[Dossier Biosourcés #11] Neutralité carbone ou neutralité climatique ?

Rédigé par

La rédaction C21

7645 Dernière modification le 23/03/2020 - 12:00
[Dossier Biosourcés #11] Neutralité carbone ou neutralité climatique ?

Neutralité carbone ou climatique ? La question peut sembler incongrue tellement le terme de neutralité carbone est entré dans le langage technique utilisé par les décideurs politiques. Par exemple, en Août 2019, Le Conseil fédéral suisse a décidé de viser la neutralité climatique d’ici à 2050. Le gouvernement français, lui, a lancé en Janvier 2020 un plan de bataille pour arriver à la neutralité carbone en 2050. Est-ce que l’on joue sur les mots ou est-ce qu’un grand fossé sépare ces 2 ambitions ?

Rappel

Rappelons tout d’abord quelques définitions. Le carbone fait référence à cet atome constitutif de tous les êtres vivants sur Terre. La Terre est faite principalement de Silice et ceux qui la peuplent sont fait en carbone. Ce carbone est aussi présent dans l’atmosphère sous forme dioxyde de carbone ou de méthane. Et ces gaz sont responsables d’un effet de serre ; bénéfique en général pour maintenir une température clémente sur Terre (sans gaz à effet de serre, il ferait aussi froid que sur la Lune), mais son excès entraine le dérèglement climatique auquel nous assistons en ce moment (e.g. tempêtes, incendies, inondations, canicules, …). L’ensemble des scientifiques et l’immense majorité des gouvernements sont d’accord sur le fait qu’il faut absolument réduire la quantité de gaz à effets de serre (GES) dans l’atmosphère d’ici 2050 pour éviter une catastrophe climatique.

Le CO2 est le principal GES et une simplification est souvent faite entre quantité de GES et quantité de CO2 dans l’atmosphère. De même comme une molécule de CO2 contient un atome de carbone, on évoque une quantité de carbone en faisant référence à une quantité de CO2. Enfin, pour finir ce tour d’horizon des molécules et de leurs origines, il convient de se souvenir que le CO2 atmosphérique peut provenir de la combustion de la matière organique fossile. C’est-à-dire une matière qui a constitué les êtres vivants sur Terre il y a des centaines de millions d’années et qui ont été fossilisés, par exemple, dans les gigantesques dépôts de charbon du Carbonifère. C’est la combustion, du fait des activités humaines, de ce charbon (et du pétrole) d’origine fossile qui est responsable du dérèglement climatique actuel. Le CO2 contenu dans l’atmosphère peut aussi provenir des activités biologiques du vivant, on l’appelle biogénique. Il est absorbé chaque année lors de la croissance des plantes et réémis à la fin de la vie de la plante, ou de la feuille pour retourner dans l’atmosphère.

Compatibilité carbone

La neutralité carbone permet de stabiliser la quantité de CO2 dans l’atmosphère, ce qui semble équivalent à atteindre une neutralité climatique où l’on cherche à stabiliser l’effet de serre. Pourtant, la contribution humaine à l’effet de serre est principalement due aux émissions de CO2 d’origine fossile alors que la contribution carbone va comprendre le CO2 fossile et biogénique. Les calculs actuels pour calculer l’impact environnemental des produits de construction (FDES) et leur contribution au changement climatique ne prennent en compte que les émissions de GES d’origine fossile. Cette contribution est exprimée en CO2équivalent. Le développement d’une compatibilité carbone incite à prendre en compte le carbone biogénique et celui d’origine fossile.

Entre carbone et climat, la différence provient des frontières de ce que l’on considère et entraine une incertitude quant à la stratégie pour atteindre une stabilité du système. En effet, pour être neutre pour le climat, il est possible, soit de ne rien faire (ce qui limite nos activités), soit de compenser négativement toutes les émissions positives que l’on a eues. Ces « émissions négatives », ce stockage, lorsque l’on s’intéresse au bâtiment revient le plus souvent à utiliser des matériaux biosourcés. Prenons par exemple un bâtiment ayant une structure en bois et des planchers hybrides en bois béton. Une quantification de la quantité de carbone dans le bâtiment va montrer qu’une grande quantité de carbone est stockée dans le bâtiment et que la production du béton des planchers a émis une quantité importante de CO2 dans l’atmosphère. Pour que le bilan soit nul, il suffit que la quantité de bois contienne une quantité de carbone équivalente à celle du CO2 émis lors de la production du béton. 1m3 de bois contient environ une tonne de CO2, 1 m3 de béton émet environ 300 kg de CO2. Si le bâtiment contient pour chaque m3 de bois, moins de 3 m3 de béton, on pourra le qualifier de zéro Carbone.

De l’importance du temps qui passe …

Par contre, une quantification climatique, montrera que la production d’un m3 de béton a libéré dans l’atmosphère environ 300 kg de CO2 d’origine fossile au moment de la production du matériau, mais que le stockage du carbone contenu dans le bois s’est fait bien avant le moment de la construction, au moment de la croissance de l’arbre dans la forêt. La transformation d’un arbre initialement présent dans la forêt au sein d’un bâtiment n’a en effet, pas prélevé de CO2 de l’atmosphère. Ainsi, au moment de la construction de la maison, le résultat est que le bâtiment contribue au changement climatique du fait des émissions de CO2 du béton.

Ensuite, selon les hypothèses de management de la forêt, on peut imaginer qu’au moment où l’on coupe un arbre, on en replante un autre. Ceci permet au fur et à mesure du temps, un captage du CO2 atmosphérique, si bien qu’une fois que cet arbre est mature, nous avons le même « bilan carbone » que lors du calcul précédent. Mais le bilan n’est pas neutre pour le climat, puisque pendant toute la durée de la croissance de l’arbre, il y a eu un excès de CO2 provenant des émissions du béton au moment de la construction. Pour être neutre pour le climat, il faut que les émissions de CO2 fossile soient immédiatement compensées par un stockage de carbone dans des matériaux biosourcés. Ceci n’est possible qu’avec des plantes à croissance rapide comme la paille, le chanvre, l’herbe ou le bambou. Avec ces plantes, la neutralité carbone est proche de la neutralité climatique puisque l’année suivant la construction, les plantes sont déjà régénérées et l’on peut donc comptabiliser un retrait de CO2 de l’atmosphère du fait de la construction. Cette question est illustrée dans le schéma ci-joint.

Figure : La dynamique du CO2 et les échanges entre environnement naturel et environnement construit (Issus du livre FIBRA Award, Museo editions)

… et de la durée de vie

La communauté scientifique n’est cependant pas d’accord sur une méthode de calcul commune. Pour établir une relation entre quantité de carbone biogénique contenu dans un matériau et sa contribution au réchauffement climatique, des équipes canadiennes ont par exemple établi des relations en prenant en compte le temps de stockage dans le bâtiment et la période de rotation de la plante dans la nature [1].

 

Pour une plante qui resterait dans le bâtiment pendant 50 ans et qui aurait besoin de 60 ans pour croitre, chaque kg de CO2 biogénique capté par la plante lors de sa croissance aura un effet équivalent à -0,16 kgCO2équivalent en ce qui concerne sa contribution au changement climatique. Par contre si la période de rotation n’est pas de 60 ans mais d’un an et que le temps de résidence dans le bâtiment est le même, ce même kg de CO2 biogénique contribuera pour -0,4 kg CO2équivalent au changement climatique.

Avec cette méthode de calcul, un bâtiment neutre pour le climat devra donc contenir entre 2 et 5 fois plus de matériau biogénique (selon le type de matériaux choisis et leur temps de résidence dans le bâtiment) que si le calcul était fait uniquement sur une neutralité carbone.

Un mauvais indicateur est pire que pas d’indicateur du tout

Le ministre français des Villes et du Logement, Julien Denormandie, a déclaré à l’agence de presse française que tous les nouveaux Etablissements Publics d’Aménagement (EPA) devront être construit avec au moins 50% du bois ou des matériaux biosourcés. Est-ce que cette mesure fait partie d’une stratégie de neutralité carbone ? Est-ce que le gouvernement croit pouvoir stocker du carbone dans le bâtiment et réduire ainsi l’effet du changement climatique ? ou est-ce juste un effet d’annonce et le ministre est tout à fait au courant des simplifications faites ?

Parfois, un mauvais indicateur est pire que pas d’indicateur du tout disait Donella Meadows, pionnière du Développement durable et auteure des « limites de la croissance » dans les années 70. La confusion entre la neutralité carbone et la neutralité climatique nous entraine dans une voie certes de réduction des émissions des GES, mais certainement pas de compensation des émissions. Cela permet de nous donner bonne conscience et de croire que l’on est neutre pour la planète alors qu’en réalité l’acte de construire aura un effet négatif pour le climat et qu’il ne sera compensé que dans le long terme.  Il est pourtant important que dans les 20 prochaines années, nous éliminions nos émissions de CO2 fossile sans compter sur une compensation par un stockage de CO2 biogénique qui ne deviendra effectif que dans 30 ans.

Pour cela, il convient d’examiner les ressources disponibles et la vitesse à laquelle nous pouvons amorcer une transition. Les matériaux biosourcés à croissance rapide procurent une opportunité pour étendre rapidement la production et ainsi diminuer effectivement la quantité de CO2 présent dans l’atmosphère. Les matériaux biosourcés à croissance plus lente comme le bois ont des émissions de GES moindre que les matériaux conventionnels. Cependant ils ont déjà stocké du CO2 dans la forêt et ne permettent donc que dans une moindre mesure d’être considéré comme puit additionnel de carbone. Les 20 prochaines années sont cruciales. Un mauvais indicateur peut nous entrainer dans une fausse route dont nous n’aurons pas le temps de sortir avant 2050. Cherchons donc à produire des bâtiments neutres pour le climat -ce qui est tout à fait possible- sans nous laisser attirer par la facilité d’un bâtiment neutre en carbone.

 
Un article signé Guillaume Habert, Professeur de construction durable, École polytechnique fédérale de Zurich, Suisse.


[1] Guest et al., 2012. GWP of CO2 emissions from biomass stored in the anthroposphere and used for bioenergy at end of life. Journal of Industrial ecology, 17, 20-30

 

Consulter l'article précédent :  #10 - La naissance d’une filière régionale de la construction paille en Nouvelle-Aquitaine - Guillaume Habert, Ecole polytechnique fédérale de Zurich


           

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