons ionisants, poussière) et aux dangers multiples liés aux chantiers (circulation routière, risques d’effondrements, accessibilité réduite et non-sécurisée). Limiter leur temps de présence sur le terrain est aussi un enjeu économique puisqu’il s’agit d’éviter les arrêts de service des infrastructures, dans le domaine des transports notamment.



[1] Baroghel-Bouny, V. (2004). Conception des bétons pour une durée de vie donnée des ouvrages - Maîtrise de la durabilité vis-à-vis de la corrosion des armatures et de l’alcali-réaction - État de l’art et guide pour la mise en œuvre d’une approche performentielle sur la base d’indicateurs de durabilité. Documents scientifiques et techniques de l’AFGC.

[2] Villain, G. (2011). Vers une évaluation des indicateurs de durabilité du béton pour le suivi de ses dégradations en laboratoire et sur ouvrage, volume OA 70. Habilitation à diriger des recherches - Institut Français des sciences et technologies des transports, de l’aménagement et des réseaux.

[3] ANR EvaDéOS 2011-2015 : Evaluation non destructive pour la prédiction de la Dégradation des ouvrages et l’Optimisation de leur Suivi.

[4] FUI MAREO 2007-2012 : MAintenance et REparations d’Ouvrages littoraux et fluviaux en béton.

[5] ANR ENDE 2014-2018 : Evaluation Non Destructives des Enceintes de confinement des centrales nucléaires.

[6] ANR SENSO 2005-2009 : Stratégie d'Evaluation Non destructive pour la Surveillance des Ouvrages en béton.

 

Un article signé Amine IHAMOUTEN, Directeur du LabCom, Chef de l'unité de recherche CND/ENDSUM, Cerema, et Mikael CARMONA, CO-directeur du LabCom, Directeur Général et Technique Morphosense.

 

 

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